Cette lettre à Malraux prouve que Cocteau est tenté par l’engagement communiste au milieu des années 1930. Prévenant les doutes sur sa sincérité, elle se dit contraire à la Lettre à Jacques Maritain (1925). Fut-elle jamais envoyée à son destinataire ou demeura-t-elle à l’état de brouillon ? Difficile de trancher. On constate seulement qu’en collaborant avec le quotidien Ce Soir en 1937 et 1938 pour une rubrique culturelle, Cocteau exprime une sympathie pour l'extrême-gauche sans pour autant succomber à la tentation marxiste : il semble avoir fait le choix définitif de la liberté contre celui de l’enrôlement.
Hôtel Welcome
Villefranche-sur-mer
A.M.
9 juin 1935
Mon très cher André
20 fois je me suis tâté pour vous demander conseil avant votre livre, à vous et à Gide. Je désirais savoir s’il est possible de me faire admettre au Parti. J’ai pour moi d’être pauvre et pur – contre moi d’avoir prolongé l’enfance jusqu’à l’impossible. Et l’enfance est individualiste à l’extrême – pas orthodoxe, rebelle, sujette aux surprises – hérétique en un mot. Peut-être, libre, servirai-je davantage la cause. Je me demande. Tout me dégoûte à mourir sauf l’amour.
Et, cette fois, il ne s’agirait plus d’une mauvaise farce. Vous avez compris l’échec de la lettre à Maritain. Une bombe, une sale bombe entre nous, que l’« «Église » empêche de tomber attrape au vol dans sa main droite, dans sa main d’ouate, dans sa main adroite. Je vous aime et votre livre. Je voudrais entrer par la petite porte. Mais si vous me dites de rester sur mon toit et de continuer à dormir debout, je vous croirai comme l’Évangile.
Gardez cette lettre dans votre poche. Répondez-moi. Je vous embrasse.
Jean *