Chapitre 10
Whist le savait de longue date : les techniques militaires urbaines des Zergs étaient incroyablement prévisibles. Ils attendaient, embusqués dans un coin, puis lançaient une charge décérébrée forte d’autant d’unités que le dominant, la reine ou tout autre dirigeant l’avait jugé suffisant pour mener l’assaut à bien.
Il s’était attendu à trouver des ennemis dans le premier angle mort, au premier palier. Rien. Trop prévisible, peut-être, ou alors l’entité qui avait entrepris de parasiter l’esprit de l’équipe souhaitait les déstabiliser un peu plus longtemps. Qu’importe, il n’était pas moins alerte au second palier, et c’était là qu’avait eu lieu l’attaque tant attendue.
Quatre Zergs fondaient sur eux en silence le long du troisième segment de rampe. De la taille de grands chiens, ils étaient un peu plus petits que des zerglings, avec cette posture de cobra propre aux hydralisks et l’invariable multitude de crochets, griffes et crocs meurtriers – distribuée de façon unique chaque fois – dont étaient dotées toutes les variations zergs.
La grande nouveauté était leur coloration. Ces Zergs-là ne présentaient pas le brun foncé caractéristique de la plupart des individus de l’espèce. Marron clair rehaussé de rouge sur les pattes et les griffes, ils disposaient de trois lignes de points écarlates qui filaient d’entre leurs yeux jusqu’à la moitié de leur thorax.
C’était la première fois que Whist voyait cette palette de couleurs chez les Zergs. Les points, surtout, étaient remarquables. De toute évidence, Zagara, quels que soient ses desseins, avait imaginé de nouveaux sbires pour les mettre en œuvre.
Il leva son C-14, les dents serrées pour mieux résister au bourdonnement de plus en plus insupportable qui suppliciait son crâne. Ce parasitage devait être l’une des composantes du traquenard imaginé par Zagara.
OK, il relevait le défi. Whist avait souffert la fatigue, la faim, la déshydratation, les fumées asphyxiantes, la lâcheté des fuyards, les coups du sort qui le condamnaient à une mort quasi certaine et le chaos infernal des champs de bataille, et chaque fois il s’en était sorti. Tanya et lui ne tomberaient pas plus aujourd’hui.
Ce à quoi il ne s’était pas attendu, en revanche, c’était que Tanya s’effondrerait derrière lui sur la rampe. Il eut à peine le temps de se demander ce qui se passait qu’il comprit qu’il venait de perdre la moitié de sa puissance de feu. Plus le choix, il fallait défourailler.
L’espace d’une seconde, il crut avoir l’avantage : sa première salve percuta le Zerg de tête en plein thorax, à quelques centimètres de sa gueule béante, le faisant reculer et transformant sa charge en assaut rampant et grotesque. Soit ils étaient tombés sur des créatures plus vulnérables que leurs pairs, soit il avait eu la chance de toucher un point faible dès le premier tir. Il visa le Zerg suivant avec son C-14, mais se mit à papillonner des yeux. Sa vision se floutait et le monde tanguait devant lui.
Il comprit aussitôt que son heure était venue.
Il peinait à se focaliser sur sa deuxième cible et, avec sa vision vacillante, inutile d’espérer toucher de nouveau le défaut de la cuirasse chitineuse de ses adversaires. Et puis, quand bien même la bonne fortune lui souriait une fois de plus, les deux Zergs suivants auraient raison de lui.
Il allait mourir, Ulavu après lui, puis Tanya, qui gisait sûrement encore sur le sol. Dizz et Erin les suivraient dans la tombe, attaqués à revers, surpris, concentrés qu’ils étaient sur la menace extérieure, convaincus que Whist et Tanya assuraient leurs arrières.
Ils allaient tous mourir, et personne ne saurait jamais ce qui leur était arrivé, les inhibiteurs psi qu’ils avaient eu la bonne idée d’installer sur son armure l’empêchant d’avertir Cruikshank de la manœuvre perfide de Zagara. Ce qu’il pouvait encore faire, en revanche, c’était prévenir Dizz et Erin grâce à son communicateur à courte portée. Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt, d’ailleurs ? Le bourdonnement ajoutait-il à l’engourdissement physique un ralentissement des capacités mentales ?
Peu importait ; bientôt, ce bourdonnement, il ne l’entendrait plus. Il pressa la détente, et le C-14 cracha une salve sur le deuxième Zerg ; la créature percutée de plein fouet partit en arrière et se retrouva sur le dos. Du moins le croyait-il. Sa vision était floue au point qu’il en venait à douter de tout. Les deux dernières masses informes fusaient dans sa direction. Il cilla, tenta de braquer le canon de son C-14 sur l’une des deux, et…
Il écarquilla les yeux, abasourdi : une silhouette méconnaissable venait de pousser le canon de son Gauss d’une main ferme, mais sans agressivité, en passant devant lui.
Il pensa d’abord que Tanya, jusqu’ici sans connaissance, s’était mystérieusement éveillée, puis se dit que, peut-être, c’était Dizz qui, tout aussi mystérieusement, avait senti ce qui se passait et était parvenu à les rejoindre en un clin d’œil. Il cligna deux fois des yeux et secoua la tête. Un instant, sa vision se fit un peu plus nette. Ce n’était ni Tanya ni Dizz qui filaient devant lui, mais Ulavu, les bras écartés comme s’il s’apprêtait à offrir aux Zergs une franche accolade.
Le Protoss serra les poings, et ses épais gants de jardinage se tendirent pour se déchirer aussitôt, tombant en lambeaux. Whist aperçut qu’ils cachaient en réalité des gants plus fins garnis d’un système métallique complexe rattaché au poignet. Avant même que le tissu déchiqueté ait touché le sol, les mécanismes s’activèrent, et des pièces de métal se déployèrent et s’agencèrent en cylindres aplatis. Whist n’avait jamais vu de pièces d’équipement semblables, mais elles lui semblaient néanmoins étrangement familières. Une seconde plus tard, la bouche lui en tomba : au bout des cylindres venaient de s’illuminer les flammes vertes incandescentes de trans-lames.
Ulavu n’était donc pas l’érudit lambda, le scientifique inoffensif, pour lequel il tentait de se faire passer.
Un templier noir protoss…, comprit-il aussitôt.
Les deux Zergs restants essayèrent de s’arrêter en reconnaissant leur nouvel assaillant, mais ils n’y parvinrent pas. Le premier, pris par son élan, cafouilla jusque contre les poings d’Ulavu et s’empala sur les lames scintillantes du Protoss. Le templier noir vacilla légèrement sous l’impact, mais, le temps que le dernier Zerg se jette sur lui, il avait recouvré suffisamment son équilibre pour se lancer dans un habile pas de côté. Sitôt le bond du Zerg esquivé, il le frappa de taille, l’éventrant du thorax à la base de la queue.
Le temps que Whist se rende compte que le bourdonnement n’était désormais plus qu’un bruit de fond, le combat était terminé.
Ou alors, se dit-il soudain, il ne faisait que commencer…
Ulavu prit le temps d’étudier son ouvrage macabre, s’assurant probablement que les deux Zergs étaient morts, puis il s’approcha des deux créatures blessées par Whist et fit en sorte qu’elles ne représentent plus la moindre menace. Alors, regrettant peut-être ce qui venait de se passer, il se tourna vers Whist.
— Vous n’avez rien à craindre, ne vous en faites pas. (La voix du Protoss résonnait entre les tempes de Whist, tandis que ses trans-lames disparaissaient.) Je suis votre allié, soyez-en certain. Je vous saurais gré de ne pas révéler mon secret aux autres.
Méfiant, Whist prit une respiration profonde.
— Pourquoi donc ? pensa-t-il, concentré au possible.
Il jura aussitôt, coupa son communicateur et leva sa visière. Certaines personnes pouvaient sans mal communiquer par la pensée avec les Protoss, mais son esprit se remettait à peine du bourdonnement, et l’effort serait bien trop grand.
— Pourquoi donc ? répéta-t-il à voix haute.
Ulavu jeta un coup d’œil à Tanya par-dessus l’épaule de Whist.
— Je lui mens depuis de nombreuses années, confessa-t-il d’un ton presque coupable. (Une réaction plus qu’inédite, d’après l’expérience qu’avait Whist des Protoss, ces derniers ne faisant jamais montre du moindre embarras.) Apprendre la vérité pourrait susciter chez elle colère et tristesse.
— Non, sans déconner ? répliqua Whist avec tout le sarcasme dont il était capable. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? T’es qui, au juste ?
— Ulavu, répondit le Protoss. Je suis chercheur. Mais pas uniquement.
— Tu es aussi un templier noir, c’est ça ? grogna Whist. (Les tempes encore douloureuses, il repensa à la conversation que le Protoss avait eue avec Dizz un peu plus tôt.) Oh, joli… Dizz t’a demandé si tu avais des lames psi, or ce sont des trans-lames que tu utilises, ce qui est… totalement différent…
— Oui. Totalement, répondit Ulavu.
— Pas en pratique ! rétorqua Whist. Bref, on s’en cogne… Content d’apprendre que les Protoss sont doués d’un sens aussi aigu du détail.
— Je n’avais pas dans l’intention de mentir à qui que ce soit. D’ailleurs, je n’ai jamais dit que la vérité ; j’ai simplement dissimulé ma véritable identité.
— De toute façon, tout ce bla-bla ne te mènera nulle part, parce que ton petit secret ne va plus tenir très longtemps, annonça Whist en désignant les quatre carcasses de Zergs. Sauf si tu as une excuse toute trouvée pour expliquer aux autres les marques de trans-lames sur les Zergs.
Pour toute réponse, Ulavu tira une grenade de sa ceinture.
— Cela devrait suffire à les faire disparaître.
Le Protoss s’apprêtait à s’en servir lorsque Whist lui attrapa le poignet, tout juste conscient que, si Ulavu décidait d’user de nouveau de ses trans-lames, il aurait probablement comme épitaphe : « Whist, le marine qui, malheureusement pour lui, avait perdu la main. »
— Attends, le prévint-il. Non que ça ne me plaise pas d’avoir un combattant de plus dans l’équipe, car on en a sacrément besoin. Mais si je dois jouer le jeu et garder ton petit secret, je veux savoir exactement de quoi il retourne.
Ulavu resta silencieux quelques secondes.
— Le hiérarque Artanis ignore à quel point il peut faire confiance aux Terrans. Les Nérazims ne sont pas moins ambivalents à ses yeux. Tous, nous avons été témoins de la sauvagerie des Terrans au combat, et de leur manque d’unité en tant qu’espèce.
— Dit le Protoss…, grogna Whist. Alors, c’est quoi, l’idée ? Artanis t’a envoyé nous espionner ?
— Vous observer, le corrigea Ulavu qui, de l’avis de Whist, n’en jouait que davantage sur les mots. Il aimerait savoir si l’unité terrane et la cessation de vos conflits internes sont des objectifs réalistes. De la même façon, il veut s’assurer que la férocité dont vous avez fait preuve en combat ne se retournera pas contre les Protoss.
— Ça va peut-être étonner le combattant pure souche que tu es en réalité, mais les Terrans en ont ras les miches de guerroyer, ces temps-ci. Et même si ce n’était pas le cas, crois-moi, on n’est pas assez timbrés pour lancer l’assaut contre vous.
— Je te crois, sergent Foster Cray. Pour autant, on m’a confié une mission, et je n’ai d’autre choix que de l’accomplir.
Whist se renfrogna et tenta d’évaluer au mieux la situation. Une chose était certaine : cette conversation avec Ulavu était loin d’être terminée. En revanche, l’heure n’était pas au papotage. En effet, malgré la mort des Zergs, le bourdonnement était encore audible, et on pouvait raisonnablement supposer que d’autres saletés se planquaient dans les parages.
— Très bien, finit-il par dire, avant de lâcher le poignet d’Ulavu. Je vais essayer de jouer le jeu du secret, mais à une condition, l’avertit-il en levant un index en signe d’avertissement. Si on se retrouve encore dans un merdier pareil, tu viens t’amuser avec nous dans la mêlée. Compris ?
— Compris, acquiesça Ulavu. (Le ton de ses messages télépathiques sembla changer de façon presque imperceptible, et Whist crut y percevoir un soupçon d’ironie.) Et puis, mourir ne m’aiderait pas vraiment à accomplir ma mission.
— Voilà. Ne l’oublie jamais, l’avertit Whist, avant de désigner du menton les carcasses de Zergs. Disperse-moi ça. Fais juste gaffe à pas te cramer les miches.
Whist ignorait ce que l’armée protoss enseignait à ses templiers noirs mais, manifestement, elle leur apprenait au moins l’usage de l’arsenal terran basique car Ulavu se positionna très exactement un demi-mètre au-delà du cercle de déflagration primaire de la grenade, avant de la lancer dans le tas de carcasses zergs.
— Bon, lâcha Whist lorsque l’écho de l’explosion fut assez faible pour qu’ils puissent s’entendre. Voyons ce qu’on peut faire pour Tanya.
Il s’agenouilla près d’elle et ouvrit d’un « clic » l’affichage des informations vitales de la fantôme.
— Il m’est avis qu’elle était la cible principale de l’attaque, annonça Ulavu en s’accroupissant à côté de Whist.
— Ah ? réagit Whist en le regardant du coin de l’œil. (Il n’avait jamais vu de Protoss s’accroupir, et les genoux articulés à l’envers d’Ulavu donnaient à la scène une dimension étrange.) Eh bien, ils ont réussi leur coup : elle a tourné de l’œil, commenta-t-il, avant de dévisager les avant-bras d’Ulavu. C’est nouveau, ces trucs ?
— C’est expérimental. (Il baissa les yeux vers les focaliseurs de trans-lames qui, sous le regard de Whist, retrouvèrent leur forme aplatie.) Ils ne sont ni aussi puissants ni aussi résistants que le modèle traditionnel, mais s’avèrent bien plus efficaces dans ce genre de situations.
— Le genre de situations où tu essaies de te faire passer pour quelqu’un d’autre ? répliqua Whist, avant de tapoter la joue de Tanya. Hé, petite, réveille-toi…
Ulavu se pencha.
— Laisse-moi essayer. Tu peux retirer sa visière ?
— Ouais, acquiesça Whist, avant d’en faire sauter les fermoirs et de la retirer. (Tanya fermait les yeux, mais elle n’en avait pas moins le visage apaisé, là où il s’était attendu à lui découvrir un rictus de terreur ou de douleur.) À toi de jouer.
— Merci.
Ulavu se tut et riva le regard sur le visage de Tanya.
Des bruits de pas derrière eux…
Whist se retourna aussitôt en levant son C-14.
— Hé ! lâcha Dizz, sa voix étouffée par le casque de Whist tandis qu’Erin et lui tournaient le coude de la rampe. C’est nous !
— Fallait prévenir, alors ! grogna Whist en baissant son arme.
— C’est ce qu’on a fait, mais ton communicateur est éteint.
— Oh…, grimaça Whist, avant de le rallumer. Pourquoi vous ne surveillez pas l’entrée ?
— Plus besoin, elle se surveille toute seule…, annonça Dizz, l’air sinistre. (Lorsqu’il vit Tanya étendue sur le sol, il trotta jusqu’à elle.) Le plafond s’est effondré, et le passage est totalement condamné. On va devoir faire sauter d’autres arbres pour sortir. Il s’est passé quoi ici ?
— On a croisé les parasites mentaux, répondit Whist en désignant de la main le chaos de chitine visqueuse qu’étaient devenues les quatre carcasses de zergs. Le dernier produit des industries Zagara la Fouine.
— Ils ont eu Tanya ?
Alors, soudain, Tanya lâcha un hoquet tremblotant, tressaillit et ouvrit les yeux.
— Ulavu ?
— Je suis là, Tanya Caulfield, la rassura le Protoss en prenant, puis en serrant dans la sienne sa main gantée. (Whist remarqua que, sans qu’il s’en rende compte, Ulavu avait enfilé une nouvelle paire de gants de jardinage pour dissimuler ses gantelets et leurs focaliseurs de trans-lames.) Comment te sens-tu ?
— Je crois que ça va…, répondit-elle en tournant le regard vers Whist, le visage marqué par la douleur. Je vous ai lâchés en plein combat, c’est ça ?
— Te bile pas pour ça, la rassura Whist. Deux-trois tirs, une grenade, et c’était bouclé.
— C’est quoi, ces bestioles ? demanda Erin, qui s’était avancée jusqu’aux carcasses déchiquetées et, à genoux, tripotait du bout des doigts un fragment de carapace dorsale. Je n’ai jamais vu de Zerg avec ce genre de coloration.
— Comme je vous l’ai dit, c’est une nouvelle sorte de vermine, répondit Whist. Notre avis, c’est que ce sont elles qui génèrent le bourdonnement.
— Celui que j’entends toujours ? demanda Dizz.
— Oui. Ce qui veut dire qu’il y en a d’autres dans les parages, faucheur, acquiesça Whist.
Dizz lâcha un soupir frustré.
— Génial…
— Eh ! attendez un peu, intervint Erin. Ça n’a aucun sens car, sortis de leur lien de communication collectif, les Zergs n’ont jamais eu de pouvoirs psioniques, même basiques, par le passé. Alors des pouvoirs projectifs, je peine à y croire…
— Kerrigan, si, mais de là à dire que ça compte…, commenta Tanya.
— Cela n’expliquerait pas comment ils peuvent générer ce bourdonnement. Les capacités psioniques ne sont purement et simplement pas inscrites dans le code génétique des Zergs.
— Sauf s’ils ont trouvé du nouveau matos génétique quelque part, suggéra Whist. C’est qu’ils sont balèzes dans ce domaine, les salauds.
— Ça collerait avec ces histoires de schéma génétique farfelu chez les plantes, commenta Dizz. Il doit y avoir un rapport entre les deux.
— Non, le contredit Erin. Ce motif dont on parlait, c’était vrai pour les plantes seulement. Les gènes responsables des pouvoirs psioniques ne sont présents que chez les animaux. Il se passe un truc tordu ici…
— Partons en quête de réponses, dans ce cas ! lâcha Whist en fronçant les sourcils, les yeux rivés sur le haut de la rampe. On va devoir grimper au moins une rampe de plus. Après, aucune idée de ce qu’on va trouver.
— Et les parasites mentaux ? demanda Dizz.
— On les trouve, on les bute.
— J’aime, répondit Dizz, mais je voulais surtout te faire remarquer que le nom que tu leur as donné est un peu nase.
— T’as mieux en stock ?
— Non, mais, par chance, on a une experte en nomination scientifique dans nos rangs, annonça Dizz en haussant un sourcil interrogateur à l’attention d’Erin. À toi de jouer, doc.
— Des psyolisks, répondit-elle aussitôt. Cela correspond bien à leur profil et répond à une convention de nominalisation standard chez les Zergs.
Dizz se tourna vers Whist.
— J’avoue, elle maîtrise son sujet, acquiesça Whist. Va pour psyolisks. (Il tendit une main à Tanya, toujours au sol.) Tu te sens prête à repartir ?
— Oui, répondit-elle en snobant sa main tendue – et celle d’Ulavu – pour se remettre seule sur ses pieds. T’inquiète, ça ne se reproduira pas.
Whist se tourna vers Ulavu.
— Elle a raison, confirma le Protoss à Whist seul. Maintenant qu’ils savent qui je suis, je serai à coup sûr leur cible prioritaire.
Whist se détourna du Protoss, les dents serrées. Si seulement les Zergs savaient effectivement qui il était. Avec les inhibiteurs psi et les témoins de l’attaque d’Ulavu envoyés ad patres, ce n’était peut-être pas le cas.
Il l’espérait, en tout cas. Entre un templier noir opérationnel et un fantôme aux pouvoirs incertains, son choix était déjà fait. Surtout si l’ennemi ne savait rien des véritables capacités du Protoss.
— Préviens-moi si tu recommences à avoir des vertiges, Tanya, OK ? Et ça vaut pour tout le monde… Oh ! et faites gaffe, le bourdonnement brouille aussi la vision. Je pense que vous le supporterez mieux si vous vous y attendez et prenez vos dispositions.
— Et si ça ne va pas, on tente un petit stimulant, peut-être ? suggéra Dizz.
— Pourquoi pas ? acquiesça Whist. Erin, Cruikshank t’a montré comment faire ?
— Oui, répondit Erin, peu enthousiaste. J’ai vu la liste des effets secondaires des stimulants, par contre, et je préfère encore tenter ma chance avec le bourdonnement.
— Comme tu voudras, dit Whist. Allez, on bouge, même ordre de marche.
Apparemment, la rampe qu’il remontait était la dernière, le palier, tout en haut, ouvrant sur un large couloir qui donnait lui-même sur un passage voûté d’une cinquantaine de mètres de long. Au-delà semblait se trouver une caverne mais, de là où ils se tenaient, ils peinaient à la voir. Chose surprenante vu qu’ils se trouvaient au beau milieu de la mesa, une lumière – faible, certes, mais bien présente – dont ils ignoraient la provenance éclairait les lieux. Dizz aussi l’avait remarquée.
— Je ne comprends pas d’où vient la lumière…, lança-t-il après qu’ils eurent tous cessé de marcher.
— Le spectre est le même que celui du soleil, expliqua Erin qui, accroupie près de l’une des parois, tapotait du doigt le sol rugueux. Aucune source visible. Elle doit provenir de conduits au plafond et le long des parois latérales.
— Bref, ne perdons pas de temps avec ça, intervint Tanya. Je suppose qu’on va explorer le grand espace, là-bas au fond ?
— Ce serait le mieux à faire, oui, acquiesça Erin, qui tapotait toujours le sol. C’est là-bas que se poursuit la trame que nous suivons depuis tout à l’heure.
Whist et Dizz s’entre-regardèrent.
— La trame ? On donne dans le mystique, maintenant ? lança Dizz.
— Non, on donne dans le lichen, rétorqua Erin. Le lichen, ici, présente la même trame fondamentale que la macroflore que nous avons observée depuis l’espace… Une trame qui nous mène droit vers cette salle. (Elle se releva.) On y va ?
— Une minute, l’arrêta Whist en étudiant le sol, l’air renfrogné. (Il n’avait pas remarqué que des petits parasites se développaient ici.) Tu n’arrêtes pas de nous parler de ce motif végétal, mais sans jamais nous expliquer ce que c’est… On a affaire à quoi ? Une sorte de flèche clignotante géante visible seulement par les docteurs en botanique ?
— C’est un brin plus complexe qu’un parcours fléché…, dit Erin. Disons que… Vous connaissez peut-être ce principe-ci, lorsque, dans un lieu donné, le vent souffle toujours dans la même direction, les arbres et les buissons penchent dans l’autre sens. Eh bien, c’est un peu la même chose, ici. Prenez les feuilles des arbres, par exemple. En général, leurs faces adaxiales et abaxiales sont de couleurs et de textures légèrement différentes. Elles poussent également vers le haut, de façon à mieux capter la lumière du soleil. Mais ici, sur Gystt, il y a une variable notable à ajouter à l’équation : les arbres eux-mêmes sont nettement plus grands près des sites que j’ai localisés, comme si les poussées de croissance y étaient plus intenses. Des indices apparaissent aussi au niveau des motifs présents dans les branchages, la symétrie des arbustes les moins développés et le…
— OK, message reçu, l’interrompit Whist. On va dire qu’on te croit sur parole.
— C’est un peu comme si on pouvait observer un flux, un… courant…, poursuivit Erin. Enfin, ce sont des dénominations un peu floues, mais elles ont le mérite d’être parlantes.
— Et ce… flux, tu le détectes dans le lichen aussi ? demanda Tanya.
— Oui.
— Et toi, tu en penses quoi ? demanda Dizz en désignant Ulavu de la main. T’es notre deuxième scientifique. Ça te parle, ce que dit Erin ?
— Personnellement, je n’ai pas observé ce motif, avoua Ulavu. Mais le docteur Erin Wyland est plus experte que moi dans ce domaine, et les motifs n’apparaissent souvent qu’aux yeux de ceux qui savent quoi chercher. Je suis tout disposé à m’en remettre à son jugement.
— Très bien, acquiesça Whist, tout en essayant de ne pas penser à toutes ces fois où lui ou un membre de son unité avaient cru percevoir à tort un indice parmi les rochers ou les buissons.
Les yeux et l’esprit humains étaient particulièrement doués pour percevoir des signes là où il n’y en avait aucun.
Quoi qu’il en soit, et qu’importe ce que les plantes avaient ou non à leur apprendre, il était impératif d’en apprendre davantage sur ces psyolisks. Pour cela, leur prochaine étape ne pouvait être que la grande chambre droit devant, et il n’était pas impossible que, comme pour la rampe, ils doivent la nettoyer de ses occupants.
— Ordre de marche habituel. Restez sur vos gardes. Et, par pitié, si qui que ce soit entend le bourdonnement s’intensifier, qu’il en avertisse tout le monde.
— Tu ne penses pas qu’on devrait prévenir la base avant d’y aller ? demanda Tanya. Juste au cas où.
— Et éteindre les inhibiteurs psi ? lui fit remarquer Dizz, manifestement sceptique.
— Pourquoi pas ? rétorqua Tanya. Je n’ai pas l’impression qu’ils nous sont d’une grande utilité ici.
— La vérité, c’est qu’on n’en sait rien, répliqua Dizz. D’ailleurs, le fait que Whist ait pu descendre quatre psyolisks à lui tout seul suggère plutôt qu’ils les affaiblissent d’une manière ou d’une autre.
Whist lança un regard en coin à Ulavu. Le Protoss le regardait également ; si aucun mot ne fut prononcé, la promesse de Whist au templier noir habitait le silence.
— Ou alors ils sont simplement moins puissants que les Zergs habituels, contra Tanya. Même contre un simple zergling, une grenade n’aurait pas fait de gros dégâts.
— Ça suffit ! les interrompit Whist. On garde les inhibiteurs activés, fin de la discussion. (Il se tourna vers Tanya qui, de toute évidence, avait encore bien des choses à dire.) Fin de la discussion, c’est compris ? répéta-t-il sur un ton de défi.
Elle grimaça, puis se retourna sans un mot de plus.
— OK, conclut-il en levant son C-14 tout en touchant du coude les chargeurs restants à sa ceinture pour s’assurer qu’ils étaient bien là. On bouge.