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Lorsqu’il revient dans le pavillon, Briann est toujours couché, mais il ne dort pas. Il se redresse à son entrée, le regard fiévreux, sans un mot.

« Personne ne l’a trouvé, se contente de dire Guillem. Recouchez-vous. »

Briann obtempère avec un petit grognement. Guillem approche un chandelier pour l’examiner. Le nez a un peu désenflé.

Il enduit de nouveau le pansement de l’onguent odoriférant, le remet en place, rattache les lanières. Dévisage son patient d’un œil critique. Le baron est bien trop énervé, il ne dormira pas. Mais il en a besoin pour retrouver des forces. Une potion sédative ne lui fera pas de mal.

Malgré son épuisement, il va tirer les fioles et les poudres nécessaires de sa sacoche, les mélange avec un peu de vin et d’eau, ajoute une bonne dose de miel pour pallier l’amertume de la préparation, brasse le tout et va tendre le gobelet à Briann : « Buvez. »

Le baron obéit sans protester, se recouche avec un soupir au bord du gémissement. Il a exagéré son état pour le duc, mais ce dernier combat lui a bel et bien coûté. Ou était-ce de savoir qu’il affrontait son frère ?

Guillem tire le tabouret pliant près du lit, se passe les mains sur la figure. Il devrait dormir aussi, appeler Roland ou Thibalt pour les laisser veiller le baron à sa place. Il regarde le front et la bouche de Briann se détendre peu à peu, son souffle devenir plus ample.

« Quand avez-vous su que c’était lui ? » demande-t-il tout bas.

Il pense un instant que Briann ne répondra pas. Mais dans le sommeil où il commence à glisser, Briann est ouvert, et docile.

« Les lances… avec De Baxfurt », dit la voix rauque. « Pas sûr… après. Main gauche. Mais il a… appris. »

Un vague sourire a étiré les lèvres sous les épaisses moustaches. Y avait-il comme une note approbatrice dans ce murmure haché ?

Il savait depuis le combat avec De Baxfurt. Et il a bien caché son jeu. Ce ne peut être lui qui l’a appris aux Vigiliens ? Ils ont dû avoir une autre source d’information. Peut-être un des hommes de Le Floch’ a-t-il été imprudent. Ou Cédric lui-même, en se procurant son équipement. Surtout son destrier. Les Vigiliens détiennent les principaux haras de Nantes et des environs – ils en ont dans toute la Bretagne, ils ont au moins doublé leur fortune en approvisionnant les armées christiennes en chevaux pour la Croisade. Une telle monture, même achetée loin de Nantes – qui sait depuis combien de temps Cédric était revenu en Bretagne ? – a dû lui coûter une fortune. Ce ne sont pas les rebelles de Lanvaux qui ont pu lui prêter des sommes pareilles. Et il les a surtout consacrées à ce cheval, c’est clair : son équipement n’était pas de la meilleure qualité. Il a eu de l’aide. Isaac Jakobsen.

Incapable de respirer par le nez, Briann a commencé à ronfler. Il ne se réveillera pas avant des heures. Guillem se lève. Il doit s’y prendre à deux fois, il lui semble que ses genoux sont en laine. Il appelle à la cantonade : « Roland ? »

Le jeune écuyer se présente aussitôt. D’un geste, Guillem lui indique le tabouret, ajoute par acquit de conscience : « Viens me chercher s’il y a quoi que ce soit. »

Puis il passe dans l’autre salle, à l’autre extrémité du pavillon, où se trouve sa paillasse, avec celle des autres serviteurs. Seul le vieux Joaquin est là, roulé en boule, la respiration un peu sifflante. Les autres sont sans doute rassemblés autour des feux de joie qu’on a aussi allumés dans le campement. Il s’étend sur la couche. Ses pensées se pourchassent en rond dans sa tête bourdonnante. Avec un effort de discipline qui lui coûte ses dernières forces, il les contraint à se taire. Il sera toujours temps de réfléchir demain.