Née en 1905 à Anvers, Évelyne Pollet a publié, de 1926 à 1964, huit romans et recueils de nouvelles, et collaboré à plusieurs journaux et revues belges ; depuis 1955, elle est attachée à la Radiodiffusion belge.

Peu après la découverte de Voyage, en janvier 1933, elle écrit à l'auteur pour lui faire part de son bouleversement.

 

« Je ne sais ce qui l'emporta chez moi, de l'admiration, de la surprise ou d'une tendre pitié pour un homme que je devinais solitaire, condamné à aller de ville en ville, de femme en femme. En même temps, j'appréciais son extraordinaire humour, doublé d'une vitalité telle que du Voyage, je sortis non pas démoralisée, mais stimulée. »

(Lettre privée d'avril 1976.)

 

Céline répond aussitôt et lui promet une visite à Anvers. Il y en aura dix en tout, de 1933 à 1941 ; ses premiers séjours sont consacrés à visiter le port, les musées, le zoo. Par la suite, seules l'attireront les plaines désolées qui bordent l'Escaut.

On retrouve dans ces lettres la plupart des préoccupations de toujours : la peur de l'avenir (lettres nos XVI, XIX, XXXVII), l'obsession de l'exil (no XXXVI), de la sécurité matérielle (nos XI, XVI, LIV, LV, LVIII) ; son attachement à Brueghel (nos II, VII), Jérôme Bosch (no XXXV), la perfection physique (nos I, XIII), les Flandres (nos II, XXII, XLV, LI, LIV) ; des allusions à divers sujets d'actualité, dont certains seront développés dans les pamphlets : affaire Nozières (no XV), villes-torture (no XXXIII), sottise aryenne (no XLVI), conditions désastreuses de l'édition et de la littérature (nos XV, XVII, XXII, XXV, XXVI), etc.

Outre les recommandations que Céline aime à prodiguer à ses correspondantes, on y trouve plusieurs conseils d'ordre littéraire (nos II, IV, VIII, IX, X, XI, XII, XIV, XVI, XXXIX, XL, XLIII, L), souvent ambigus, à peine développés, mais qui forment un complément appréciable aux lettres à Milton Hindus et à ses Entretiens avec le professeur Y.A cette époque, on le sent réticent à se livrer dans ce domaine : les allusions à la littérature se font au fil des lettres plus discrètes, pour devenir de brefs rappels conventionnels en bas de page. Quelles que soient ses préventions contre la littérature féminine, il ne cherche jamais à contrarier la vocation de sa correspondante, transmettant plusieurs manuscrits et intercédant auprès de Denoël ; mais il lui conseille à plusieurs reprises la voie parallèle du journalisme qui peut améliorer sa situation matérielle précaire.

Évelyne Pollet lui consacre, en mai 1937, un premier article dans Cassandre (« Céline et l'Escaut ») ; il se déclare enchanté. « N'hésitez jamais à vous servir de moi, écrit-il, et dans n'importe quel sens » (lettre no XXXII). Mais lorsqu'il apprend, quelques mois plus tard, qu'elle a rédigé pour le même hebdomadaire une défense de Bagatelles, durement accueilli par la presse belge, il lui adresse de véhéments reproches (no XXXVIII).

Leur liaison prend fin en mai 1939 ; persuadée qu'elle doit témoigner de cette expérience, mais que ce témoignage réclame la forme romanesque, Évelyne Pollet rédige de 1941 à 1942 Rencontres (titre définitif : Escaliers), récit autobiographique qui lui permet de préciser certaines pensées céliniennes ébauchées (ou absentes) dans ses lettres, et de brosser un portrait qui se veut objectif du Céline des années 1933-1939. Aux dires de l'auteur, la plupart des dialogues sont fidèlement restitués et la chronologie des événements respectée. De fait, on peut, à la lumière de la correspondance, dater précisément toutes les « séquences » du récit, qui est étayé par neuf fragments de lettres dont six sont publiées ici (nos I, II, III, VI, XVIII, XXV, figurant respectivement aux pages 19, 20, 19, 23, 61 et 107 du livre). Les trois autres (pages 21, 137 et 157, qui datent du 12 mars 1933, de mars et juillet 1939) sont perdues1.

Le manuscrit fut soumis en 1943 à Robert Denoël, qui n'eut pas le temps de le mettre en chantier. L'auteur le conserva plus de dix ans avant de le proposer – sans remaniements – à un éditeur bruxellois, qui le publia en 1956.

Des 61 lettres et billets publiés ici, treize sont inédits (nos XX à XXV, XXVII à XXIX, XXXI, XXXIV, LIII, LVII). Les autres ont paru dans le cahier de L'Herne no 3 consacré à Céline, d'après une copie dactylographiée qui s'avère souvent fautive.

La datation des lettres a été établie par Évelyne Pollet en vue de leur publication dans L'Herne (1963), grâce aux timbres à date figurant sur les enveloppes, ou en faisant appel à sa mémoire (notamment pour les billets annonçant l'arrivée de Céline à Anvers). En l'absence de ces enveloppes, il n'est plus possible de distinguer les dates certaines d'avec celles qui furent rétablies empiriquement.


1 Nous citons néanmoins le texte de chacun de ces billets dans le classement chronologique, tout en signalant sa provenance : lettres II bis, XLVI bis, XLVIII bis.