« Vous semblez avoir bien besoin de repos », remarque Cédric, qui n’a pas bougé au chevet du lit.
Le chien Kourri s’est couché de l’autre côté du lit, la tête sur les pattes. Un chien de guerre, celui-là, malgré son absurde toison. D’où le tient-il ?
Guillem ferme les yeux. Le jeune homme a croisé les bras ; il contemplait la tête bandée de Briann. Vous semblez avoir bien besoin de repos. L’intonation indiquait une intention. Cédric sait à quel point la blessure était grave – mortelle.
Non, pas maintenant !
Du moins n’a-t-il pas dit “vous aussi”. Il ne soupçonne rien de Rébecca.
Guillem garde les yeux fermés un instant. Mais il n’échappera pas à cette conversation, autant se résigner.
« Je ne vous ai pas remercié pour m’avoir soigné, à Nantes, et sur la route, reprend Cédric. Vous m’avez sauvé la vie, je crois. Une guérison… presque miraculeuse. » Il reprend après une petite pause : « Aussi. »
Guillem soupire intérieurement. Il rouvre les yeux. « Il faut en remercier le ciel. »
Cédric s’est tourné vers lui. « Le ciel ? Vraiment ? »
Inutile de répondre à cela.
« J’ai voyagé en Géminie, Guillem. Et j’y ai été soigné. Je sais comment. »
Guillem rouvre les yeux pour tourner la tête vers lui, le dévisage un moment. Mais Cédric l’a mérité, somme toute : « Ce n’était pas moi. »
Le jeune homme se fige. Stupeur. Incrédulité. Ni horreur ni dénégation. Bien. Au bout d’un moment, il souffle : « Rébecca. »
Ce n’était pas une question, mais Guillem se contente de hocher la tête sans le quitter des yeux.
« Elle est… »
Guillem l’interrompt. Briann est inconscient, mais autant ne pas prononcer le mot lui-même.
« Pas vraiment. C’est… particulier. Elle n’en a pas vraiment conscience.
— Mais vous, oui. »
Cédric a déjà retrouvé ses esprits. Bien.
« Sans en être pourvu. Cela arrive seulement à l’occasion, lorsque nous sommes ensemble. » Quelle image ferait comprendre à Cédric, sans trop en révéler ? « Je peux… ouvrir sa porte. Sinon, celle-ci reste fermée. »
Cédric le dévisage, les yeux plissés : « Et vous n’en êtes pas pourvu ?
— Non. »
Le jeune homme s’adosse au mur, les bras toujours croisés, les sourcils légèrement froncés.
Oh, Divine, va-t-il demander davantage d’explications ?
« Elle n’en a pas conscience ? Ne s’en doute-t-elle vraiment pas, maintenant ? »
Elle se doute sûrement de quelque chose. Guillem est trop las pour en être vraiment atterré. Il se contente de hocher la tête en silence.
« Sa mère, sa grand-mère ? »
Il relève avec peine la tête pour le regarder. Cédric a vécu à Angresay. Il a connu les femmes Jakobsen, et de près : elles soignaient sa mère. On peut bien acquiescer.
« Abigaïl était comme moi, je pense. »
Le feu crépite dans la cheminée. Quelque chose craque, un meuble, une pierre. Cédric s’est adossé au mur, à la tête du lit. Guillem se sent vaciller sur le tabouret.
« Oh, ma pauvre Rébecca », murmure enfin le jeune homme.
Et cette fois, Guillem est surpris de tout ce qu’il entend là de tendresse navrée. Cédric comprend ce qu’a dû être le procès pour elle. Et sa générosité : qu’elle ait délibérément choisi de sauver Briann ensuite…
Le silence se prolonge.
« Elle va partir, reprend Cédric d’une voix qui s’éraille. Elle ne peut pas rester ici. Ils iront dans le sud. »
Il saisit vraiment vite, songe vaguement Guillem. Il sent sa tête retomber sur sa poitrine, se reprend avec un sursaut.
« Ce sera pour le mieux. » Il se rend compte que ses paroles sont presque inintelligibles ; il n’arrive pas à garder les yeux ouverts.
Cédric se détache du mur.
« Vous êtes épuisé, dit-il avec sollicitude. Vous devez aussi vous reposer pour de bon. Allez. Je vais faire chercher Margit. »