XVI

Les rubans d’argent

J’erre à travers les rues jusqu’à la fin de la nuit. Fatigué et triste, je finis par m’arrêter sur l’avancée noircie d’un des ponts brûlés. Le spectacle sur la rive opposée est effrayant, mais fascinant. Pas de Sillons du Diable dans les rues et sur la berge, de l’autre côté du fleuve à sec. Les Ratakass y sont assemblés à l’air libre. Ils forment une nappe lumineuse et compacte dont l’éclat s’estompe avec l’apparition du jour. Disciplinés et grouillants, ils attendent l’ordre musical qui les fera déferler sur nous.

– Tou né portés pas tes gants-griffés, pétit chat ?

La voix de M. Crapoussin me fait sursauter. Je ne l’ai pas entendu arriver. Il se tient à côté de moi, avec Mama Pouss installée sur le sommet plat de son chapeau, au niveau de mon visage. Elle entrouvre ses yeux dorés, laisse échapper un petit roucoulement en me reconnaissant, puis se rendort tranquillement.

– Chat Noir ne sort que la nuit. De plus, si les Ratakass me paralysent, je préfère que l’on ne découvre pas ma double identité. Et puis… à quoi pourraient servir mes acrobaties, maintenant ? La défaite est inévitable.

– Quel défaitismé, pour oun jeuné hommé ! Régardé ton vieil ami dé Crapoussin, est-cé qu’il désespéré ? Jamais !

M. Crapoussin sourit largement, révélant ses grosses dents espacées qui lui donnent un air comique. Il tourne sur un pied comme une danseuse, puis s’incline dans un salut en direction de l’ennemi et tire la langue. Mama Pouss ouvre un œil et le referme. Je ris devant l’optimisme de ce petit bonhomme que rien ne semble abattre.

– Allez, oublie ton codé noctourne et va enfiler ta peau dé Chat Noir. Jé té rétrouvé à la roulotté. Cagouillé té cherché partout. Il a bésoin dé toi.

– Cagouille ? Ça m’étonnerait, il m’en veut à mort. Besoin de moi pour quoi ?

– Pour sauver lé royaumé, pardi !

M. Crapoussin s’en va en sautillant, ce qui dérange la minette somnolant sur son perchoir. Avant de partir vers le château, je jette une pierre dans le fleuve asséché. La vase est encore molle, mais pas assez pour engloutir le projectile. D’ici peu, les rayons du soleil l’auront assez affermie pour permettre l’assaut des Ratakass.

 

Cagouille m’attend dans la roulotte. Il m’accueille en m’offrant une tasse de lait réchauffé avec du miel.

– Qu’est-ce qu’il y a dedans ? De l’arsenic ou du venin ?

Il hausse les épaules et pioche un morceau de tissu sur lequel on a écrit avec un morceau de charbon.

– Tu n’es plus fâché ? Je ne suis plus une raclure de… de je ne sais quoi ?

– Nan, j’ai eu tort de m’importer. Tiens, lis çaille, ça vient de Sibylle.

– Où est-elle ?

– Dans un cachot, pardisse ! Ça t’étonne ?

Le message est écrit sur un morceau d’étoffe que la jeune fille a dû déchirer dans sa robe.

 

Cagouchou, ne reproche rien à CN, il a agi de bonne foi. Les apparences sont trompeuses. Important : nous pouvons vaincre les Ratakass, avec l’aide de CN. Reviens tout à l’heure pour des instructions. Espoir !

 

– Incroyable ! Comment as-tu eu ce message ?

– C’est Renarde et Gaspard. J’les ai envoyés dans un soupirail des cachots, pour qu’y trouvent Sibylle et lui t’nir compagnie. Pis y sont revenus a’c ce message dans la gueule.

– Tu as la suite ?

– Pas t’encore. Le père Crapoussin y est r’tourné a’c les rats. Je l’attends.

La porte de la roulotte s’ouvre et M. Crapoussin fait son entrée. Mama Pouss lui passe entre les jambes et saute sur mes genoux, intéressée par le contenu de ma tasse. Renarde et Gaspard sont perchés sur les épaules du petit homme. Ils tiennent chacun un morceau de tissu plié dans la gueule. Deux messages de Sibylle !

– Oun messagé pour Chat Noir ! Et lé sécond pour la Cagouillé. C’est marqué déssous.

Les deux rats savants délivrent leur courrier. Je déplie le mien et commence à lire à haute voix :

 

Mon Cagouchou, chaque minute sans toi est une éternité de tristesse. Tu es mon gros amour d’amour et même dans ce cachot « pourrite », comme tu dirais, penser à nous deux me…

 

Cagouille devient tout rouge et m’arrache le message des mains. Tout gêné, il se met à enguirlander Gaspard qui me l’a donné.

– S’pèce de rat savant d’mes chausses ! Va donc z’apprendre à lire avant d’jouer les facteurs !

Gaspard couine avec indignation, lui montre son derrière et fouette l’air de sa grande queue effilée. Je récupère le message qui m’était destiné, portant les initiales CN.

 

Instructions : le sommet de la tour nord-est du château appartient à mon père. Tu dois t’y rendre au plus vite. Couloirs et escaliers sont gardés, un étranger ne peut pas accéder par là. Mais CN peut y grimper en escaladant la tour.

Là-haut se trouvent des volières. Cherche la plus grande, dont l’intérieur brille de mille feux. À l’instant précis où les Ratakass passeront à l’attaque, libère les colombes qu’elle renferme. Tout ira bien. Bonne chance !

 

Cagouille me passe mon sac à double fond contenant l’équipement de Chat Noir. J’enfile mes gants-griffes en silence. M. Crapoussin détache une plaque dans le plafond et je me retrouve directement sur le toit de la roulotte.

– Tous nos espoirs réposent sour toi, pétit chat. C’est la dernièré chancé dé sauver lé royaumé !

– DE QUELLE MANIÈRE… PAR UN LÂCHER DE COLOMBES ? C’EST RIDICULE !

Mes soupçons au sujet de Sibylle resurgissent devant l’absurdité du plan qu’elle propose.

– Mais alors, tou n’as pas compris ? Les colombés, c’est oun signal !

– UN SIGNAL ? POUR QUI ?

– Nous verrons bien. Allez, va vité !

 

Le sommet de la tour nord-est forme une grande terrasse, calme et paisible. Après une escalade épuisante, je me glisse entre les créneaux pour me retrouver dans un surprenant jardin suspendu. Toutes sortes de plantes et d’arbustes poussent ici, dans de larges bacs. D’innombrables fleurs colorées répondent au plumage des oiseaux qui, répartis dans des volières spacieuses, chantent et s’ébattent, insouciants du drame qui se joue cent coudées plus bas.

Je me penche sur le vide. Comme tout semble petit, au sol ! Le lit sombre du fleuve qui craquelle comme une vieille peau, l’armée royale dont les casques renvoient des éclats lumineux tout autour de l’île, et, de l’autre côté, le grand tapis velu que forment les Ratakass prêts à fondre sur leurs adversaires. Vu d’ici, on croirait un jeu, une carte, une enluminure…

Dans la partie de Coronora tombée aux mains de l’ennemi, les troupes de l’Archiduc, assemblées en colonnes, font comme des rayons d’acier le long des rues. L’une de ces formations s’anime, les hommes s’écartant pour laisser passer un groupe de cavaliers. C’est le prince Viktar, escorté de ses Discoboles. Il se rapproche de la rive !

Je découvre sans mal la volière mentionnée par Sibylle. C’est une grande structure cubique, aux parois faites de filets. Elle héberge une foule de colombes, blanches pour la plupart. Chacune d’elles porte un long ruban argenté autour du cou, qui fait miroiter la lumière du soleil. Leur ensemble est éblouissant. La volière, comme l’a dit Sibylle, en brille de mille feux.

L’urgence de la situation ne se prête pas aux rêveries. Le prince Viktar a stoppé sa marche. Je le distingue mal, mais je devine qu’il a dégainé sa flûte et qu’il se met à jouer. Oui ! Car voici que la horde de Ratakass se met en mouvement ! Ils avancent, se répandent comme une marée dans le lit du fleuve qui disparaît sous leur nombre ! Ils forment un anneau gigantesque qui se referme autour de l’île assiégée.

Je me rue vers la volière. En quelques coups de griffes, je tranche les cordes qui la maintiennent. Les filets tombent et je m’agite au milieu des colombes pour les faire s’envoler. Alors, elles s’élèvent ensemble, groupées, formant un grand nuage étincelant dans les rayons du matin. Elles montent, montent, puis se mettent à décrire une large spirale. Cette vision enchanteresse, comme un bouquet d’étincelles, doit se voir à des lieues à la ronde.

Pendant ce temps, les Ratakass poursuivent inexorablement leur course. Dans un instant, ils atteindront l’île. Ils sont si proches que j’entends maintenant le piétinement funeste de leurs pattes sur la vase sèche.

 

Soudain, les colombes aux rubans d’argent sont prises de panique ! Leur vol compact éclate et elles se dispersent, affolées, battant bruyamment des ailes. Elles filent en tous sens, on croirait que la mort est à leurs trousses. Elles ont aperçu une autre nuée, bien plus terrible, en train de se former dans le ciel.

Masquant le ciel bleu, ils arrivent par vagues et par centaines. La source d’où ils surgissent semble intarissable. Ils s’échappent de la frondaison des bois qui enveloppent Coronora, pour se rassembler dans les cieux et venir tournoyer au-dessus de nos têtes. Leur mouvement circulaire donne l’impression qu’une tornade vivante couronne la ville. Leur nombre est si grand que l’ombre de leur vol trace un cercle immense sur la zone du fleuve.

Alors, avec un ensemble à vous couper le souffle, ils se laissent chuter et fondent sur les Ratakass. Le fracas de leurs ailes est terrifiant. C’est une armée de rapaces. Faucons, éperviers, buses, et même des aigles ! Leur attaque est fulgurante. Ils plongent comme des flèches sur les rats et l’on peut entendre le choc des impacts lorsqu’ils rencontrent leurs proies. Les ravages qu’ils font parmi la horde sont terribles ! Dès le premier assaut venu du ciel, l’armée de Ratakass est dispersée, désagrégée.

Chaque oiseau, selon sa taille, s’empare d’un ou plusieurs rats. Je vois des aigles en emporter trois, et même quatre à la fois ! Un ou deux dans chaque serre, un autre gigotant dans le bec, ils les emportent vers le ciel. Puis ils les laissent tomber dans la campagne, au-dessus des bois, des mares et des lacs ! Ensuite, débarrassés de leur capture, les rapaces reviennent à la charge. La manœuvre est d’une incroyable efficacité ! Après de nombreux assauts, en moins d’un quart d’heure, ces puissants chasseurs ont vaincu notre invincible ennemi. L’armée des Ratakass a totalement disparu !

Leur tâche accomplie, les fiers rapaces regagnent la forêt d’où ils ont surgi et disparaissent sous le feuillage. Éberlué, incrédule, j’ai l’impression d’avoir assisté à un miracle. Mais derrière ce tour de magie se cache une stratégie finement orchestrée par Sibylle et son père.

À nouveau, le lit du fleuve est à nu. Cependant, il ne le reste pas longtemps. Bientôt, ce sont les sabots des cavaliers de la Reine qui le recouvrent. Après quelques instants de stupeur, des cris de joie et de ralliement s’élèvent partout sur l’île. Le Connétable a ordonné la charge ! Chevaliers et fantassins se lancent à l’attaque et traversent, avec une fougue qui doit faire trembler les troupes de l’Archiduc. En face, coincés dans les rues étroites, l’ennemi s’apprête à recevoir le choc. Cette fois, c’est un vrai combat qu’il va devoir mener ! Et contre les meilleurs bataillons du royaume !

 

Je redescends dans la cour du château, désertée par tous les chevaliers partis combattre. Dans la roulotte, je ne trouve personne. J’ôte ma tenue de Chat Noir, puis je fonce jusqu’au fleuve pour observer la bataille. Quelle n’est pas ma stupeur en rencontrant Cagouille, avec d’autres cavaliers, sur le point d’aller rejoindre le front !

Je l’interpelle, il s’arrête un instant et me lance joyeusement :

– Bravo, Sashouille ! Félixétations ! Sans leurs Ratachiass, y doivent z’appeler leur mère, maint’nant.

– Mais où vas-tu comme ça ?

Le cheval, pris dans l’excitation, se cabre fougueusement et manque de flanquer Cagouille par terre. Mais mon copain tient bon.

– Ficher une trempe à cette bande de chofiottes ! T’as oublié que ch’uis chevalier ?

– Mais, tu es fou ? Et tu n’es même pas armé !

– Et ça, c’est quoille ?

Cagouille élève au-dessus de sa tête un énorme jambon qu’il brandit comme une massue. Il pousse un cri de guerre ! Sa monture fait volte-face et l’emporte au galop, vers les rues d’où nous parvient le fracas de la bataille.

*

Sibylle a découpé des bandages frais dans un drap de lin parfumé. Avec une infinie tendresse, elle remplace les pansements tachés de Cagouille, sur les blessures qu’elle vient de nettoyer.

– Mon pauvre Cagouchou ! Heureusement que tu es grassouillet. Sans ça, il y a des coups d’épée et quelques flèches qui auraient pu t’achever.

À distance, je jette des cerises dans la bouche de mon copain installé sur une banquette. Il les avale et recrache les noyaux à une vitesse prodigieuse.

– Un jambon pour masse d’armes et ta graisse pour armure, mon vieux, tu comptes tournoyer dans les charcuteries ?

– C’est çaille, fichez-vous d’ma pomme. N’empêche que j’en ai z’assommé quand même plus de trente !

– Ah bon ? Hier, c’était seulement vingt.

– Et avant-hier, juste une douzaine.

– Oh, eh, oh ! Vous comprenez rien à la modestrie.

 

Une fois Cagouille rafistolé, nous rejoignons tous les trois M. Crapoussin à la roulotte. Il enfile un costume de grand seigneur pour assister, avec nous, au procès qui se prépare.

Hier, c’était le jour de rendre les honneurs au père de Sibylle, à sa fille, ainsi qu’à la confrérie des fauconniers. En grand secret, ils ont organisé le plan ultime contre les Ratakass. Sans que personne s’en doute, le fauconnier de la Reine a fait appel à ses confrères dans tout le pays, et les a rassemblés dans les bois avoisinants. Leur discrétion a garanti le succès de cette opération de longue haleine. Le mérite de la confrérie est si grand que Sa Majesté a décidé de faire ajouter le faucon à l’emblème du royaume.

Aujourd’hui, c’est pour juger ses ennemis que la Reine rassemble la cour. Hélas, ils ne sont pas tous entre nos mains. L’Archiduc et Phélina attendent le procès dans leurs cachots. Mais le prince Viktar et ses Discoboles ont disparu. Plutôt que de livrer le dernier combat, ils ont fui et disparu sans laisser de trace.

Nous entrons dans la salle où le réquisitoire contre l’Archiduc a déjà commencé. La Reine semble impatiente et met fin à la longue énumération des griefs contre le félon. Elle fait taire le Chancelier, se lève, et se plante devant son ennemi. Celui-ci, que nous voyons de dos, a les épaules voûtées sous sa pelisse luxueuse.

– Mon cousin, je ne décolère pas contre vous ! Vos manigances, votre ambition, votre félonie… Tout ça ne me surprend guère, et je m’en veux, autant qu’à vous, de ne pas vous avoir fait surveiller davantage alors que je connais votre esprit.

– Ma cousine…

– Silence !

– Votre Majesté…

– J’ai dit silence, Baudouin de Motte-Brouillasse ! Non, ce que je ne peux digérer, c’est que votre félonie ait pu aller jusqu’à tenter de me faire assassiner.

– Comment ? Mais, jamais !

– Vous le niez ? On a introduit dans ces murs deux Ratakass, dont l’un était porteur d’un poison mortel destiné à ma personne. Vous l’ignoriez ?

– Je l’ignorais ! Je le jure sur mon honneur ! Sur la tête de notre grand-père commun le roi.

La Reine sourit avec malice.

– Je veux bien vous croire. Après tout, vous ignoriez également qu’un sort à peu près semblable vous était réservé par votre… « allié ».

L’Archiduc, interloqué, demande des explications. Le Chancelier se charge de lui apprendre comment le prince Viktar comptait se débarrasser de lui, grâce au livre de musique.

– Ah, le traître ! Le félon ! L’immonde chien ! Le…

– Voyez, cousin, comme il est doux de se sentir trahi par ceux que l’on croit fidèles.

Alors se passe une chose incroyable ! Jamais je n’aurais cru voir un jour cet homme de fer s’écrouler. Et pourtant, il tombe à genoux, éclate en sanglots, se frappe la poitrine, s’humilie et s’injurie, faisant même le geste de s’arracher les cheveux, quoique son crâne n’en ait pas vu pousser depuis longtemps.

– Je suis un misérable ! J’ai trahi nos ancêtres. Le venin de l’ambition a corrompu mon bon sens. Un misérable ! Un gredin ! Un moins que rien…

– N’en faites pas trop, mon cousin.

L’Archiduc se relève et se retourne. Son visage affiche un remords que j’ai du mal à croire sincère. Il s’assied sur son tabouret et reste prostré. La Reine réfléchit et appelle son Chancelier. Elle lui glisse quelques mots à l’oreille, qui le font sursauter. On peut l’entendre murmurer sur un ton stupéfié :

– Votre Majesté, c’est impossible ! Vous n’y pensez pas !

Mais la Reine semble décidée. Elle rajuste sa couronne, empoigne son sceptre, fait lever l’accusé et prend un air solennel.

– Archiduc Baudouin de Motte-Brouillasse, écoutez mon verdict !

Le Chancelier tente d’intervenir avec un « Majesté, je vous en conjure… ». Mais elle l’ignore royalement.

– Mon cousin. Vous êtes un ambitieux, un jaloux ! Mais malgré tous vos défauts, personne ne saurait administrer mieux que vous le commerce à Deux-Brumes. De là dépend grandement la prospérité du royaume. Si vous conservez votre rang, vous pouvez encore être utile. Je sais que vous êtes un homme d’honneur. Jurez-vous, sur le sang de nos ancêtres, de devenir mon loyal féal ?

– Oui, ma cousine, je le jure.

– Jurez-vous de ne plus convoiter le trône, et de vous comporter en fidèle serviteur de la couronne ?

– Sur ma vie, Votre Majesté, j’en fais le serment !

L’Archiduc se frappe la poitrine si fort qu’il se met à tousser. Le Chancelier a l’air désespéré et lève les yeux au ciel.

– Eh bien, dans ces conditions, je vous pardonne. Retournez à Deux-Brumes, dans votre château, retrouvez votre duché. Et faites régner la paix et la justice en mon nom.

L’auditoire est sidéré ! Moi aussi. Je me demande si j’ai bien compris ce qu’elle vient de dire. Un brouhaha a envahi la salle. La Reine élève son sceptre et le silence se rétablit. Puis elle poursuit :

– Cependant, mon cher cousin, sachez que vous serez surveillé. Et que le moindre manquement à vos serments déclenchera votre perte sans appel.

– Bien, ma cousine. Nommez ceux que vous souhaitez placer autour de moi. Je leur ouvrirai les portes de ma demeure, ils y seront chez eux.

– C’est inutile ! Celui que je choisis pour vous surveiller habite dans l’ombre. En ce jour, par décret officiel, j’accorde au sieur Chat Noir le titre officiel de gardien de Deux-Brumes.

– Ch… Ch… Chat Noir ? Me… m… me surveiller ? Moi ?

– Oui, mon cousin. En voilà un que vous n’achèterez pas. Et qui maintes fois m’a prouvé sa fidélité.

– Chat Noir !

L’Archiduc hurle mon nom avec une rage qui me donne le frisson. Des gloussements amusés parcourent l’assistance, aussitôt interrompus par une intervention inattendue.

La porte de la salle s’ouvre en grand sur trois hommes d’armes à bout de souffle, blessés et en grand désarroi. La foule s’efface pour les laisser avancer jusqu’au trône. L’un d’entre eux, dont le sang coule à travers la cotte de mailles, jette devant lui un disque de métal sanguinolent.

– Votre Majesté, nous escortions la princesse Phélina pour l’amener à son procès. En chemin, des étrangers nous ont attaqués. Voici l’une de leurs armes. Ils ont enlevé la prisonnière et ont disparu avec elle.