Que feriez-vous ? Vous sauteriez de joie devant
l’intelligence de votre oncle ? Vous le prendriez à coups de pied et de poing ? Vous diriez « Je te pardonne, oncle Ernie. Je sais que tes actes, même s’ils sont de funestes erreurs, viennent des meilleures intentions » ? Vous vous mettriez à trépigner d’angoisse ? À crier de douleur ? À hurler de rage ? À taper du pied, à souffler furieusement, à gronder et à cracher ?
Stan ? Il ne fit rien de tout cela. La boîte de conserve le paralysait d’horreur. Il ne pouvait plus bouger. Il ne pouvait plus parler. Ernie tenait délicatement la boîte entre ses mains, décrivant à mi-voix un avenir doré. Stan prit l’air absent, tandis que son oncle parlait de magasins aux étagères remplies de délicates conserves de poissons rouges mis en boîte par Ernest Potts. Il parlait de dîners où l’on dégusterait de Prodigieux Poissons Rouges au Ritz.
Annie s’approcha de son neveu. Elle voulut le serrer contre elle, mais il ne put bouger. Il était comme une statue. Son cœur battait au rythme des mots tragiques du treizième poisson : Mes compagnons ! Mes compagnons ! Oh, mes compagnons perdus !
Alors Stan battit des paupières, toussota et se baissa pour prendre son seau.
– Je crois que je vais aller faire un tour, tante Annie, dit-il.
– Un tour ?
– Oui, un tour.
Ernie sourit.
– Bonne idée, mon garçon ! s’exclama-t-il. Dégourdis-toi les jambes ! Éclaircis-toi les idées ! Respire un peu d’air frais ! (Il fit un clin d’œil à Annie.) Tu vois ? Il s’en remettra, n’est-ce pas, mon garçon ?
Ernie s’écarta, lorsque Stan le frôla en passant. Son oncle tendit la main pour lui ébouriffer les cheveux. Stan se tourna vers lui.
– J’aurais préféré que tu ne fasses pas ça, lui dit-il calmement.
Il ouvrit la porte d’entrée.
– Stan ? appela Annie. Stan ?
– Ne t’inquiète pas pour moi, répondit Stan.
– Tu vois ? répéta Ernie. Il a besoin qu’on le laisse un peu tranquille. C’est tout. (Puis il eut une idée.) Hé, Stan ! Tu pourrais retourner à la fête foraine. Et me rapporter encore quelques-unes de ces petites beautés ! Deux tonnes devraient suffire ! Ha-ha-ha-ha-ha-ha ! Des poissons rouges en boîte ! Ils vont faire tomber les sardines et les thons des étagères. Ils vont anéantir les anchois ! Mes splendides poissons rouges en boîte ! Je suis vraiment formidable ! Je suis un foutu génie du poisson. La fortune et la célébrité sont au coin de la rue… Ha-ha ! Ha-ha-ha-ha-ha-ha !
Stan se retourna, regarda une dernière fois son oncle et sa tante, puis il s’en alla.