18

Une heure plus tôt, Whipple Hill, dans une autre pièce

Si Hugh devenait un jour marquis de Ramsgate, sa première décision serait de changer la devise de la famille. Parce que L’orgueil fait la vaillance n’était absolument pas pertinent s’agissant des générations de Prentice actuelles. Pour peu qu’il eût son mot à dire, il la transformerait en Le pire est toujours possible.

La preuve, il la tenait à la main : la brève missive qui avait été déposée dans sa chambre alors qu’il était dans le petit salon, occupé à briser le cœur de Sarah, à la faire pleurer et, apparemment, à se conduire comme un horrible personnage.

Le billet était de son père.

De son père !

Reconnaître l’écriture familière lui avait été déjà très pénible. Mais ensuite, lorsqu’il avait déchiffré les lignes, il avait découvert, atterré, que lord Ramsgate se trouvait ici, dans le Berkshire. Il logeait au White Hart, l’auberge la plus renommée du comté, et la plus proche de Whipple Hill.

Comment avait-il réussi à obtenir une chambre, alors que toutes les auberges des environs accueillaient les invités du mariage ? Hugh ne s’interrogea pas longtemps. Son père avait toujours traversé la vie à coups de matraque. S’il voulait une chambre, il obtenait une chambre. Et Hugh ne pouvait que plaindre les clients qui avaient été priés les uns après les autres d’emménager dans une chambre moins luxueuse, le dernier se retrouvant dans la grange.

Ce que le mot de son père n’indiquait pas, cependant, c’était la raison de sa venue dans le Berkshire. Cette omission n’étonnait pas vraiment Hugh, le marquis ne jugeant jamais nécessaire de s’expliquer. Il était au White Hart et il voulait s’entretenir avec son fils immédiatement. Point final.

Hugh se donnait en général beaucoup de mal pour éviter toute relation avec son père. Il n’était toutefois pas stupide au point de négliger une convocation directe. Après avoir demandé à son valet de préparer ses bagages, il partit pour le village. Sans doute Daniel ne serait-il pas ravi qu’il ait emprunté l’une des voitures des Winstead. Mais entre la pluie qui continuait de tomber à verse et ses difficultés à marcher, il n’avait guère eu le choix.

Sans compter que c’était son père qu’il était obligé d’aller voir. Si grande fût-elle, la fureur de Daniel contre Hugh ne l’empêcherait pas de comprendre la nécessité dans laquelle il se trouvait de rencontrer le marquis.

— Seigneur, cela ne me plaît pas du tout, marmonna Hugh en se hissant maladroitement dans la voiture.

Il se demanda ensuite si le penchant de Sarah pour le drame n’avait pas déteint sur lui. Car tout ce qui lui venait à l’esprit, c’était : « Je marche au-devant de mon destin. »

L’auberge du White Hart, Thatcham, Berkshire

— Que faites-vous là ? cracha Hugh, à peine fut-il entré dans l’une des salles à manger privées du White Hart.

— Pas de salutations ? demanda son père sans prendre la peine de se lever. Pas de « Père, qu’est-ce qui vous amène dans le Berkshire par cette belle journée ? ».

— Il pleut.

— Et l’herbe reverdit, répliqua lord Ramsgate d’un ton jovial.

Hugh le dévisagea avec froideur. Il détestait cette fausse cordialité.

— Assieds-toi, reprit le marquis en désignant une chaise de l’autre côté de la table.

Hugh aurait préféré rester debout, ne serait-ce que par esprit de contradiction. Mais sa jambe était douloureuse, et son désir de contrarier son père n’était pas assez vif pour qu’il y sacrifie son confort. Il s’assit donc.

— Du vin ?

— Non.

— Il n’est pas très bon, de toute manière, avoua son père, ce qui ne l’empêcha pas de vider son verre. Il faut vraiment que j’emporte mon propre vin quand je voyage.

Hugh gardait un silence glacial, attendant que son père en vienne au fait.

— Le fromage est mangeable, continua ce dernier en s’emparant d’une tranche de pain. Du pain ? On peut difficilement rater une miche de…

— De quoi diable s’agit-il ? explosa Hugh, n’y tenant plus.

De toute évidence, son père n’attendait que cela. Le visage fendu d’un sourire suffisant, il s’adossa à sa chaise.

— Tu ne devines pas ?

— Je ne m’aviserais pas d’essayer.

— Je suis ici pour te féliciter.

— De quoi ? demanda Hugh, suspicieux.

— Ne fais pas le timide, rétorqua son père en agitant l’index. J’ai entendu dire que tu étais fiancé.

— Par qui ?

Hugh avait embrassé Sarah pour la première fois la veille. Comment diable son père pouvait-il savoir qu’il avait l’intention de la demander en mariage ?

Lord Ramsgate eut un geste désinvolte de la main.

— J’ai des espions partout.

De cela, Hugh ne doutait pas. Il n’empêche…

— Qui espionniez-vous ? demanda-t-il, les yeux étrécis. Winstead ou moi ?

— Quelle importance ?

— Immense.

— Les deux, je suppose. Avec toi, il est facile de tuer deux oiseaux avec une seule pierre.

— Vous feriez bien de ne pas user de ce genre de métaphores en ma présence, lui conseilla Hugh.

— Toujours à prendre les choses au pied de la lettre, commenta lord Ramsgate avec un claquement de langue réprobateur. Tu n’as jamais compris la plaisanterie.

Hugh en resta un instant bouche bée. Son père l’accusait de manquer d’humour, lui ? C’en était renversant.

— Je n’ai demandé personne en mariage, affirma-t-il en détachant chaque syllabe. Et je n’ai pas l’intention de le faire dans un avenir proche. Vous pouvez donc plier bagage et aller au diable.

Son père se contenta de rire, ce qui exaspéra Hugh au plus haut point. D’ordinaire, il renvoyait les injures en s’arrangeant pour les rendre encore plus blessantes.

— En avons-nous fini ? s’enquit Hugh froidement.

— Pourquoi une telle hâte ?

— Parce que je vous déteste.

De nouveau, le marquis eut un petit rire.

— Oh, Hugh, quand deviendras-tu raisonnable ? Que tu me détestes n’a aucune importance. Et n’en aura jamais…

Comme Hugh gardait le silence, il s’inclina vers lui en affichant un sourire suave.

— Je suis ton père. Tu ne peux pas te débarrasser de moi.

— En effet, reconnut Hugh. Mais vous pouvez être débarrassé de moi.

Un petit muscle tressaillit sur la joue de lord Ramsgate.

— Je suppose que tu fais allusion à ce document inepte que tu m’as contraint à signer.

— Personne ne vous a contraint, rétorqua Hugh avec un haussement d’épaules insolent.

— C’est ce que tu crois ?

— Ai-je placé la plume dans votre main ? Le contrat était une formalité. Vous le savez aussi bien que moi.

— Je ne sais rien de…

— Je vous ai dit ce qui arriverait si vous vous attaquiez à lord Winstead, le coupa Hugh, le visage de marbre, et cela reste valable que ce soit écrit ou pas.

C’était la vérité. Après avoir fait rédiger le contrat, Hugh l’avait présenté à son père et à son avoué pour leur prouver qu’il était sérieux. Il avait demandé à son père qu’il le signe de son nom – de son nom entier, avec le titre auquel il tenait tant – et qu’il reconnaisse tout ce qu’il perdrait s’il ne renonçait pas à se venger de Daniel.

— J’ai respecté ma part du marché ! s’emporta le marquis.

— Dans la mesure où lord Winstead est toujours vivant, oui.

— Je…

— Je dois dire, l’interrompit Hugh avec un malin plaisir, que je n’exige pas beaucoup de vous. La plupart des gens trouveraient plutôt facile de vivre leur vie sans tuer un autre être humain.

— Il a fait de toi un infirme !

— Non, répliqua Hugh à mi-voix, en se rappelant cette nuit magique sur la pelouse de Whipple Hill.

Il avait valsé. Pour la première fois depuis que la balle de Daniel lui avait éclaté la cuisse, il avait tenu une femme dans ses bras, et il avait dansé.

Sarah avait refusé qu’il se traite lui-même d’infirme. Était-ce à ce moment-là qu’il était tombé amoureux d’elle ? Ou était-ce un moment parmi cent autres ?

— Je préfère me considérer comme boiteux, murmura Hugh, qui ne put retenir un sourire.

— Quelle différence, bon sang ?

— Si je suis infirme, c’est toute ma personne qui…

Hugh leva les yeux. Le visage de son père était rouge comme celui d’un homme ayant trop bu ou prêt à exploser de colère.

— Peu importe, vous ne comprendriez pas.

Lui-même n’avait pas compris non plus, alors. Il avait fallu lady Sarah Pleinsworth pour lui faire percevoir la différence.

Sarah. Pour lui, elle n’était plus lady Sarah Pleinsworth, ni même lady Sarah. Juste Sarah. Elle avait été à lui et il l’avait perdue. Et il ne comprenait toujours pas pourquoi.

— Tu te sous-estimes, mon fils, lâcha lord Ramsgate.

— Vous venez de me traiter d’infirme et c’est moi qui me sous-estime ?

— Je ne fais pas allusion à tes talents athlétiques, répliqua son père, même s’il est vrai qu’une femme aime à avoir un mari capable de monter à cheval, de manier une épée et de chasser.

— Il faut dire que vous excellez dans toutes ces disciplines, ricana Hugh en regardant ostensiblement la bedaine de son père.

Ce dernier ne sembla pas s’offenser de cette pique.

— J’ai excellé. Et j’ai décroché un morceau de choix lorsque j’ai décidé de me marier.

Un morceau de choix. Était-ce vraiment ainsi que son père voyait les femmes ?

— Deux filles de duc, trois filles de marquis et une fille de comte. J’aurais pu avoir n’importe laquelle.

— Quelle chance a eue mère, commenta Hugh.

— Certes, dit lord Ramsgate, totalement imperméable au sarcasme. Son père avait beau être le duc de Farringdon, elle avait cinq sœurs et sa dot n’était pas importante.

— Mais plus importante que celle de la fille de l’autre duc, je présume ? ironisa Hugh.

— Non. Toutefois les Farringdon descendent des barons de Veuveclos, dont le premier, comme tu le sais…

Oh que oui, il le savait !

— … a combattu au côté de Guillaume le Conquérant.

Hugh avait été forcé de mémoriser l’arbre généalogique de la famille à l’âge de six ans. Par chance, il avait des facilités pour ce genre d’exercice. Ce qui n’était pas le cas de Freddie, qui avait eu les mains enflées pendant des semaines tant il avait reçu de coups de canne.

— L’autre duché ne pouvait se prévaloir d’une telle ancienneté, conclut le marquis avec dédain.

— Vous portez la vanité à des degrés jamais atteints.

Son père ignora sa remarque.

— Comme je le disais, je pense que tu te sous-estimes. Tu es peut-être infirme, mais n’oublions pas tes atouts.

Hugh faillit s’étrangler.

— Mes atouts ?

— Un euphémisme pour ton nom.

— Évidemment, murmura Hugh.

De quoi d’autre aurait-il pu s’agir ?

— Tu n’es peut-être pas l’héritier du titre, toutefois, bien que cela me dégoûte au plus haut point de le dire, quiconque se donnera la peine de creuser un peu découvrira que ton fils, à défaut de toi, sera un jour marquis de Ramsgate.

— Freddie est plus discret que vous ne le pensez, se sentit-il obligé de souligner.

Lord Ramsgate eut un reniflement méprisant.

— J’ai réussi à découvrir que tu soupirais après la fille Pleinsworth. Crois-tu que son père ne découvrira pas la vérité au sujet de Freddie ?

Vu que lord Pleinsworth était enterré dans le Devon avec cinquante-trois chiens de chasse, Hugh en doutait. Il comprenait néanmoins ce que voulait dire son père.

— Je n’irais pas jusqu’à dire que tu aurais pu avoir n’importe quelle femme sur laquelle tu aurais jeté ton dévolu, poursuivit lord Ramsgate, mais il n’y a pas de raison pour que tu ne puisses pas décrocher la petite Pleinsworth. Surtout après avoir passé toute la semaine à lui faire les yeux doux au petit déjeuner.

Hugh se retint de répliquer.

— Je remarque que tu ne me contredis pas.

— Vos espions sont excellents, comme toujours.

— Lady Sarah Pleinsworth, reprit son père avec une pointe d’admiration. Je dois te féliciter.

— Abstenez-vous.

— Oh, mon Dieu ! Nous jouons les effarouchés ?

Hugh agrippa le bord de la table. Que se passerait-il vraiment s’il se ruait par-dessus celle-ci et sautait à la gorge de son père ? Personne ne le pleurerait, il en était certain.

— Je l’ai déjà rencontrée, sais-tu ? Rien de très important, bien sûr, juste une présentation lors d’un bal, il y a quelques années. Mais son père est comte. Nos chemins se croisent de temps à autre.

— Ne parlez pas d’elle, l’avertit Hugh d’un ton menaçant.

— Elle est plutôt jolie, dans un genre peu conventionnel. Ces cheveux bouclés, cette bouche un peu trop grande quoique adorable…

Lord Ramsgate agita les sourcils.

— Un homme pourrait prendre goût à un tel visage sur l’oreiller voisin.

— Taisez-vous, siffla Hugh, dont le sang bouillonnait.

— Tu n’as pas envie de discuter de tes affaires personnelles, apparemment.

— J’essaie de me souvenir quand cela vous a gêné.

— Ah, mais si tu décides de te marier, le choix de ta femme me concerne au premier chef !

Hugh se leva d’un bond.

— Espèce de fils de…

— Oh, arrête ! dit son père en s’esclaffant. Je ne parle pas de cela. Encore que, maintenant que j’y pense, ç’aurait pu être un moyen de contourner le problème de Freddie.

Hugh avait la nausée. Il croyait son père capable d’obliger Freddie à se marier, avant de violer sa femme.

Tout cela au nom de la dynastie.

Non, il n’y parviendrait pas. Freddie, bien que calme et discret, ne se laisserait pas imposer un simulacre de mariage. Et, le cas échéant, Hugh pouvait toujours intervenir. Il lui suffisait de se marier lui-même, et de fournir à son père une raison de croire que Ramsgate aurait bientôt un héritier.

Ce qu’il aurait fait avec joie finalement. Sauf que la femme qu’il souhaitait épouser ne voulait pas de lui… à cause de son père. Quelle ironie insupportable !

— Lady Sarah a une dot correcte, continua le marquis comme s’il n’avait pas remarqué la lueur meurtrière dans les yeux de son fils. S’il te plaît, assieds-toi. Il est difficile d’avoir une discussion sérieuse avec quelqu’un de bancal.

Hugh prit une profonde inspiration. Sans même s’en rendre compte, il s’appuyait sur sa bonne jambe. Il se rassit lentement.

— Comme je le disais, j’ai demandé à mon notaire de se renseigner. C’est à peu près la même situation que celle que j’ai connue avec ta mère. La dot des petites Pleinsworth n’est pas importante, mais elle l’est suffisamment si l’on considère la lignée et les relations de lady Sarah.

— Ce n’est pas un cheval.

— Ah bon ? répliqua son père avec un sourire narquois.

— Je vais vous tuer, gronda Hugh.

Son père tendit la main pour prendre une autre tranche de pain.

— Non, tu n’en feras rien. Et, franchement, tu devrais manger un morceau. Il y a plus que je ne…

— Allez-vous arrêter avec la nourriture ? rugit Hugh.

— Tu es vraiment de mauvaise humeur, aujourd’hui.

Au prix d’un effort considérable, Hugh parvint à répliquer d’une voix normale :

— C’est en général l’effet que me font les conversations avec mon père.

— Je suppose que je dois me considérer comme mouché.

De nouveau, Hugh fut éberlué. Son père admettait qu’il avait marqué un point ? Cela ne lui arrivait jamais, pas même lorsqu’il s’agissait d’une simple joute orale.

— Si je me fie à ce que tu dis, reprit lord Ramsgate, j’en déduis que tu n’as, en fait, pas demandé la main de lady Sarah.

Comme Hugh ne répondait pas, il se pencha en avant et, les coudes sur la table, enchaîna :

— La question est : que puis-je faire pour t’aider dans ta cour ?

— Ne vous mêlez pas de ma vie.

— C’est, hélas, impossible.

Hugh poussa un soupir las. Il détestait montrer une quelconque faiblesse devant son père, mais il était épuisé.

— Pourquoi ne me laissez-vous pas tranquille ?

— Tu dois vraiment me poser la question ? répliqua son père, même s’il était évident que Hugh avait parlé pour lui-même.

— Freddie peut encore se marier, dit-il, plus par habitude qu’autre chose.

— Oh, arrête ! Il ne saurait pas quoi faire avec une femme qui s’aviserait de lui saisir la queue et…

Hugh se releva si abruptement qu’il faillit renverser la table.

— Fermez-la ! hurla-t-il. Fermez votre satanée gueule !

Son père parut presque déconcerté par sa virulence.

— C’est la vérité, Hugh. La vérité avérée, ajouterai-je. Sais-tu combien de catins je…

— Oui ! Je sais exactement avec combien de catins vous l’avez enfermé dans sa chambre. C’est ma maudite cervelle. Je ne peux pas m’empêcher de compter, vous vous rappelez ?

Son père éclata de rire. Hugh le dévisagea, se demandant ce qui diable était aussi drôle.

— J’ai compté, moi aussi, éructa lord Ramsgate, hilare.

— Je sais.

La chambre de Hugh étant voisine de celle de Freddie, il avait tout entendu. Lorsque lord Ramsgate amenait des prostituées à Freddie, il restait pour regarder.

— Pour ce que cela nous a avancés, reprit lord Ramsgate. Je croyais que cela aiderait. Que cela donnerait un peu de rythme, tu vois.

Ce fut tout juste si Hugh ne poussa pas un gémissement.

— Bonté divine, taisez-vous.

Il entendait encore compter. La plupart du temps, c’était juste son père, mais il arrivait que l’une des femmes se prenne au jeu et joigne sa voix à la sienne.

Lord Ramsgate gloussait toujours lorsqu’il se leva de sa chaise.

— Un, dit-il en accompagnant le décompte d’un geste obscène. Deux…

Hugh ferma les yeux. Un souvenir venait de jaillir de sa mémoire.

— Trois…

Le duel. Le décompte.

Il avait essayé de ne pas se souvenir. Il avait tenté si fort de ne pas se rappeler la voix de son père qu’il avait tressailli. Et avait appuyé sur la détente.

Il n’avait pas l’intention de tirer sur Daniel. Il avait visé sur le côté.

Puis quelqu’un avait commencé à compter et, soudain, il s’était retrouvé jeune garçon, blotti dans son lit alors qu’il entendait Freddie supplier leur père de le laisser tranquille.

Freddie, qui lui avait appris à ne jamais intervenir.

Le décompte ne concernait pas que les prostituées. Lord Ramsgate aimait beaucoup sa belle canne d’ébène, et il n’hésitait pas à s’en servir lorsque ses fils le mécontentaient.

Freddie le mécontentait toujours. Et lord Ramsgate aimait compter les coups qu’il lui assénait.

Hugh regarda son père droit dans les yeux.

— Je vous hais.

— Je sais, répliqua son père en lui rendant son regard.

— Je m’en vais.

— Non, c’est hors de question.

Hugh se raidit.

— Je vous demande pard…

— J’aurais préféré ne pas avoir à faire cela, l’interrompit son père d’un ton presque contrit.

Sur ce il se leva, contourna la table, et flanqua un coup de pied dans la jambe blessée de Hugh.

Avec un hurlement de douleur, celui-ci s’effondra. Son corps entier se recroquevilla comme pour tenter de contenir la douleur.

— Bon sang ! gémit-il. Pourquoi avez-vous fait cela ?

Son père vint s’agenouiller près de lui.

— Pour t’empêcher de partir.

— Je vais vous tuer, gronda Hugh, pantelant. Je vais vous…

— Non, dit son père en lui appliquant sur le visage un linge humide, à l’odeur douceâtre. Tu n’en feras rien.