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Assis sur un billot de bois dans l’ombre d’une tente non loin de celle où est entrée Annaïg, Guillem fait mine de réparer une lance qu’il a discrètement subtilisée en entrant dans le campement. Revoici la mante verte, avec Houarn, capuchon de nouveau étroitement rabattu sur la chevelure rousse. Elle marche plus lentement qu’à l’aller. Houarn se penche pour lui parler. Elle accélère le pas. La procession des reliques et sa suite doit approcher, à l’heure qu’il est. L’entretien qu’a eu Annaïg avec celui qu’elle est venue rencontrer – qui d’autre que Cédric ? – n’aura pas duré très longtemps.

Il se lève et s’efface entre les tentes, un peu inquiet. Le subterfuge des deux jeunes filles va-t-il tenir ? Mais il y aura davantage de désordre lorsque la procession royale arrivera dans le campement, lorsque les nobles et autres dignitaires se dirigeront vers les tribunes qui leur sont réservées ; il devrait leur être assez aisé d’échanger de nouveau leurs places.

La procession doit commencer à déboucher du pont : on entend les hymnes religieux portés par le vent qui s’est levé pour chasser la pluie et les nuages gris et faire claquer bannières et oriflammes. Des coins de ciel bleu tendre apparaissent ici et là, des taches de soleil raniment les couleurs des tentes et des pavillons. On y verra assurément un bon signe pour le nouveau roi.

Que va-t-il dire à Briann, maintenant ? Le baron a-t-il remarqué son absence ? Il ne lui a pas encore rapporté la visite de Houarn à Annaïg, il attendait de voir son intuition confirmée. Voilà qui est fait. Cédric est bel et bien vivant, et à Nantes. Il ne peut y avoir d’autres explications.

Il devrait le lui dire.

Il ne le lui dira pas.

La décision le prend au dépourvu, et puis la surprise s’efface, remplacée par une certitude qu’il a appris à reconnaître depuis qu’il a compris la nature de Briann et les voies mystérieuses de la Divinité, depuis qu’il a accepté de continuer à vivre pour obéir à Ses desseins. Il ne s’interrogera pas davantage. Quoi qu’il soit arrivé en Hongrie, ce qui se passe à présent ne concerne que les deux frères. Il ne lui appartient pas d’intervenir, sûrement ?

Il suit la mante verte. Annaïg va reprendre sa place dans la suite de l’évêque. La pauvre enfant devra faire bonne figure et ne rien laisser percer de ses émotions. Mais compte tenu de ses actes jusqu’à présent, quelque chose lui dit qu’elle en sera capable.

Tout en marchant, il surveille les alentours pour voir si d’autres que lui se trouveraient à suivre celle qu’ils croient être Rébecca. Il a aisément repéré ceux qui ont accompagné Annaïg à distance pendant ses quelques brefs déplacements dans Nantes – les gens de l’évêque sont bien moins habiles que lui. Mais personne ne suit la fausse Rébecca.

Voilà ce qu’il dira à Briann : personne ne semble se douter de la présence de Cédric à Nantes. Il le dira à mots couverts, bien entendu ; Briann n’a jamais été explicite dans ses instructions. Il n’a jamais prononcé le nom de son frère depuis la Hongrie.