Grand amateur de romans policiers, Cocteau resserre ses liens avec Georges Simenon dans les années 1950. À la fin de sa vie, il dira « l’aimer avec la peau de l’âme, cœur à cœur », malgré l’absence de « correspondance apparente1 ». Simenon rend témoignage d’une affection du même ordre avec cet article, publié en 1961.
Il m’est arrivé, adolescent, à l’âge des enthousiasmes et du feu sacré, de me demander comment s’étaient comportés, de leur vivant, certains personnages entrés dans la légende et j’avais peine à croire que leurs contemporains les avaient vus en chair et en os dans des attitudes familières au commun des hommes.
Ces contemporains s’étaient-ils rendu compte de leur privilège et avaient-ils été capables de reconnaître le signe au front de celui qu’ils coudoyaient ?
J’ai connu la réponse à cette question voilà bien longtemps déjà lorsque j’ai rencontré Jean Cocteau. Je l’ai vu parmi des étudiants et des femmes du monde, dans la cohue des vernissages et des festivals, dans des groupes d’amis et en tête à tête. Irais-je jusqu’à prétendre qu’ici ou là je n’ai jamais senti sa présence en chair et en os ?
À vingt-cinq ans comme aujourd’hui, il n’a jamais eu d’âge et il l’a si bien senti que sa signature, un prénom, s’est toujours ornée d’une étoile.
Il a écrit, bien sûr, des poèmes et des pages de moraliste dont d’autres que moi parleront, des romans et des pièces de théâtre ; il a peint et composé des films comme on compose des symphonies. De quoi ne s’est-il pas occupé : des hommes, des anges et des astres.
Il a lancé des idées et des modes que des fidèles adoptaient quand il avait déjà bondi dans un nouvel univers et il continue à faire jaillir des feux d’artifice et à bondir en avant.
— Mais quel homme était-ce vraiment, grand-père ?
— Chut !
Pourquoi vouloir qu’il soit un mortel comme nous ? Ne s’est-il pas sacrifié pour échapper à la pesanteur et pour n’être, vivant, qu’une belle histoire ?
N’est-ce pas le message qu’il nous répète sous des formes toujours nouvelles et que nous comprenons encore mal, que d’autres comprendront mieux après nous ?
— Il y avait une fois un nommé Jean qui jonglait avec une étoile…
Echandens2, le 31 mars 1961
Points et Contrepoints, n° 58 : « Hommage à Jean Cocteau. Prince des Poètes », octobre 1961.
NOTES
1. Jean Cocteau, « On cherche, généralement… », Mes Monstres sacrés, édition d’Édouard Dermit et Bertrand Meyer, Paris, Encre, 1979, p. 53.
2. Simenon vécut au château d’Echandens, dans le canton de Vaud, de 1957 à 1963.