Le portrait de Jean Cocteau, tiré du recueil Portraits and Prayers paru en 1934, est une pièce aussi curieuse que conforme à la lettre et à l’esprit des portraits que compose Gertrude Stein à cette époque. Hésitant entre la rêverie grammaticale et le cauchemar syntaxique, la pièce ne vise pas la ressemblance avec son sujet. Tout au plus cherche-t-elle à capter pour le capturer un rythme idiosyncrasique, une pulsation, une manière de parler qui évoqueraient, même lointainement, le style de Jean Cocteau. Moins connu que les portraits de Picasso ou de Matisse, le portrait de Cocteau est toutefois exemplaire, sinon emblématique, de la manière steinienne délibérément non mimétique du portrait.
Écrit dans une langue d’une simplicité enfantine et par endroits délibérément fautive, il est savamment tissé de répétitions de mots et de sons, de jeux de mots allitératifs innombrables, des paronomases translinguistiques au détour desquelles plusieurs locutions françaises se font entendre au passage de l’anglais. À mi-chemin entre le livre de grammaire (qui décline les mots de liaison, les modaux, les prépositions, les verbes d’états et déictiques en tous genres, fait feu de tous les mots dits « mots-outils » traditionnellement considérés comme vides de sens et donc particulièrement inadaptés à un usage poétique), le recueil de comptines (qui apprend à compter), le manuel de savoir-vivre (qui salue et remercie), le portrait de Jean Cocteau ne représente pas tant de son sujet qu’il ne témoigne de la manière poétique de Gertrude Stein, reconnaissable entre toutes. Cette pièce se conçoit comme un don aussi bien qu’un hommage rendu à la créativité de l’écrivain français : le portrait de Jean Cocteau creuse la langue de l’intérieur, l’expose à sa folie sous-jacente, la fait tourner en boucle, mais non sans procéder d’une logique interne qui enchaîne les mots les uns à la suite des autres, les reprend, les décline d’une manière aussi débridée que méthodique. Désorienté, le lecteur est rendu au bonheur légèrement terrifiant de l’expérience de pure oralité primordiale de la langue maternelle et renvoyé au temps où les mots s’entendaient sans pratiquement faire sens, résonnaient les uns par rapport aux autres en toute innocence. La fin du portrait est particulièrement remarquable : elle consiste en une interminable boîte à outils linguistique où sont repris un à un les mots grammaticaux qui ont servi à la composition de la pièce dans l’équivalent syntaxique d’un véritable bouquet final.
Isabelle Alfandary
* * *
Jean Cocteau
Si besoin si besoin si sois près.
Si besoin si besoin si besoin.
C’est ici qu’ils ont leur terre qui s’égare.
Deux disent.
C’est ici qu’ils ont leur terre qui s’égare.
Deux disent.
Si besoin si besoin si besoin
Si besoin si besoin si sois près.
Reprise.
C’est peut-être plus près que deux disent.
Près sois près sois près sois
Si besoin si besoin si besoin
Si besoin si besoin si sois près.
Il était parti un petit moment.
Si besoin plus près que deux disent.
Si besoin si besoin si besoin si besoin.
Si besoin si besoin si besoin sois près.
Il était parti un petit moment.
Et deux disent.
Il était parti un petit moment.
Il était parti un petit moment.
Et deux disent.
Acte deux
Acte deux et acte un
Acte deux et acte deux
Acte deux et acte deux
Acte deux et acte un.
Il était près de là où ils ont leur terre qui s’égare.
Il était près de là où deux disent.
Acte deux et presque un. Acte deux et presque un.
Acte deux et deux disent.
Acte un et acte deux et deux disent.
Il était comme quand ils avaient presque fait leur déclamation leur déclaration leur vérification leur amplification leur élévation leur sécurité leur lot et là où.
C’est ici que leur terre s’est égarée. Deux disent.
Mets-le là là dedans là où c’est. Mets-le là là dedans là où qui sait.
Mets-le là là dedans là et c’est. Mets-le là là dedans là et qui sait.
Lui presque comme ils voient la terre s’égarer.
D’ici là et par là et à moi.
Il presque comme ils voient lui presque comme ils voient la terre lui presque comme ils voient la terre s’égarer.
Et d’ici là d’ici ce temps là et à moi. Lui presque comme ils voient la terre d’ici d’ici là d’ici ce temps là d’ici ce temps là à moi. D’ici ce temps là et à moi et d’ici ce temps là et à moi.
Il presque quand ils voient la terre s’égarer.
D’ici ce temps là et à moi.
Pas tout à fait à part.
Partie et pas en partie et pas à part et pas en partie pas à part.
Quand il quand il était est et fait, quand il en partie, quand il en partie quand il est et était et en partie quand il et en partie quand il fait et était et est et en partie et à part et quand il et à part et quand il fait et était et quand il est.
Quand il est en partie
Quand il est à part.
Particulièrement pour lui
Il fait en sorte que cela soit pour le reste de la journée pour eux aussi.
En partie en partie commencé
Le reste et un
Une partie en partie commencée.
En partie commencée un et un.
Un et un et en partie commencé et un et un en partie commencé. En partie commencé partie en partie commencé partie en partie en partie commencé et un et partie et un et en partie commencé et partie en partie commencé.
En partie commencé.
Avaient-ils besoin que la terre s’égare.
En partie commencé et un.
Avaient-ils besoin que la terre s’égare et en partie commencé et un.
Avaient-ils besoin que cela soit pour le reste de la journée avaient-ils besoin que la terre s’égare en partie commencé et une partie en partie commencée partie partie en partie commencée partie en partie commencée et un.
Ils en ont besoin comme cela leur était acquis d’être le reste et à côté de cela par ceci qui était comme cela doit être pour eux.
Il savait et ceci.
Quand la moitié est combien est mai.
Tout et ici là-bas et clair doit et cher puis et puis à cela. Puits est un endroit d’où l’on tire l’eau et ce que l’on tire.
Un puits est un endroit d’où duquel l’on tire l’eau et ce que l’on tire.
Un puits est un endroit duquel l’on tire l’eau et l’on tire l’eau. Un puits est un endroit duquel l’on tire l’eau et l’on tire l’eau. Un puits est un endroit d’où l’on tire l’eau et ce que l’on tire.
Un puits est un endroit duquel l’on tire l’eau.
Un puits est un endroit d’où l’on tire l’eau.
Ils ont fait en sorte de pouvoir être où ils étaient.
Où ils étaient quand ils étaient où ils étaient.
Il l’avait pour est sien dans sa main.
Main et tête
Tête et main et terre
deux disent
pour
nôtre.
Ils les font ils les font ils les font ils les font ils les font ils les font ils les font d’un coup.
Et presque quand il sait.
Aussi long que la tête aussi bref que dit aussi bref que dit aussi long que la tête.
Et ceci aussi long et ceci aussi long et ceci et ceci et ainsi va le mariage et ceci et cela.
Il n’est pas tout à fait dans mes habitudes d’évoquer n’importe quoi mais maintenant ayant l’habitude de parler je l’évoque comme j’évoquerais n’importe quoi.
Ayant l’habitude de parler ayant l’habitude d’exprimer ayant l’habitude d’exprimer ayant l’habitude de parler.
Un petit moment parti
Et une petite trotte.
Tout parti.
Tout parti.
Tout et parti.
Tout et parti.
Parti et tout parti.
Il est très extraordinaire que ce soit tout aussi intéressant.
Quand c’était c’était c’était là
Là là.
Huit huit et huit, huit huit et huit. Huit huit et huit et et huit.
Après tout le voir avec cela et avec cela n’ayant jamais ouî un tiers un tiers si, si.
Quand là un là et où est où et à moi est à moi et dans est dans qui a besoin d’un petit morceau.
Ils en avaient besoin de trois quand tu vois ceci quand tu vois ceci et trois et trois et c’était deux de plus qu’ils ne devaient.
Ils doivent parler avec tendresse
Deux lui.
G. Stein.
Ce n’était pas toujours fini pour une cette fois.
Une fois ou deux fois and pour ceci alors ils avaient cela et en plus de cela de sorte que et ceci et tout et maintenant et croire en toutes ces choses quand ils et devront et quand et pour et très et par et avec et ceci et là et comme et par et sera et quand et peux et ceci et ceci et plus et là et trouver et là et tout et le seront et et avec lui et avec lui et ils et ceci et là et alors et je et dans et tout et tout et si et si et si et si et si et si maintenant. Maintenant jamais besoin de modifier n’importe comment.
N’importe comment soit signifie roule roule par chance chance par autre autre par si fort fort par si sera sera par si signe signe par si ouest ouest par si très très par si dans dans par si par par par si autre autre par si raison raison d’être à moins moins qu’ils ne fassent quand quand ils firent pour pour ils firent là et alors. Alors ne célèbre pas le là et alors.
Qui le sait.
J’espère être bien contente et je vous remercie.
Traduction d’Isabelle Alfandary.
Gertrude Stein, Portraits and Prayers (1934).