– Ah les hommes ! (Nitasha s’assied sur la marche de la caravane.) Tu veux vraiment être le prochain Pancho Pirelli ? demande-t-elle à Stan.
Stan hausse les épaules.
– Je sais pas. Je n’ai jamais réellement voulu quoi que ce soit.
– Ça paraît très dangereux.
– C’est vrai. Mais quand j’ai vu M. Pirelli nager avec les piranhas, j’ai eu comme l’impression que je pourrais le faire, moi aussi.
– Tu parles sérieusement ?
– Oui. J’avais peur, mais je sentais plus ou moins ce que devait éprouver M. Pirelli. Et je sens plus ou moins ce qu’on éprouve quand on est un poisson.
– Qu’est-ce que tu racontes ? s’exclame Nitasha.
– Oui, ça paraît complètement fou. Mais c’est comme ça.
Nitasha éclate de rire.
Elle s’approche de Stan, soulève le col de sa chemise, et regarde son dos.
– Qu’est-ce que tu fais ? demande Stan.
– Je regarde si tu as des nageoires.
Stan éclate de rire à son tour. Il ouvre et ferme sa bouche en formant des avec ses lèvres, comme un poisson dans l’eau.
– De toute façon, dit-il, tu avais tort. Je ne veux pas vraiment rentrer chez moi à Fish Quay Lane. Je crois que j’aimerais bien aller voir l’Amazone et l’Orénoque. Ce serait un sacré changement ! Mais j’ai d’autres choses à régler avant.
– Tes rapports avec ton oncle et ta tante, par exemple, suggère Nitasha.
– Oui, répond Stan.
Nitasha soupire.
– Je suis désolée d’avoir été aussi désagréable avec toi, dit-elle.
– Ne t’inquiète pas pour ça.
– Si, je suis vraiment désolée. Tu crois qu’ils vont essayer de te retrouver ?
– Hein ?
– Tu crois que tu leur manques et qu’ils vont essayer de te retrouver ?
Stan hausse les épaules.
– Sais pas, dit-il.
Il pense à Ernie, qui était devenu si bizarre.
Et qui est peut-être devenu encore plus bizarre qu’avant.
– Est-ce qu’ils t’aimaient ?
– Oh oui, répond Stan.
– Alors ils viendront te chercher. Et peut-être qu’ils te trouveront.
– Peut-être. Mais quand ils me trouveront, ils trouveront un Stan différent de celui qu’ils croyaient chercher.
Nitasha sourit.
– Ils trouveront un Stan qui est un peu plus poisson qu’avant.
– Oui, dit Stan, et pendant un moment il pense à Annie et Ernie. (Il espère qu’il leur manque, à présent ; il espère qu’ils sont partis à sa recherche.)
Puis il regarde de nouveau Nitasha. Elle est si différente, aujourd’hui. Voilà encore quelqu’un d’autre qui est en train de changer.
– Et toi, qu’est-ce que tu veux faire ?
Elle rit.
– La plus Laide, la plus Grosse des Femmes à Barbe qu’On Aura Jamais Vues, répond-elle.
– Tu n’es pas sérieuse, Nitasha !
– Si, je l’étais hier.
– Mais pas aujourd’hui.
– Non. Quelque chose a changé.
– Peut-être qu’on peut tous avoir quelque chose de spécial, dit Stan, si on fait ce qu’il faut pour ça.
– Possible, dit Nitasha. Mais moi aussi, j’ai d’autres choses à régler d’abord. Ce que je voudrais vraiment, c’est que ma mère revienne de Sibérie.
– Peut-être que ça arrivera.
– Oui, qui sait ? Oh, regarde !
Nitasha montre du doigt Dostoïevski et Pirelli, qui s’avancent vers la caravane en portant une table sur laquelle est disposé un petit déjeuner.
– Des toasts, du chocolat chaud, de la confiture, du beurre et des oranges fraîchement pressées, annonce Pirelli.
Ils s’asseyent tous et mangent. Le soleil brille au-
dessus d’eux. La nourriture et les boissons sont délicieuses. Au bout d’un moment, Stan se tourne vers Dostoïevski.
– Monsieur Dostoïevski, dit-il. Je n’ai pas envie d’arrêter de travailler sur le stand de la pêche aux canards. Mais je pense que j’aimerais vraiment essayer de nager avec les piranhas.
– Tu en es sûr, Stan ?
– Oui.
M. Dostoïevski regarde Stan dans les yeux, et dit :
– Finalement, j’ai peut-être tort de me mettre en travers de la destinée d’un jeune garçon. (Il se tourne vers Pancho Pirelli.) Est-ce que vous le formerez comme il faut ?
– Évidemment, répond Pancho.
– Alors, c’est d’accord, conclut Dostoïevski.