C’est frère Echen, chargé des écuries, qui les accueillit quand ils franchirent les portes de l’abbaye de Lios Mór, tôt le matin suivant. Ils avaient passé la nuit à l’auberge près de l’Abh Beag où ils avaient laissé Uallachán et ses compagnons, qui y attendraient le message de Fidelma. Gormán avait été envoyé à Fhear Maighe pour donner des instructions à Cumscrad. Quand frère Echen s’avança vers eux, il semblait très agité.
— Glassán, le maître d’œuvre, a été assassiné ! lança-t-il avant que Fidelma ait mis pied à terre.
— Quand cela ?
— On vient de retrouver son corps.
— Où a-t-il été tué ? s’enquit Eadulf.
— Sur le chantier. C’est le jeune garçon, son fils adoptif, qui l’a découvert alors que les artisans allaient embaucher.
À l’autre extrémité de la cour rectangulaire, frère Lugna les interpella et ils se dirigèrent vers lui tandis que frère Echen s’occupait des chevaux.
— Je suppose que vous avez appris la nouvelle ? demanda l’intendant d’un air impassible.
— Oui, à l’instant.
— Il s’agit d’un accident. Une pierre lui est tombée sur la tête.
— Décidément, on ne compte plus les accidents, ironisa Eadulf.
— La malchance, rétorqua Lugna d’un ton sec.
— Allons voir ça de plus près, dit Fidelma en se dirigeant vers le bâtiment en construction.
Frère Seachlann examinait le corps en compagnie de Saor, le charpentier assistant du maître d’œuvre.
En voyant Fidelma, l’abbé Iarnla parut soulagé.
— Dieu merci vous êtes rentrée ! Comme vous pouvez le constater, nous avons une nouvelle tragédie sur les bras.
Le groupe resta en retrait tandis que Fidelma allait à son tour examiner le cadavre étendu sur le dos, sous une arche, au milieu de gravats. Des pierres de taille avaient été superposées pour compléter le mur juste à côté. L’une d’elles, au sol, était maculée de sang, mais il n’y avait aucune trace sanglante sur le visage de l’homme, ni sur son corps.
— Il a été déplacé, dit Eadulf.
— C’est exact, acquiesça frère Seachlann. Il reposait face contre terre, le crâne ouvert. Je l’ai retourné pour voir s’il avait été touché au visage, qui est intact.
— C’est triste, grommela Saor. Glassán est venu ici à l’aube, pour inspecter le travail de la veille, et une pierre s’est détachée alors qu’il passait près de ce mur qui n’avait pas été monté correctement.
Il poussa un soupir.
— Ce genre de drame est malheureusement assez fréquent.
— Trop fréquent ? hasarda Eadulf d’un air faussement innocent.
Il se pencha sur le corps.
— Avec votre permission, frère Seachlann ?
— Je vous en prie, j’en ai terminé.
Eadulf retourna le cadavre et palpa la nuque. La blessure était évidente pour chacun des observateurs, et la façon dont le maître d’œuvre avait perdu la vie laissait peu de doutes. Cependant, Fidelma remarqua qu’Eadulf s’attardait sur l’examen de la plaie. Quand il se redressa, elle aurait juré qu’il avait découvert quelque chose.
— Puis-je le faire emporter ? demanda frère Seachlann.
Fidelma consulta du regard Eadulf, qui acquiesça.
— J’ai cru comprendre que c’est le fils adoptif de Glassán qui a découvert le corps, dit Fidelma. J’aimerais lui parler.
— Frère Donnán s’emploie à le réconforter dans le scriptorium, murmura l’abbé Iarnla.
Saor aida frère Seachlann à soulever la dépouille du maître d’œuvre afin de la transporter dans le bróinbherg.
Frère Lugna les observa un instant, puis il les suivit en grommelant des excuses incompréhensibles.
L’abbé Iarnla se tourna vers Fidelma, la mine abattue.
— À votre avis, que dois-je faire ?
— Contentez-vous de me dire ce que vous savez. Il y a quelques instants, le jeune Gúasach, dont je suppose qu’il s’apprêtait à se mettre au travail, a fait cette macabre découverte. Et après, que s’est-il passé ?
— Je me trouvais dans mes appartements quand frère Lugna est venu frapper à ma porte.
— Comment avait-il appris la nouvelle ?
— Le garçon et frère Seachlann ont donné l’alarme. Quand je suis arrivé ici avec frère Lugna, le médecin et Saor m’avaient devancé. Le médecin a demandé à notre scriptor de s’occuper du garçon. Alors que nous allions transférer le corps, nous vous avons aperçue aux portes et Lugna est allé à votre rencontre.
Fidelma garda un instant le silence.
— Très bien, dit-elle enfin. Assurez-vous de prévenir les frères avec ménagement. Un second décès au monastère ne manquera pas de les perturber. Ensuite, vous poursuivrez vos activités comme si de rien n’était.
L’abbé Iarnla semblait épuisé.
— Oui, vous avez raison… Croyez-vous qu’il y ait un lien entre cet accident et la mort de Donnchad ?
— Non, je ne le pense pas, le rassura Fidelma, désireuse de calmer son anxiété.
L’abbé Iarnla dodelina du chef et s’éloigna d’un pas pesant.
Fidelma se tourna vers Eadulf.
— Tu as quelque chose à me dire ?
— Il a été assassiné.
— Tu en es sûr ?
Eadulf ouvrit le poing. Sur sa paume reposaient des éclats de bois ensanglantés.
— De l’épine noire. Personne n’a remarqué que j’avais prélevé ces fragments sur la blessure à la nuque. L’épine noire est un bois particulièrement dur.
Fidelma se pencha sur les échardes.
— Bien observé, Eadulf, murmura-t-elle. Comment interprètes-tu les événements ?
— Je pense que quelqu’un l’a attaqué par-derrière. Quand je l’ai examiné, il était mort depuis un certain temps.
Fidelma savait qu’il ne s’agissait pas de conclusions établies à la légère.
— Pourquoi ?
— Le corps était déjà froid et commençait à se roidir.
— Donc il est venu ici pendant la nuit ?
— Oui, bien avant l’aube.
Tout en parlant, Eadulf regardait autour de lui.
— Qu’est-ce que tu cherches ?
— Ça ! s’exclama-t-il d’un air triomphant.
Juste derrière Fidelma gisait une chandelle à moitié consumée et un vieux bougeoir terni. Eadulf se souvint que tout à l’heure, quand il avait retourné le cadavre, ses pieds pointaient vers la chandelle.
— À mon avis, déclara-t-il en pesant ses mots, il est venu ici parce qu’il avait un rendez-vous. Ceux qui attendaient le maître d’œuvre n’ont pas pu répéter la même opération qu’avec moi. Glassán était maintenant sur ses gardes. Ils l’ont donc frappé directement à la tête, avec une telle force que le bâton a éclaté. Mais je m’étonne que la chandelle ait été projetée derrière lui et pas devant.
— Voilà une constatation des plus pertinentes, approuva Fidelma. Comment l’expliques-tu ?
— Après l’avoir tué, ils ont traîné son corps jusqu’à l’endroit où nous l’avons trouvé, près d’un mur à moitié terminé. Ils ont mit du sang sur une des pierres afin qu’on en déduise qu’elle lui était tombée dessus. Mais ils ont oublié la chandelle.
— Tu es certain qu’ils ont bougé le corps ?
Il examina la zone juste derrière elle et pointa du doigt des taches sombres sur les décombres et une petite flaque rougeâtre pratiquement sèche.
— Dans l’obscurité, le tueur n’a pas pu nettoyer toutes les preuves et, à la réflexion, il est évident qu’on m’a pris pour Glassán lors de mon expédition nocturne. Mais quand ils m’ont reconnu à la lueur de ma bougie, un des assassins m’a poussé, évitant le pire.
Fidelma hocha la tête.
— Il y avait forcément deux hommes en embuscade pour toi aussi.
— Oui.
— Les autres accidents devaient tous viser à éliminer Glassán. Mais après l’échec qu’ils avaient essuyé avec toi, ils ont préféré en finir avec le maître d’œuvre avant d’organiser la mise en scène.
Elle jeta un coup d’œil circulaire et ajouta :
— Il est temps d’aller s’entretenir avec le garçon.
— Je ne vois pas le rapport entre Glassán et Donnchad, dit Eadulf tout en marchant.
— Il n’y en a peut-être pas.
— Tout de même, cela ressemble fort à une étrange coïncidence.
— Et les coïncidences ont tôt fait de brouiller un projet bien établi.
Cette dernière remarque laissa Eadulf songeur.
— Moi, j’aurais tendance à croire que le motif se dissimule dans la réputation du maître d’œuvre. Bonne ou mauvaise, la notoriété d’un homme le suit comme son ombre.
Fidelma sourit sans offrir de commentaire.
Un frère Donnán attristé les accueillit à la porte du scriptorium.
— Vous êtes venu voir le garçon ? leur demanda-t-il.
— Est-il en mesure de répondre à quelques questions ? s’enquit Fidelma.
— Il est jeune et solide, mais il a reçu un sacré choc et il est complètement perdu loin de chez lui.
— Merci de vous occuper de lui, mon frère. Où est-il ?
Le scriptor indiqua l’enfant, perché sur une chaise à l’autre bout de la bibliothèque. Il fixait le vide, avec un gobelet à la main qui penchait dangereusement.
— Je me suis dit que vu les circonstances, un peu de vin ne lui ferait pas de mal, murmura le bibliothécaire.
Fidelma rejoignit le garçon, accompagnée des deux hommes.
— Gúasach ?
— Ah, sœur Fidelma, murmura l’enfant.
— Comment te sens-tu ?
— Je sais pas. Cela faisait trois ans que j’avais été confié à Glassán. Je ne l’aimais pas beaucoup, il ne me prêtait guère attention, mais il était mon père nourricier et mon guide selon la loi. Qu’est-ce que je vais devenir ?
Fidelma prit un tabouret et s’assit près de lui.
— Avant que tu m’apportes ton témoignage, je tiens à te rassurer. On va s’occuper de toi. Et maintenant je t’écoute.
— Eh bien je me suis levé à l’heure habituelle et je suis venu m’assurer que tout était prêt pour qu’on se mette au travail. Cela faisait partie des tâches qui m’étaient confiées.
— Tu vis dans les cabanes des artisans, près du monastère ?
— Oui, non loin de la rivière, confirma Gúasach.
— Et Glassán, lui, occupait une chambre dans l’hôtellerie des invités. Donc vous ne vous étiez pas parlé avant d’arriver sur le chantier. N’est-ce pas inhabituel pour un enfant dans ta situation ?
Le garçon haussa les épaules.
— Je l’ignore. C’est ainsi qu’on s’était organisés. Glassán m’a toujours traité comme un de ses artisans et ce sont eux qui m’enseignent leur art quand ils ont un moment.
Fidelma eut une moue désapprobatrice. Un enfant pris en charge par une famille adoptive devait être traité de la même façon que n’importe quel membre de la famille. Il vivait et dormait près des parents nourriciers qui se chargeaient de son éducation. Glassán, lui, avait utilisé la force de travail de Gúasach tout en touchant de l’argent de son père pour son apprentissage.
— Quand tu es venu à l’abbaye à l’aube, as-tu rencontré quelqu’un ?
— Frère Echen était déjà debout et il nettoyait les écuries. En général, c’est lui qui se lève le premier et ouvre les portes de l’abbaye. Et le frère peu aimable est arrivé à cet instant.
— Quel frère peu aimable ?
— Celui qui s’appelle « vent » ou quelque chose comme ça.
Fidelma fronça les sourcils.
— Il veut parler de frère Gáeth, intervint frère Donnán.
Gáeth signifiait « intelligent » ou « sage », et gáith le vent. Fidelma sourit.
— Tu as vu quelqu’un d’autre ?
— Oui, l’intendant qui traversait la cour.
— Frère Lugna ?
— Celui-là aussi, je l’aime pas beaucoup, confessa le garçon. Et lui aussi ne se montre guère gentil avec moi.
— Il t’a dit quelque chose ?
— Il me parle jamais.
— Et après ?
— Je suis arrivé au bâtiment en construction, je me suis dirigé vers les outils pour vérifier qu’il n’en manquait aucun et c’est là que je suis tombé sur le corps. Je pouvais pas le manquer. J’ai tout de suite compris que Glassán était mort. À l’arrière du crâne…
— On a vu la même chose que toi. N’y pense plus.
— Je suis aussitôt allé trouver le médecin et je lui ai tout raconté.
— Frère Seachlann était déjà levé ?
— Oui, il s’affairait dans le cabinet où on nous frotte avec des onguents si on s’est fait mal. Quand on est sortis, un moine passait par là et le médecin lui a demandé d’aller chercher l’intendant parce qu’il y avait eu un accident et qu’un homme était gravement blessé.
Il marqua une pause.
— Pourtant, je lui avais déjà dit qu’il avait rendu l’âme. Je suis jeune, mais je sais reconnaître un mort.
— Tu as mené frère Seachlann jusqu’au cadavre ?
— Il a confirmé que Glassán était décédé et puis l’intendant est arrivé avec l’abbé et Saor a suivi. Saor a proposé qu’on me conduise chez frère Donnán et c’est à ce moment-là que vous avez passé les portes avec frère Eadulf.
Il resta un instant silencieux et ajouta :
— Je suis bien content que vous soyez là, ma sœur. Mon maître n’est plus et je suis loin de mes parents. J’ai peur.
Fidelma caressa les cheveux du garçon.
— Ne t’inquiète pas, tout ira bien. Dis-moi, quand Glassán vivait dans ton pays avant de rejoindre ce monastère, avait-il une maison ? Des troupeaux ?
Le garçon hocha la tête.
— Avait-il une femme et des enfants ?
— Non, il avait juste une ferme et un saer-fudir pour s’en occuper.
— Très bien. Je veillerai à ce que tu retournes chez toi sain et sauf, et j’instruirai le brehon de ton clan de ta situation. On va remettre les vaches de Glassán à ton père, en dédommagement de l’argent donné pour ton apprentissage. Plus tard, si tu le désires, toi et ton père signerez un contrat avec un autre maître d’œuvre pour que tu puisses parfaire tes connaissances.
Le garçon semblait soulagé qu’on ne le chasse pas purement et simplement de l’abbaye, et bien qu’il ne comprenne pas les détails de l’arrangement que Fidelma lui avait exposé, il lui faisait confiance.
Fidelma jeta un coup d’œil à Donnán.
— Le mieux serait que cet enfant demeure à l’abbaye le temps que son affaire soit réglée. Ensuite, je m’arrangerai pour qu’il soit pris en charge.
— Je vais donner des instructions à frère Máel Eoin à l’hôtellerie des invités.
Le scriptor se tourna vers le garçon avec un grand sourire.
— Tu vois, il ne faut jamais perdre espoir.
Fidelma et Eadulf embrassèrent le gamin et sortirent de la bibliothèque.
— Tu es sûre que les promesses que tu as faites à Gúasach seront tenues ? s’inquiéta Eadulf.
— Il ne s’agit pas d’un engagement personnel de ma part, je ne fais que respecter la loi, rétorqua Fidelma. Ce garçon a été confié à Glassán qui devait lui enseigner son art selon les modalités consignées dans les Cáin Iarraith, les lois sur l’adoption et les rémunérations qui s’y rattachent. Glassán était son fithidir, son instructeur, et l’enfant son felmacc, son élève. Quelle qu’en soit la raison, si un enfant confié à un père nourricier est rendu à son père naturel, le prix de l’adoption temporaire ou íarraith doit être remboursé dans son intégralité. C’est seulement si Gúasach s’était montré coupable de mauvaise conduite que Glassán aurait pu être exempté de la restitution de l’argent. Et donc, toujours selon la loi, l’enfant doit être reconduit chez lui et les sommes engagées remises au père.
— Parfait. Et maintenant, que proposes-tu ?
— Nous allons jeter un coup d’œil dans la chambre de Glassán : peut-être a-t-il laissé un audacht, un testament. La plupart des gens qui pratiquent un métier dangereux le font. Cependant, à la réflexion, je préférerais parler d’abord à frère Seachlann.
Eadulf connaissait la coutume du peuple de Fidelma de laisser un testament. Cette ancienne pratique remontait à bien avant la conversion au christianisme. À l’époque, on croyait que la mort donnait automatiquement accès à « l’autre monde ». Et donc avant qu’une personne entreprenne son fecht-uath ou voyage dans la tombe, on prenait bien soin de coucher ses dernières volontés par écrit.
Ils trouvèrent frère Seachlann seul dans son bróinbherg. Il préparait un racholl, un linceul, pour envelopper le corps de Glassán avant la mise en terre.
Le médecin releva la tête.
— Vous voulez encore examiner le corps ? demanda-t-il d’un air irrité. Je l’ai déjà lavé.
— Ce n’est pas de Glassán que je voudrais vous entretenir, dit Fidelma. J’ai appris que vous vous étiez récemment rendu à Ard Mór.
Seachlann parut surpris.
— C’est exact.
— Je peux vous demander pourquoi ?
— Ce n’est pas un secret. Je suis allé collecter des simples destinées à des préparations médicinales. Il y a là un marché bien fourni. Il est approvisionné par des navires marchands.
— Il me semble aussi que vous vous êtes rendu à l’abbaye avec un message de Fhear Maighe.
— Oui et alors ?
— Qui vous a remis ce message ?
— Un jeune homme de Fhear Maighe qui savait que je devais me rendre à Ard Mór.
Fidelma réprima un soupir.
— Qui était-il et comment avait-il appris que vous vous rendiez à Ard Mór ?
— Je ne connais même pas son nom. Il s’agit d’un jeune religieux rencontré au scriptorium. Le scriptor m’a dit qu’on utilisait souvent ses services d’un monastère à l’autre. Il arrivait de Fhear Maighe et avait un message urgent pour l’abbé d’Ard Mór. Il était embêté car il avait un message tout aussi urgent pour l’abbaye de Fionán Heights, de l’autre côté des montagnes au nord. Comme ce jour-là j’avais l’intention de chevaucher jusqu’à Ard Mór pour y acheter des herbes, cela ne me coûtait pas grand-chose de le remplacer.
— Et en quoi consistait le message ?
— Il disait que des livres seraient acheminés par la rivière depuis Fhear Maighe jusqu’à Ard Mór. J’ai oublié le nom de la barge et l’heure de son arrivée, ce qui était pourtant consigné dans la missive. L’abbé devait préparer la somme requise pour la livraison. Qu’est-ce que tout cela signifie ?
— Rien, sans doute, répliqua Fidelma d’un air détaché. Vous connaissiez le titre des ouvrages ?
— Je ne m’en souviens pas. Ils avaient pourtant été griffonnés sur un morceau d’écorce par le scriptor, au cas où je les oublierais. Je l’ai également remis à l’abbé d’Ard Mór.
— Je vous remercie pour votre aide, frère Seachlann.
— Je peux donc disposer du corps ? dit le médecin en désignant le cadavre du maître d’œuvre.
— Tout à fait.
— Il sera veillé une journée et enseveli à minuit, comme le veut la coutume. Nous l’avons découvert sans vie à l’aube mais frère Lugna affirme qu’il a trépassé pendant la nuit. Il sera donc enterré ce soir.
Fidelma croisa le regard d’Eadulf.
— Excusez-moi, mais les laithina canti, les lamentations, prennent habituellement une journée et une nuit.
Frère Seachlann eut un reniflement méprisant.
— Glassán ne faisait pas partie de la communauté et je suppose que frère Lugna en a tenu compte. Bien peu de gens sont prêts à prendre part à l’aire. Lugna a donné des instructions pour qu’il soit porté en terre dans un coin du cimetière où il y a de la place.
— Frère Lugna semble pressé d’en finir avec Glassán, fit observer Eadulf quand il se retrouva seul avec Fidelma. Tout de même, cela m’étonnerait que les artisans ne soient pas prêts à sacrifier à l’usage de la veillée.
— J’en toucherai un mot à Saor. Frère Lugna ne laisse pas de me surprendre.
— Nous avons aussi quelques raisons de nous méfier de frère Seachlann.
— Je suis certaine qu’il a bien transmis le message dont il nous a exposé le contenu. Mais il a très bien pu faire partie du complot qui a permis à ceux qui ont attaqué le chaland d’en prendre connaissance.
— Pourquoi ce livre de Celse est-il si important et comment est-il lié à la mort de frère Donnchad ainsi qu’aux récents événements qui se sont déroulés ici ? demanda Eadulf au bord de l’exaspération. Je n’y comprends rien.
— Comme le disait Jules César : In bello parvis momentis magne casus intercedunt.
— Oui, dans la guerre les grands événements naissent de petites causes, grommela Eadulf. Et alors ?
— En d’autres termes, ne jamais négliger les détails. Ainsi, tu découvriras que la patience aide à cerner l’essentiel.
— Tout cela m’épuise à l’avance ! s’écria Eadulf tandis qu’ils traversaient la cour rectangulaire. Ces derniers jours, nous n’avons pas arrêté de nous déplacer.
— Heureusement. C’est grâce à cela que nous nous rapprochons de la résolution de ces énigmes.
Avant qu’Eadulf puisse la questionner, elle accéléra le pas en direction de l’hôtellerie.
— La chambre de Glassán nous attend ! lança-t-elle par-dessus son épaule.