Guillem assoit Briann sur le lit de camp, lui ôte son casque avec inquiétude. Il s’attendait à ce que le nasal ait été enfoncé par le dernier coup reçu, mais non, seulement un peu tordu. Le nez n’est pas cassé, mais il enfle déjà. Un gros hématome y surgira bientôt. Il faudra un cataplasme. Le torse aussi est marbré de meurtrissures. Celles reçues de De Baxfurt la veille, qui tournent déjà au pourpre malgré les onguents, et plusieurs nouvelles, encore rougeâtres. Il passe lentement une bougie devant les yeux de Briann.
« Que fais-tu ? marmonne le baron d’une voix éraillée.
— Les coups reçus à la tête sont dangereux. On le repère parfois à la réaction des pupilles. Les oreilles vous bourdonnent-elles ? Vous sentez-vous une nausée ?
— Mais non », s’exclame Briann en écartant sa main avec brusquerie et en faisant mine de se lever. « Je vais très bien. Contente-toi de me masser, comme d’habitude. »
Mais son geste lui a tiré une grimace.
« Je dois vérifier. Vous avez peut-être une côte fêlée. »
Briann répond par un grommellement indistinct, mais se laisse rasseoir. Guillem lui palpe le torse, attentif à ses réactions. Non, seulement une sérieuse meurtrissure du côté droit. L’onguent d’alcimos ne le soulagera pas beaucoup. Mais il faut d’abord s’occuper de ce nez.
Après avoir fabriqué le cataplasme et l’avoir enduit d’onguent, il le plaque sur le nez de Briann, qui grogne quelques protestations indistinctes que Guillem choisit d’ignorer ; il l’attache avec des lanières derrière la tête du baron : « Il vous faudra le garder toute la nuit, sinon plus longtemps. »
Puis il sort le pot d’alcimos, s’enduit les mains et commence à oindre la peau brûlante.
Briann a posé un avant-bras sur ses yeux, en évitant le cataplasme tant bien que mal.
« Que s’est-il passé après ? demande-t-il d’une voix étouffée. J’en ai perdu, je crois. J’ai entendu comme une bagarre du côté des pavillons.
— Des partisans et des adversaires du Poitevin se sont empoignés autour de lui au fond des lices. Il a dû se battre encore, semble-t-il. On dit qu’il a été blessé. »
Briann essaie de se relever, ce qui lui arrache un grognement. Guillem le plaque sur sa couche d’une main ferme.
« Blessé ?
— J’ai envoyé Thibalt se renseigner. Il devrait revenir bientôt. Restez tranquille. »
Il continue de masser le torse de Briann, toujours surpris de le trouver si lisse, presque imberbe. Ralentit ses gestes lorsqu’il entend du bruit à l’entrée du pavillon, un bref échange de paroles avec le garde. Ce n’est pas Thibalt. Une silhouette massive entre, accompagnée de deux soldats.
Guillem se lève et s’incline devant le duc Arthus.
« Mon seigneur ? »
Briann essaie de se relever. Un geste de la main le recouche.
Guillem tire le fauteuil de Briann, et le duc s’y laisse tomber. Il a l’air très soucieux.
« Continue à le soigner. Comment va-t-il ?
— Eh bien », réussit à dire le baron d’une voix entrecoupée, comme s’il cherchait son souffle. « Guillem me dit que j’ai deux côtes fêlées, le nez cassé, et la tête branlante. J’ai quelque peu surestimé mes capacités. Je ne serais pas d’un grand secours dans la mêlée, je le crains. »
Guillem recommence à le masser, impassible. Pourquoi Briann exagère-t-il ses blessures ? Il ne veut pas participer à la mêlée, n’en a peut-être jamais eu l’intention, et il a trouvé là une bonne excuse ?
« Te voilà bien mal emmanché », dit Arthus, sans pouvoir retenir un léger sourire en examinant la figure de Briann coupée en deux par le cataplasme. Puis il redevient sérieux : « Je vais t’envoyer De Thouy.
— Merci, mon seigneur, mais ce n’est pas nécessaire, souffle Briann. Guillem est plus que compétent en la matière, vous le savez. Et, sauf votre respect, je le préfère. Il n’essaiera pas de me saigner, lui ! »
Il essaie de rire, mais son rire se casse, et il ferme les yeux en grimaçant.
« J’espère au moins que quelques-uns de mes coups ont porté, marmonne-t-il. Ce maudit Poitevin doit avoir la tête si enflée à présent que sa couronne n’y tient pas.
— Il ne l’a pas réclamée, dit le duc. Et ce n’est pas un Poitevin. Il viendrait de France. » Il a derechef froncé les sourcils, ajoute tout bas : « Mais pourquoi un Géminite aurait-il voulu participer au tournoi des chevaliers ?
— La bourse… murmure Briann, les yeux toujours fermés.
— Peut-être. Ou peut-être plutôt était-ce un espion – du moins est-ce la théorie du légat. Peut-être ont-ils eu vent de la démonstration à laquelle le roi m’a convié… Ce qui serait plutôt fâcheux. On a tenté de le capturer après le combat, mais il a réussi à s’enfuir avec ses complices. Il a cependant été blessé, assez grièvement semble-t-il. Il ne pourra aller bien loin. On fouille le campement et la ville. »
Avec un soupir, Arthus se relève. « Je ne crois pas que le roi te tiendra rigueur de ne pas participer à la mêlée. Il aura d’autres soucis.
— Le tournoi des champions… essaie encore de dire Briann.
— Un juge de plus ou de moins ne fera guère de différence. Nous savons tous qui va gagner. »
Il sourit d’un air entendu : ce sera un Breton, encore. Alabert Du Guesclin, le jeune seigneur de la Motte-Bron, l’a emporté de loin sur ses adversaires dans toutes les dernières rencontres. Un renversement de dernière minute est très peu probable.
Arthus se penche pour tapoter l’épaule de Briann, se ravise en la voyant enduite d’onguent. « Remets-toi, mon cousin.
— Tenez-moi au courant… pour la démonstration du roi », dit Briann, avec une ombre de son sourire sardonique. « Vous me savez discret. »
Le duc hoche la tête. Quelque chose passe de nouveau entre eux, que Guillem ne peut interpréter. Arthus hoche la tête : « Certes. »
Puis sans rien ajouter d’autre, il tourne les talons et quitte le pavillon, suivi de ses gardes.
Briann saisit le poignet de Guillem dans une étreinte douloureuse, l’arrêtant dans son massage.
« Cherche-le, gronde la voix rauque. Personne d’autre ne doit le trouver. Il est à moi ! »
Ses yeux étincellent d’un regard fou dans la lueur des bougies. Guillem le dévisage, abasourdi. Il sait qui était “le Poitevin”. L’a-t-il toujours su ?
Il n’essaie pas de se dégager, attend que se dissipe l’élan d’énergie qui a redressé Briann. Lorsque celui-ci retombe en arrière, les yeux clos, et que l’étau se desserre sur son poignet, il demande simplement : « Maintenant ?
— Maintenant ! »