Ernie souda, martela, cloua, fora et vissa. Il souleva les planchers et abattit les cloisons. Il construisit un réseau de tuyaux, de conduits, de vannes et de canalisations. Il connecta fils électriques, interrupteurs et tableaux de fusibles. Ses machines s’étendirent, s’étendirent, s’étendirent, jusqu’à occuper chaque couloir et chaque pièce. Des tuyaux et des câbles passaient sous tous les planchers et à travers tous les murs. La maison vibrait au son des moteurs, du cliquetis des guillotines à poissons, et des couteaux, des sifflements et des grincements des scies électriques, du jaillissement de l’eau dans les déversoirs, du bouillonnement de gros chaudrons. Et des cris excités d’Ernie.
– Travaillez plus vite ! Plus dur ! Oh, mes merveilleuses machines ! Oh, comme je les aime ! Poissons, poissons, poissons, POISSONS ! Machines, machines, machines, MACHINES !
Chaque matin, des camions apportaient des seaux de poissons à la porte d’entrée. Chaque soir, des camions chargeaient des caisses de boîtes de conserve de poissons à la porte de derrière. Les affaires marchaient. L’argent rentrait à flots. Ernie n’était plus un ex-travailleur du chantier naval qui tirait le diable par la queue.
Il était un homme d’affaires, un entrepreneur. Son empire grossissait comme un être vivant.
Chaque soir, Stan allait dormir dans son placard, tandis qu’Annie et Ernie se couchaient sous une énorme machine à vider le poisson.
Le lendemain matin à six heures, le réveil sonnait.
DRING-DRING-DRING-DRING-DRING-DRING DRING-DRING-DRING ! ! ! !
Et aussitôt une sirène hurlait :
OUIN-OUIN OUIN-OUIN OUIN-OUIN OUIN-OUIN ! ! !
Et aussitôt un disque tournait :
DEBOUT LES GARS, RÉVEILLEZ-VOUS !
Et aussitôt Ernie criait :
– LEVEZ-VOUS ! ALLONS, TOUS LES DEUX ! DEBOUT ! SIX HEURES, IL EST TEMPS DE S’Y METTRE ! AU
TRAVAIL !
Lorsque Annie grognait et que Stan se plaignait, la réponse d’Ernie était toujours la même :
– TOUT ÇA, C’EST POUR NOUS ! POUR LA FAMILLE ! ALLONS ! IL EST SIX HEURES, IL EST TEMPS DE S’Y METTRE !
Mais un matin, Annie protesta :
– Attends, Ernie !
– Comment ça, « attends, Ernie » ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Je veux dire : ralentis un peu ! Juste pour aujourd’hui.
Ernie était déjà à l’œuvre. Il avait mis ses gants pour vider les poissons. Il faisait cliqueter ses ciseaux et tinter ses clés. Les poissons nageaient, dansaient et ondulaient dans son cerveau.
– Ernie ! cria Annie. Ralentis, juste pour aujourd’hui !
– Qu’est-ce qu’il y a de si extraordinaire aujourd’hui ?
– Tu ne te rappelles pas ? demanda Annie.
– Me rappeler quoi ?
Elle sortit une enveloppe de sous son oreiller et l’agita devant le nez d’Ernie.
– Tu ne t’en souviens pas ? C’est l’anniversaire de Stan !
– Vraiment ? Ah, oui ! Bien sûr. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Stan. (Il haussa les épaules.) Et alors ?
– Alors, soyons gentils avec lui. Faisons les choses qu’on fait un jour d’anniversaire.
– Les choses qu’on fait un jour d’anniversaire ? (Ernie fronça les sourcils.) Qu’est-ce que tu entends par là ?
– Des cadeaux, des fêtes, des sourires, chanter « Joyeux anniversaire », et… surtout ne pas l’embêter avec tes idioties de pilchards, pour commencer.
– Mes idioties de pilchards ? Je te signale, ma chère, que ce sont ces pilchards qui nous font vivre ! Je te signale que…
– Et moi je te signale que si tu n’es pas gentil avec ton neveu aujourd’hui, ta femme se mettra en grève !
Ernie tressaillit.
– Et maintenant, silence ! conclut Annie.
Elle se leva, puis alla sur la pointe des pieds vers le placard de Stan.
– Bonjour, mon garçon, murmura-t-elle.
Stan attrapa ses vêtements de travail.
– Pardon ! dit-il. Je suis en retard ? Je devrais déjà être debout ? C’est l’heure de commencer ?
Mais Annie le serra dans ses bras.
– Joyeux anniversaire, Stan !
Il resta ébahi.
– Comment ? C’est mon anniversaire ?
– Bien sûr, répondit Annie. Tu ne le savais pas ?
Il réfléchit.
– Je me rappelle avoir pensé que c’était peut-être aujourd’hui, mais comme personne n’en parlait, je me suis dit que je devais me tromper. Ou que vous aviez dû oublier.
– Oh, Stan ! Tu crois qu’on pourrait oublier un jour comme celui-ci ? Nous nous en souvenions très bien, n’est-ce pas, Ernie ?
Ernie toussota. Il fit cliqueter ses ciseaux en l’air.
– Oui, bien sûr. (Il essaya de sourire, passant la tête dans l’embrasure de la porte du placard.) Joyeux anniversaire, mon garçon ! Très très très bon anniversaire ! Ha-ha-ha-ha-ha-ha ! Allons, Annie, donne-lui sa carte !
Annie tendit l’enveloppe à Stan. Il la prit. Elle représentait un bateau à voile, et elle contenait un message, quand on l’ouvrait.
– Oh, merci, s’écria-t-il. Merci, c’est la plus jolie carte que j’aie jamais vue !
– Bon, trancha Ernie. Ça suffit, maintenant. Il y a du poisson à mettre en boîte !
Il retourna aussitôt à ses seaux de poissons et à ses superbes machines.
– Quel idiot ! grommela Annie. Laissons-le avec son poisson, et allons prendre le petit déjeuner !
Elle ouvrit un sac en plastique et en sortit des canettes de boissons gazeuses, des barres de chocolat et un grand sachet de bonbons. Stan et Annie se servirent en riant doucement. Toutes les deux minutes, Ernie criait :
– OÙ ÊTES-VOUS ? VOUS ÊTES EN RETARD !
ARRÊTEZ DE TRAÎNER ! AU TRAVAIL !
Mais Annie répétait simplement à Stan :
– Ne l’écoute pas.
Et quand ils eurent fini toutes les boissons, tout le chocolat et les bonbons, elle annonça :
– Écoute, Stan, j’ai une surprise pour toi. Attends-moi ici.