Rébecca essaie de dissimuler son excitation : le baron observe l’échiquier, coudes sur les genoux, menton sur les poings. La diversion qu’elle a mise en place en attaquant sa reine est en train de jouer son rôle. Il n’a pas vu le mat qui se prépare !
Avec un soupir, il bat en retraite, se redresse en posant les bras sur les accoudoirs de son fauteuil. Elle se force à froncer les sourcils puis à se pencher vers le plateau comme si elle ne savait trop que faire.
« Le bleu de cette robe vous sied à ravir », dit-il en l’enveloppant d’un regard appréciateur.
Elle relève la tête avec un sourire modeste, secrètement satisfaite, mais sans commenter. Eh bien, ce n’est pas trop tôt, il le remarque enfin ! Elle a décidé de revêtir l’une des robes offertes, pour voir comment il réagirait – et ils jouent depuis plus d’une heure.
Le vieil adage l’a toujours agacée par ce qu’il suggère de manœuvres retorses – “on ne prend pas des mouches avec du vinaigre” –, et le baron est plutôt une araignée. Mais c’est le seul véritable recours laissé aux femmes, et puisqu’il semble vouloir l’amadouer par ses présents, pourquoi ne pas amadouer en retour ? Sa porte n’est plus fermée à clé, elle l’a constaté, mais lorsqu’elle a tenté de sortir, Mathias toujours de garde l’a tout de même arrêtée sans un mot, quoique d’un air vaguement embarrassé. Annaïg est “revenue” depuis plus de cinq jours, mais elle ne l’a pas revue, ses visites à Isaac sont toujours aussi courtes, et la possibilité pour eux d’un retour à Elvenn n’a toujours pas été évoquée. Elle s’en est soigneusement abstenue elle-même, pour endormir la méfiance du baron, en guettant un moment propice pour amener la question.
« Et vous devriez sourire plus souvent, ma dame », ajoute le baron d’un ton presque enjôleur. « C’est un rayon de soleil, surtout par une journée grise comme celle-ci. »
Elle change de position dans son fauteuil, en masquant son agacement. C’est plus facile maintenant – après toutes ces histoires chevaleresques qu’il lui a fait lire, elle comprend mieux à quoi il joue. Car c’est un jeu, bien sûr, ce “ma dame” absurde, ces livres, ces conversations courtoises, ces présents – l’autre jour, il lui a même offert un collier de bronze doré à perles d’ambre, une splendeur. Elle a feint de se laisser convaincre de l’accepter. Il ne peut la croire dupe. Elle comprend bien maintenant pourquoi il se comporte ainsi : il s’ennuie. Elle le distrait.
« J’aimerais en avoir plus souvent l’occasion, mon seigneur », dit-elle en s’essayant à la légèreté, comme s’ils étaient de quelque façon complices.
Il enchaîne sur le même ton badin : « Une partie gagnée tirerait-elle un sourire ?
— Pas si vous me laissez gagner. »
Il la dévisage un moment. Elle a parlé de manière enjouée, mais elle le regarde bien en face ; elle est tout à fait sérieuse. Le comprendra-t-il ? Il sourit brusquement, un de ses brefs mais véritables sourires qui la mettent bien plus mal à l’aise que ses compliments, ou ses emportements.
« Je ne vous ferais pas cette injure, ma dame. Et donc… » Il se penche sur l’échiquier : « … Voici ce qui va se passer. »
Il déplace toutes les pièces lui-même – le coup qu’elle s’apprêtait à jouer, sa propre parade et ainsi de suite, sur quatre tours.
« Eh bien, échec et mat, dit-elle sans pouvoir retenir une note de triomphe.
— Ah, mais vous n’aviez pas pensé à ceci. »
Il exécute un grand roque, son roi est sauf, et le roi blanc… est en échec ? Comment est-ce possible ?
Elle se penche à son tour sur le plateau, plus stupéfaite qu’ulcérée. La configuration des pièces lui saute brusquement aux yeux : l’évêque des Verts se combine avec la reine en retraite et un cavalier. Non seulement son roi est en échec, mais il est mat ! Comment n’avait-elle pas vu cette possibilité !
« On oublie trop souvent cette manœuvre. Mais votre diversion autour de ma reine était fort bien montée. Ne soyez pas trop déçue – prévoir à plus de deux tours de jeu, lorsqu’on débute, c’est bien rare. Et vous en aviez prévu quatre. »
Il esquisse une petite courbette tout en commençant à replacer les pièces sur l’échiquier : « Vous êtes naturellement douée pour la stratégie, ma dame. »
S’il savait ce qu’il dit ! Malgré elle, elle se met à rire. Si elle a autant de chance avec celle qu’elle a élaborée pour endormir sa méfiance, elle n’ira pas loin !
Le baron suspend ses gestes sur l’échiquier pour la contempler d’un air émerveillé : « Vous savez rire aussi ? »
Elle cesse aussitôt, et il se penche d’un air implorant : « Non, non, continuez, je vous prie. »
Elle se renfonce dans son fauteuil, soudain épuisée par toutes ces manigances.
« Ne pourrions-nous… aller dehors, prendre l’air ? C’est assez bataillé pour aujourd’hui », murmure-t-elle.
Elle est sincère. Peut-être l’a-t-il senti.
« Il ne fait pas très beau. »
Il n’a pas dit non.
« Mais plutôt doux, n’est-ce pas ? »
Il hésite.
« Nous pourrions aller au sommet de la tour », ajoute-t-elle. Et tant pis si c’est une concession. Dehors, elle pourra échapper un peu à ce tête-à-tête qui va et vire de manière si déconcertante.
Évoquera-t-il l’incident qui a marqué le début de sa captivité ici ? Mais il se contente de hocher la tête. « Il faut vous couvrir quand même, dit-il avec sollicitude. Il y a du vent, là-haut. »
Elle masque son exaspération en se levant pour aller chercher sa cape dans le coffre à habits.
Le baron l’attend pour se diriger vers la porte, qu’il lui ouvre. Mathias se retourne, s’écarte aussitôt. Au pied de la volée de marches, le baron s’efface pour la laisser passer. Elle monte dans l’espace étroit, une main sur la pile centrale. La flamme des torchères vacille, jetant des ombres dansantes sur le relief des pierres. Le regard de Rébecca accroche une forme nette. Elle s’arrête pour y voir de plus près ; un trait vertical, avec deux traits obliques qui dessinent comme un triangle.
« Thursi, dit la voix du baron derrière elle. C’est une rune. La force de l’instinct. L’Épine, ou encore le Marteau de Thor, dieu de la foudre et du tonnerre. »
Elle se retourne ; il s’est arrêté derrière elle et lui sourit, le visage levé vers elle.
« Connaissez-vous donc les runes, mon seigneur ?
— Ma mère les connaissait et me les a enseignées. »
Une connaissance quelque peu hérétique pour une Christienne. Mais elle n’en fera pas la remarque. Abigaïl et Myriam ont toujours parlé avec un grand respect de la première épouse de Carolus. Rébecca aurait aimé la connaître. Abigaïl disait même avoir appris d’elle en ce qui concernait les remèdes à base de plantes.
Elle continue de gravir les marches. À peine la place de poser le pied. Comment a-t-elle fait lors de sa fuite éperdue pour ne pas tomber ? Il faut croire que le désespoir donne des ailes.
Ils arrivent sur la plateforme. En haut, la sentinelle n’est pas Bosc mais un soldat qu’elle ne connaît pas et qui s’est approché en entendant leurs pas dans l’escalier. Il salue, poing sonore sur la cuirasse. D’un geste, le baron lui fait signe de s’éloigner et il obtempère.
Rébecca s’approche du créneau, délibérément là même où elle avait menacé de sauter. C’est un peu venteux en effet. Elle resserre sa cape. Le ciel est pourtant d’un gris uniforme, laiteux, doucement illuminé par le soleil invisible, quelque part à l’ouest. Elle essaie de se rappeler la dernière cloche entendue : trois ou quatre coups ? Les jours raccourcissent, en tout cas. Ce qui la ramène à sa préoccupation première. Mais il ne faut pas attaquer de front.
Elle laisse son regard errer sur la rivière sans éclat, le damier irrégulier des champs labourés et des chaumes encore noircis par les brûlis et, au loin, la ligne sombre des arbres qui perdent leurs feuilles, des silhouettes de plus en plus ajourées sur l’horizon. Les fumées du village montent devant les fortifications, avec des bruits de marteaux : on travaille toujours à la petite chapelle dont le baron a décidé de doter Angresay, outre celle près de Trédyon. Elle sera dédiée à saint Martin le Généreux, qui a coupé en deux son manteau pour le donner à un pauvre. L’ironie de la chose doit amuser la rapacité du baron. N’a-t-il pas meilleur usage à faire de l’argent qu’il leur vole ? Du moins cette chapelle-ci ne rappellera pas à jamais son geste fratricide.
Mais Cédric est vivant.
C’est devenu comme une prière pour Rébecca, elle ne sait porteuse de quel espoir. Elle se la répète chaque fois qu’elle se sent accablée de son impuissance, furieuse de l’hypocrisie du baron – ou des mensonges auxquels il la contraint.
Elle voudrait lui parler de cette chapelle, un sujet qui le piquerait, sûrement. Le piquer ? Non, elle voudrait lui faire mal, autant de mal qu’il leur en a fait, qu’il leur en fait à tous. Mais ce ne serait ni prudent ni avisé. Elle s’accoude à la pierre qui n’est pas aussi froide qu’elle l’aurait pensé – le soleil a beau être voilé par les nuages, il est toujours là. Elle doit se le rappeler. Ne jamais désespérer. Ne dit-on pas que c’est le péché suprême ?
« On ne voit pas les écailles du dragon dans la rivière, aujourd’hui », dit-elle plutôt, délibérément encore – d’un côté lui rappeler qu’elle a réussi à le faire céder, alors, mais aussi montrer qu’elle se souvient sans animosité de ses folles histoires.
« En effet », dit-il, un sourire dans la voix. Il regarde au loin, les mains croisées dans le dos. Elle observe à la dérobée le profil aquilin. Oui, on dirait bien un rapace, avec ce nez un peu busqué, ces traits osseux et ce regard perçant.
« Mais ce n’était que le soleil, ajoute-t-elle, puisqu’il n’est pas là aujourd’hui pour faire briller l’eau. »
Elle guette sa réaction. Il se contente de hocher la tête, avec un demi-sourire. « Certes. Mais parfois, il est bon de voir autrement.
— De rêver, voulez-vous dire. »
Elle a pris un ton indulgent, avec une note de sévérité. Il ne réagit toujours pas.
« De voir autrement, répète-t-il. Comme tourner le plateau d’un échiquier lorsqu’on joue seul. »
Il a tourné la tête vers elle et vu son sursaut. Il hausse les sourcils : « Vous le faites, n’est-ce pas ? On le fait toujours, au début. Ensuite, la mémoire se transforme, et l’on n’en a plus besoin. J’ai vu un joueur affronter trois adversaires à la fois, et passer d’un échiquier à l’autre sans jamais errer. On peut même jouer des parties sans échiquier, dans sa propre tête. Je l’ai fait un temps, lorsque j’étais prisonnier en Hongrie. »
Elle se détourne pour lui dérober sa stupéfaction. Moins de découvrir monnaie courante ce qu’elle croyait si ingénieux de sa part que d’entendre le baron aborder lui-même un sujet qu’elle croyait absolument interdit. La Hongrie. Son emprisonnement avec Cédric.
Elle se rabroue : a-t-il seulement été prisonnier ? On ignore ce qui s’est réellement passé là-bas. D’après ce qu’elle a pu glaner ici et là auprès de certains hommes d’armes revenus avec lui, en soignant leurs petits maux, on l’avait envoyé chercher des renforts avec Cédric, ils ne sont jamais arrivés au campement et il a reparu des mois plus tard, seul. Tout ce que l’on sait tient à sa seule parole.
Et elle sait quant à elle ce que vaut cette parole.
Mais il lui a offert une ouverture inespérée.
« J’y songerai la prochaine fois que je serai captive », dit-elle, sans trop d’agressivité mais avec juste la bonne petite pointe acerbe.
Il murmure d’un ton navré : « Oh, ma dame… »
Elle secoue la tête : « Non, reprend-elle, de nouveau indulgente. Vous avez été assez bon pour me fournir d’autres divertissements, et je vous en suis reconnaissante. J’aurai beaucoup appris. »
Il la dévisage, comme incertain. « Vous aimez apprendre », dit-il avec lenteur.
Elle incline la tête.
« Vous pourriez apprendre davantage, reprend-il avec une soudaine animation. Être davantage. Y avez-vous jamais songé ?
— Davantage, mon seigneur ?
— Davantage qu’une sage-femme et une guérisseuse de village. Exercer véritablement la médecine. N’est-ce point ce que vous désirez ? »
Elle reste abasourdie un moment, tandis que la blessure douloureuse se ravive en elle.
« Je sais qu’il est des désirs impossibles. »
La phrase résonne amèrement en elle. Et pas seulement la médecine.
« Impossibles ici, peut-être, mais non ailleurs ! »
Penché sur elle, il semble brûler d’un feu intérieur, son regard étincelle. Elle sait ce qu’il veut dire. Elle ne peut croire que c’est ce qu’il veut dire.
« Partir d’ici ? Tout abandonner ?
— Qu’abandonneriez-vous, en réalité ? Une vie étroite et dépourvue de satisfaction, alors que vous pouvez tellement plus !
— Mon père, réplique-t-elle sèchement.
— Votre père n’a nul besoin de vous ! Et de quel droit s’opposerait-il à votre bonheur ? »
Elle secoue la tête, partagée entre la stupeur et un début d’affolement. Mais que dit-il ?
« Je ne pourrais entreprendre seule un tel voyage », dit-elle en s’efforçant de prendre un ton raisonnable, pour le calmer.
« Vous ne seriez pas seule. Vous seriez sous ma protection. »
Cette fois, elle se sent vaciller, s’accroche à la pierre patinée du créneau.
« Que dites-vous là, mon seigneur ? réussit-elle enfin à balbutier.
— Partons ensemble, poursuit-il d’une voix ardente. Je vous achèterai tous les livres que vous voudrez. Nous nous installerons loin dans le sud, où le soleil brille presque toujours. Je serai simplement votre seigneur et vous serez ma dame. »
Elle doit reprendre son souffle, son cœur se débat dans sa poitrine, ses oreilles bourdonnent, elle sent monter comme une nausée.
« Votre concubine ?
— Mon épouse ! Épousez-moi, Rébecca, et je serai digne de vous, je consacrerai mon existence à embellir la vôtre.
— Que dites-vous là, mon seigneur ? » répète-t-elle, d’un ton qu’elle veut cinglant, cette fois. Va-t-il retrouver ses esprits, à la fin ? « Je suis une Juive.
— Cela importe peu là où nous irons. Et de toute manière, nul n’osera y faire allusion. Vous serez l’épouse du baron d’Angresay. »
Elle resserre sa cape autour d’elle. Il n’est pas sérieux ? Il ne peut être sérieux ? Quelle manigance insensée est-ce encore là ? Ou bien a-t-il décidé de basculer définitivement dans la folie, à l’instant, au sommet de cette tour ? Elle entend de nouveau comme il a dit “l’épouse du baron d’Angresay”. Comme si ce titre devait tout lui permettre. Elle va pour rétorquer : “Vous ne seriez plus baron d’Angresay si vous fuyiez en Géminie !”, mais elle se rappelle brusquement leur premier échange, lorsqu’il a entravé sa fuite : Une âme peut toujours être sujette à tentations.
Est-ce donc de cela qu’il s’agit ? Elle sent un calme soudain l’envahir, une froide colère, même si elle est teintée d’appréhension. Il joue la comédie, bien sûr ! Il n’a aucune intention de l’épouser ! C’est Annaïg qu’il veut, et Llétréwyn. Davantage de terres et de richesses pour le baron d’Angresay. Et en attendant, pour se distraire, il veut… la pervertir !
C’en est fini des faux-semblants. Elle lui rend son regard, le menton levé.
« Votre orgueil sera votre perte, mon seigneur », dit-elle en appuyant avec ostentation sur les deux derniers mots. « Le baron d’Angresay se prend-il pour Satan lui-même, à vouloir ainsi corrompre une âme droite ? »
Il ne réagit pas tout de suite. Puis il éclate d’un rire apparemment incrédule : « Et vous prenez-vous pour le Christ au sommet de sa montagne ? Qui parle d’orgueil ici ? »
Un petit tressaillement : elle n’y avait point songé.
« Je suis juive, messire, réplique-t-elle sèchement. Votre Nouveau Testament ne fait point partie de mes Écritures. »
Il la dévisage et une sombre fureur crispe peu à peu ses traits. Il se penche davantage vers elle, et elle doit prendre sur elle pour ne pas se recroqueviller : « Si c’était Cédric qui vous proposait de vous enfuir avec lui, vous auriez déjà accepté, gronde-t-il.
— Cédric ? » Elle éclate d’un rire qu’elle espère insultant. « Cédric est un véritable chevalier, lui ! Il ne proposerait rien de tel. »
Elle le dévisage avec mépris, indifférente à son regard fulgurant : « C’est donc cela ! reprend-elle. Non content d’avoir attenté à sa vie, non content de lui avoir dérobé son nom, son honneur, son domaine, sa promise, vous voulez même lui prendre ma pauvre amitié.
— Votre amitié ! éructe-t-il. Vous l’aimez ! Vous l’aimez d’amour !
— Ce serait inconvenant de ma part, à plus d’un titre, rétorque-t-elle avec froideur. Messire Cédric est mon seigneur. Et je suis juive.
— Ne le répétez pas si souvent, siffle le baron, on pourrait s’en souvenir. »
Elle se contente de garder le menton levé pour le regarder bien en face, sans battre des paupières.
Le silence se prolonge. Le baron est toujours penché sur elle, menaçant. Il est tout près, comme la première fois, elle peut sentir son parfum, girofle et ambre gris. Mais elle refuse d’avoir peur.
Elle prend soudain conscience d’une présence non loin d’eux, en même temps que le baron, qui se retourne d’un geste brutal. Le garde esquisse un geste de recul, mais balbutie : « Une troupe armée sur la route de l’ouest, mon seigneur. »
Le baron traverse la plateforme à pas rapides derrière le garde, pour se rendre là où l’on a vue sur les tourelles du pont-levis et le ruban de la route menant à Elvenn. Elle le suit. Pas de poussière – il a plu l’avant-veille –, mais effectivement, une masse sombre avance, animée du mouvement caractéristique, en tête, de cavaliers. Derrière, un hérissement également en marche, sans doute des hommes à pied munis de lances. Elle a beau plisser les yeux, le tout est encore trop loin pour qu’elle distingue les armoiries des étendards qui flottent en tête.
Elle s’approche du créneau, alarmée par la posture rigide du baron. Il observe avec intensité. Puis il pousse un juron à voix basse, se retourne vers elle d’un geste vif, lui saisit le bras et l’entraîne vers l’escalier. Elle est d’abord trop surprise pour réagir puis elle se fait plus lourde et il doit ralentir, mais il ne s’arrête pas et elle est obligée de le suivre dans les marches.
« Que se passe-t-il ? »
Il ne répond pas. Une fois sur le palier, il ouvre lui-même la porte sans laisser au garde le temps d’intervenir. Après l’avoir poussée dans la pièce, sans avoir lâché son bras qu’il serre douloureusement, il gronde, tout près de son visage : « Si vous tenez à votre vie et à celle de votre père, restez ici et demeurez coite. »
Il fait volte-face et ressort en refermant la porte à toute volée. Elle l’entend dire quelque chose au garde, mais le battant est trop épais. Ce qu’elle entend distinctement, c’est la clé qui tourne dans la serrure.