Soudain, Stan est là. Il s’avance dans la lumière des projecteurs, sous son nom écrit en lettres capitales. Il porte sa cape, son maillot de bain, ses lunettes de plongée. Il a l’air calme, déterminé. La foule retient son souffle, excitée et ravie. Les enfants poussent de petits cris.
– C’est lui ! murmure-t-on. C’est Stanley Potts.
– Lui ? s’exclame quelqu’un. Ce petit gars tout maigrelet, là ?
– Ça ne peut pas être lui !
– Mais si !
– Il est trop petit.
– C’est pourtant lui.
– Il est trop maigre.
– C’est pourtant lui.
– Il est trop jeune.
– Ça ne peut pas être le vrai Stanley Potts.
Pancho Pirelli avance à son tour sous la lumière des projecteurs, aux côtés de Stanley Potts. Les voix se taisent.
– Voici Stanley Potts ! annonce Pancho.
– C’est donc bien lui, murmurent les uns.
– Je vous l’avais dit, murmurent les autres.
Pancho lève la main pour obtenir le silence. Il tire la bâche et découvre, nageant dans l’eau claire magnifiquement illuminée par les spots, les terrifiants monstres de la mer, les redoutables démons aux dents comme des rasoirs et aux mâchoires comme des pièges.
– Et voici mes piranhas ! déclare Pancho.
Les gens poussent de petits cris, des exclamations, des murmures de surprise, retiennent leur souffle.
Pancho lève de nouveau la main.
– Mesdames et messieurs, dit-il à mi-voix. Vous allez voir quelque chose d’exceptionnel. Vous allez voir quelque chose qui vivra à jamais dans vos rêves.
Autres cris perçants, exclamations, halètements, murmures.
– Mais avant tout, poursuit Pancho, vous devez sortir votre argent, et vous devez payer.
Stan reste sous les projecteurs, pendant que Pancho se promène dans la foule avec son sac en velours. Il remercie doucement chaque fois que les pièces tombent dans le sac. Il encourage les spectateurs :
– Cherchez mieux dans votre poche, monsieur. Un peu plus, peut-être, madame. Voilà qui est mieux, beaucoup mieux. Oh, merci, c’est très gentil.
Il exprime sa déception :
– Est-ce là vraiment tout ce que vous allez donner ? Vous attendez tant de choses pour une somme aussi dérisoire ?
Il déniche les plus réticents.
– Je vous vois. Vous ne pouvez pas échapper au regard de Pancho Pirelli. Nous avons besoin d’argent. Donnez-en, s’il vous plaît.
Une fois ou deux, il hausse la voix, comme s’il était en colère.
– Est-ce que vous vous rendez compte que ce garçon va risquer sa vie pour vous divertir ?
Pendant ce temps, le murmure, l’excitation, ne font que croître.
Derrière la foule, brillant dans l’ombre entre deux caravanes, cinq paires d’yeux observent la scène. Cinq paires d’yeux qui appartiennent à cinq individus baraqués, vêtus de noir.
– Qu’est-ce qui va se passer, chef ? demande l’un d’eux.
– Quèkchose de partigulièrement noir et gluant, répond Clarence P. (Il montre Stan du doigt.) J’aurais dû me douter de ce que manigançait ce monstre sous le projegteur. On aurait dû le coincer là-bas, à Fish Quay Lane.
– Je vous vois, vous savez, leur lance Pancho, en se dirigeant vers eux à travers la foule. Ce n’est pas la peine de vous cacher dans l’ombre. Ne soyez pas timides, messieurs.
– On n’est pas timides, réplique Clarence P. Simplement, on regarde, on ouvre l’œil. On est les enquiteurs de toutes les nuisansses gluantes. Et y a des nuisansses ici, y a anguille sous roche !
– Ah ça, approuve Pancho, il y a même plus que des anguilles !
– Je le savais ! s’écrie Clarence P. C’est absolutement honteux ! On est là pour arrêter ça !
– Arrêter quoi ?
– Arrêter ce qui va arriver ! répond Clarence P.
– C’est-à-dire ? demande Pancho.
Clarence P. plisse les yeux.
– Faudrait pas essayer d’entourlouper Clarence P. Clapp, monsieur Fait-la-manche. Je connais vos combines, et ça marchera pas avec moi !
Pancho sourit. Il se glisse dans l’ombre, et s’approche de Clarence P. Il lui passe le bras autour des épaules.
– N’ayez pas peur, monsieur Clapp, dit-il. Je peux vous appeler Clarence ?
– Non, vous pouvez pas, répond Clarence. Et lâchez-moi, monsieur Fait-la-manche !
– Clarence P. Clapp a jamais peur ! intervient Fred.
– Ah bon ? dit Pancho. Alors, il a peut-être envie de plonger dans l’aquarium ?
Les hommes de Clarence P. le regardent. Ses yeux étincellent à la lueur de la lune.
– Lâchez-moi, j’ai dit ! s’écrie-t-il. C’est rien qu’une aggumulation de mensonges, de la dinguerie, des entourloupages.
– Ah bon ? s’amuse Pancho.
– Ben oui. Ce garçon est un démon, et vous, monsieur, vous êtes la plus gluante des anguilles que j’ai jamais vues.
Pancho éclate de rire.
– Et ces poissons, là… reprend Clarence P. en montrant l’aquarium.
– Les poissons ? demande Pancho.
– … Ils sont pas ce que vous dites qu’ils sont, déclare Clarence P.
– Ce ne sont pas des piranhas ? demande Pancho.
– Non, c’est pas des piranhas.
– Soyons clairs, Clarence. (Pancho pointe le doigt sur Stan et l’aquarium.) Ce garçon, là, est l’un des plus courageux que vous verrez jamais. Ces poissons, là, sont parmi les plus féroces que vous verrez jamais. Et ce courageux garçon va nager au milieu de ces féroces poissons.
Fred renifle avec mépris.
– Ce petit crétin ? Et ces petits poissons ?
– Oui, répond Pancho.
– Je pourrais manger ce petit crétin pour mon dîner, et les poissons pour mon dessert ! se moque Ted.
– Moi, je boirais bien l’eau comme soupe ! ajoute Doug.
– Essayez donc ! réplique Pancho. Venez avec moi à l’aquarium ! Trempez le doigt dedans !
– Ah ah, répond Clarence P. N’écoutez pas, les gars. M. Fait-la-manche essaye de vous tenter et de vous attirer dans ses eaux gluantes. C’est que des tours, des mensonges, des embobinages. Ça n’a ni rythme ni raisin de faire ça, et on veut pas participer à ce genre de spegtacle, monsieur. Lâchez-moi et allez-vous-en ! On surveillera. Et dès qu’on verra une anguille sous roche, on tombera dessus comme une tonne de briques.
Les quatre types éclatent de rire et commencent à entourer Pancho.
– Des poissons minuscules ! grognent-ils.
Ils s’apprêtent à l’empoigner, mais Pancho a disparu, se faufilant de nouveau à travers la foule.
– Soyez forts, les gars ! les encourage Clarence P. Nous sommes dans un des endroits les plus sombres de ce sombre monde. Nous sommes au milieu du pays de Pertéfraka. Ouvrez l’œil, écoutez, et apprenez !
Doug, Alf, Fred et Ted cherchent Pancho des yeux, puis regardent Stan, la foule, les poissons qui nagent gracieusement dans l’aquarium illuminé.
– Un jour, les gars, déclare Clarence P., toute cette dinguerie sera chassée du monde. Y aura plus d’endroits de dingues comme ici, plus de gens dingues comme ceux qui nous entourent, plus d’aguarium de poissons dingues, plus de manigances dingues et gluantes.
– Ce sera une bonne chose, chef, dit Alf.
– C’est sûr, approuve Clarence P.
– Alors y aura plus que des gens comme nous ? demande Doug.
– Ouais, répond Fred. Des gens qui savent ce qui est bien.
– Exact, renchérit Ted. Des gens pas dingues qui savent ce qui est bien dans un monde où y a plus de dinguerie.
– Bien dit, Ted, conclut Clarence P. Même que moi je pourrais pas causer mieux.