Chapitre 14

Entre autres fonctions, l’implant dans le cerveau de Tanya était censé tempérer ses émotions. Calmer les hauts et relever les bas, en quelque sorte.

Ce jour-là, il se montrait peu efficace.

Elle avait tout un arsenal de médicaments à disposition : de l’alcool, de la drogue, et jusqu’à des cocktails militaires secrets qui n’avaient même pas de noms officiels. Ceux-là promettaient aussi de la remettre à flot de façon permanente.

Elle ne souhaitait en prendre aucun.

D’ailleurs, même si elle le voulait, elle n’aurait pas su quelle classe de médicament choisir. Elle se trouvait en proie à un véritable ascenseur émotionnel ; le fait qu’on lui ait menti la faisait passer d’une colère noire à une profonde dépression, avant de revenir à la colère.

Le seul élément constant était le mensonge.

Comment Ulavu avait-il pu lui faire ça ?

Du coin de l’œil, elle aperçut une forme approcher. Elle se crispa…

Ce n’était qu’Erin.

— Je peux te parler une minute ? lui demanda l’arrivante, l’air préoccupée.

Tanya voulut d’abord refuser. Son cœur et son âme souffraient ; elle voulait seulement rester seule, repliée sur elle-même, et attendre que la douleur passe.

Cependant, Erin n’avait pas l’air de vouloir parler chiffons. Ça semblait important. Peut-être suffisamment important pour la distraire de ses idées noires.

— Bien sûr, dit-elle en se retenant de soupirer. Qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est au sujet de ce rapport, expliqua Erin en sortant sa tablette avant de s’asseoir à côté d’elle.

Elle avait profité des deux dernières heures pour retirer son armure, sans doute avec l’aide de Whist ; elle paraissait beaucoup plus revigorée et détendue que Tanya.

— Cette transcription de la conversation entre l’empereur Valérian et la reine suprême Zagara, poursuivit-elle. Tu l’as lue ?

— Pas encore. Il y a un problème ?

— Je ne sais pas, avoua Erin en sélectionnant une partie du rapport avant de tendre la tablette à Tanya. Zagara affirme que ces adostra – qui sont soi-disant ce que nous avons vu dans les cocons – ne peuvent pas se rebeller, péter les plombs et attaquer les gens comme l’ont fait les psyolisks.

— Les gens ont tendance à dire qu’un tas de choses sont impossibles, fit remarquer Tanya en parcourant l’extrait. On m’a dit un jour que les amis ne se mentent jamais.

Erin cligna des yeux.

— Euh… bref, j’ai réfléchi au sujet des psyolisks et de ce que nous avons vu dans les cocons. Tu as étudié l’anatomie zerg, n’est-ce pas ?

— J’ai pu examiner l’intérieur de quelques spécimens, oui.

En réalité, elle avait vu une quantité inimaginable de viscères zergs durant son entraînement. Les marines devaient seulement connaître le point faible d’un Zerg à l’extérieur de son corps ; elle, elle devait savoir quelle partie de leurs entrailles brûlerait le mieux.

— Il ne restait plus grand-chose à voir après que Dizz s’était occupé des cocons, si c’est ce à quoi tu penses, reprit-elle.

— Oui, je sais. Et, d’après Zagara, les adostra utilisent la génétique xel’naga plutôt que les variétés zergs lambda ; il se peut donc que leur ontogenèse soit différente de la version habituelle issue des bassins génétiques de…

— Leur quoi ?

— Leur ontogenèse, répéta Erin. Leur cycle de développement, de la fertilisation jusqu’à l’âge adulte. Normalement, les Zergs ne passent pas par un stade de métamorphose, alors que les adostra y sont presque obligés si…

— Je n’arrive pas à te suivre, s’impatienta Tanya en ravalant la colère qui la gagnait. (Elle n’était vraiment pas d’humeur à écouter un discours technique.) Pourquoi ont-ils besoin d’une métamorphose ?

— Parce que ce que nous avons vu dans les cocons était différent des psyolisks à leur stade final. Et c’est là où je voulais en venir. Les psyolisks ressemblent effectivement à des Zergs, ou en tout cas à une sorte de mélange entre un zergling et un hydralisk. Quelles étaient les chances pour que ça arrive à une créature inconnue en partie constituée de gènes non zergs ?

Tanya secoua la tête.

— Désolée, mais tout ça me dépasse. J’y connais rien à l’onto-bidule-truc. Tout ce que je sais, c’est que ces espèces de cocons et les psyolisks avaient la même série de points rouges sur le dos. À ce que je sache, aucune autre race zerg ne possède ce trait distinctif, de près ou de loin. Et rappelle-toi que six des cocons étaient vides, comme si la métamorphose dont tu parlais avait abouti et que les créatures en étaient sorties.

— On a croisé beaucoup plus que six psyolisks, argua Erin. Et je n’ai vu aucune trace de fluides nutritifs dans les cocons vides.

— Parce que Dizz a tout cramé, lui rappela patiemment Tanya. Écoute, j’ignore ce que Zagara prétend, et je m’en fous. Les psyolisks sont des machines à tuer et il faut les exterminer. Point. (Elle désigna la combinaison intacte d’Erin.) Tu as de la chance qu’Ulavu ait couvert tes arrières.

— Je ne vois pas le rapport avec Ulavu, s’étonna Erin, perplexe. C’est Whist et Dizz qu’ils les ont maintenus à distance. (Elle grimaça.) De moi en tout cas. Ulavu ne s’en est pas aussi bien sorti.

Tanya fronça les sourcils, tendant le cou pour balayer la cabine du regard. Ulavu n’était nulle part en vue.

— Il est parti où ?

— À l’infirmerie, répondit Erin en hochant la tête vers le compartiment séparé à l’arrière du transport. Sans doute pour changer ses bandages. Enfin, merci quand même.

Elle quitta le siège.

— Attends une minute, l’interpella Tanya en essayant encore de démêler toutes ces informations. Tu viens de dire qu’Ulavu a été blessé pendant la bataille, et pas toi ?

— C’est ça. Comme je t’ai dit, Whist et Dizz les allumaient bien comme il faut lorsqu’ils étaient trop près.

— Trop près de toi. Pas d’Ulavu.

Erin grimaça.

— Oui. Je l’ai déjà dit aussi.

— Ouais. Merci.

Pendant un moment, Erin resta sans bouger, se demandant probablement si Tanya perdait les pédales. Puis elle la salua finalement d’un hochement de tête, et s’éloigna.

Laissant Tanya avec une énigme pour le moins déroutante.

Elle retourna le mystère dans sa tête pendant plusieurs minutes, mais il lui apparut rapidement qu’elle ne pourrait le résoudre sans informations supplémentaires.

Et il n’y avait malheureusement qu’un endroit où les obtenir.

Elle résista quelques minutes encore. Puis elle soupira, déboucla sa ceinture et se dirigea vers l’infirmerie.

Elle y trouva effectivement Ulavu. Il avait ôté sa tunique et appliquait délicatement un pansement sur le bas de son ventre. D’autres bandages étaient visibles sur le haut de son torse. À ses pieds gisaient cinq vieux pansements imbibés du sang violet des Protoss. Il s’était bien fait charcuter.

Tanya ne l’avait même pas remarqué.

Le Protoss leva les yeux quand elle entra et, pendant un moment, ils fixèrent le regard l’un sur l’autre.

— Tu m’évites depuis les affrontements sur le site 1, lui reprocha-t-il enfin. Tu m’as également fermé ton esprit, comme maintenant. S’il te plaît, dis-moi en quoi je t’ai fait défaut.

La philosophie de Tanya avait toujours été de répondre à la franchise par la franchise.

— Bien sûr. Mais nous devrions commencer par les présentations. À qui ai-je l’honneur ? Un templier ou un Nérazim ?

Elle perçut un soupir mental.

— Qui est au courant ? demanda-t-il.

Tanya fronça les sourcils.

— Je pensais tout le monde sauf moi.

— Non. Seul le sergent Foster Cray, car lui seul l’a remarqué quand nous avons rencontré les psyolisks pour la première fois. (Il baissa légèrement la tête, l’air presque embarrassé.) Et maintenant tu sais aussi.

— Oui, rétorqua Tanya, déterminée à ne pas laisser le remords la détourner de sa colère. (Il l’avait trahie ; elle était furieuse contre lui et comptait bien le rester.) Tu n’as pas répondu à ma question.

— Je suis un Nérazim. La guerre ayant entraîné la perte du Khala, la capacité des Nérazims à accéder aux énergies du Vide nous rend plus versatiles que la plupart des templiers.

— Pourquoi avez-vous besoin d’être plus versatile ?

— Est-ce cela que tu veux savoir, Tanya Caulfield ? ou préfères-tu savoir pourquoi on t’a menti ?

— Pourquoi « on » m’a menti ? (Tanya secoua la tête.) Non, tu n’as pas le droit de le formuler comme ça. La question est : pourquoi toi tu m’as menti ? Et, oui, je veux savoir.

— J’avais des ordres, expliqua Ulavu, et Tanya perçut un nouveau soupir mental. J’avais une mission. J’étais tenu par l’honneur de l’accomplir. Tu comprends forcément les questions d’honneur et de devoir.

— Ne change pas de sujet, grogna Tanya. Quel genre de mission ? Je pensais que vous, les Protoss, vous étiez déjà au courant pour le programme Fantôme.

— Le hiérarque Artanis n’avait besoin d’aucune information, confirma Ulavu. Il souhaitait que je trouve et identifie un fantôme du Dominion doté d’un pouvoir psionique précis.

Tanya serra les dents. Elle n’avait donc jamais été son amie, ni même une source d’information involontaire. Elle avait uniquement fait figure de jackpot.

— Laisse-moi deviner. Une caractéristique rarement vue jusqu’alors, peut-être ? Comme la pyrokinésie ?

Ulavu pencha la tête sur le côté.

— Non.

Pendant une seconde, Tanya pensa avoir mal entendu.

— Non ?

— Non, répéta-t-il à contrecœur. On m’a envoyé pour repérer et me lier d’amitié avec un télékinésiste.

Tanya eut l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Elle n’avait même pas été le gros lot ?

— De quoi tu parles ? Il y en a deux dans le programme en ce moment. Pourquoi ne pas les avoir choisis, eux ?

Il garda le silence si longtemps que Tanya commença à se demander si elle avait perdu le contact.

— Je ne les voulais pas comme amis, finit-il par avouer. Ce ne sont pas… de bonnes âmes.

Il comptait se permettre de juger l’humanité entière, à présent ? De mieux en mieux.

— Ce sont des âmes tout à fait acceptables, lui assena-t-elle.

— Ah oui ?

Elle se renfrogna. Non, bordel ! c’était faux. Glistrup était un mythomane atteint de troubles bipolaires, et Maï intrinsèquement méchante. Personne ne les appréciait.

Cependant, ils étaient assez compétents en matière de télékinésie, bien que d’une puissance limitée.

— Alors qu’est-ce que vous leur vouliez ?

— Les Protoss ont développé une nouvelle arme, répondit-il de manière évasive. Conçue pour un usage tactique mineur, mais intéressante pour un certain nombre d’entre nous. Nous espérions qu’un Terran télékinésiste favoriserait son déploiement, étant donné que la version humaine de cette capacité comporte des caractéristiques uniques que les Protoss ne possèdent pas. Nous souhaitions explorer les possibilités d’exploitation par le biais d’un partenariat avec un Terran de cette classe. Je ne peux pas en révéler davantage.

— Très bien, concéda Tanya en fronçant les sourcils. Mais l’histoire de la guerre ne déborde pas vraiment de personnages sympathiques et exemplaires. Vous vouliez un télékinésiste et vous aviez le choix entre Glistrup et Maï : pourquoi ne pas avoir sélectionné l’un d’eux ?

— Parce que je savais qu’aucun des deux ne consentirait à partager mon attention et mon amitié avec une autre personne.

— Et alors ? Tu n’avais besoin que de l’un d’entre eux, non ?

— Oui. (Il hésita.) Mais alors je n’aurais pas pu devenir ton ami.

Tanya lui adressa un regard noir.

— Ah non ! Tu ne vas pas me mettre ça sur le dos. Je ne suis en aucun cas responsable de l’échec de tes plans ou de ta mission.

— Je n’insinuais rien de tel, protesta-t-il. C’était mon choix. Ma décision. Mon échec.

Tanya le scruta attentivement. Les pièces du puzzle que représentait Ulavu s’assemblaient progressivement. Son abandon par les Protoss – la rumeur de sa rupture avec le hiérarque Artanis en personne –, son poste permanent mais sans perspectives au sein du programme Fantôme…

— Cette nuit-là, au Cercle de Dante, se souvint-elle, tu as dit que tu faisais des recherches. Tu parlais des télékinésistes, n’est-ce pas ?

— Je venais d’apprendre une rumeur selon laquelle l’une des personnes qui a péri sur Chau Sara avait ce don. Certains pensent que de tels pouvoirs sont héréditaires. J’avais l’espoir de trouver un membre de la famille à cet endroit-là.

— Au lieu de ça, tu as failli te faire arracher la tête. (Tanya grimaça lorsqu’elle comprit soudain ce qui s’était réellement passé au bar.) Ou plutôt, ce sont eux qui ont failli se la faire arracher.

— Je ne leur aurais jamais fait de mal, lui assura Ulavu. J’étais sur Korhal IV en tant qu’invité. Jamais je n’abuserais de cette responsabilité.

— Ouais. (Tanya prit une profonde inspiration.) Cette conversation est loin d’être terminée, Ulavu. Nous en reparlerons, fais-moi confiance. Mais il y a plus urgent pour l’instant. Parle-moi du combat sur le site 1, celui dans la salle du niveau supérieur. Que vous est-il arrivé à Erin et à toi ?

— Nous nous sommes fait attaquer, comme le sergent Foster Cray, le lieutenant Dennis Halkman et toi. (Il désigna les pansements sur son torse.) Comme tu vois, ajouta-t-il tristement, mes capacités n’ont pas été à la hauteur des standards nérazims.

— Les psyolisks ?

— Oui. Je me suis retrouvé distrait, et souvent incapable de me concentrer. Sans ta capacité à éliminer rapidement l’ennemi, nous serions tous morts.

— Une raison suffisante pour devenir mon ami, j’imagine.

Tanya se réprimanda intérieurement. Venait-elle sérieusement d’en plaisanter ?

— Ce n’était pas la seule raison, la détrompa fermement Ulavu.

— Oui, je sais. (Apparemment, il n’avait pas saisi l’humour sous-jacent ; ce n’était pas la première fois.) Le problème c’est que…

— Euh… pardon ? l’interrompit une voix.

Tanya se retourna et découvrit Whist dans l’encadrement de la porte, ses yeux allant d’Ulavu et elle.

— Oui ? l’invita Tanya.

— Erin a dit que tu avais l’air un peu agitée, dit-il en esquissant un pas timide à l’intérieur. Vu que je suis debout, j’ai pensé que je pourrais jeter un œil aux blessures d’Ulavu du même coup.

— Je suis en bonne voie de guérison, le rassura le Nérazim.

— Parfait. (Whist arqua un sourcil à l’intention de Tanya.) Et toi, ça va ?

— Oui, je vais bien.

C’était faux, naturellement, mais pas autant qu’elle l’aurait cru. Même si la trahison d’Ulavu la blessait toujours terriblement, ils s’étaient au moins adressé la parole.

— Ça tombe bien que tu sois là, reprit-elle. On allait justement aborder une question importante.

— Laquelle ?

— Pourquoi Erin est-elle toujours en vie ?

— D’accord, ce n’est pas du tout la question à laquelle je m’attendais, reconnut Whist. Tu veux bien développer ?

Tanya fit un geste en direction de l’armure du sergent.

— Les psyolisks ont été à deux doigts de t’avoir, non ?

— Plus d’une fois, confirma Whist en haussant les épaules. On s’y fait.

— Ils ont failli faire la peau à Dizz aussi. Et, comme je viens de le découvrir, ajouta-t-elle en se sentant tiraillée par la culpabilité, ils s’en sont également pris à Ulavu. Alors comment ça se fait qu’Erin en soit sortie sans une égratignure ?

Whist ouvrit la bouche… et la referma.

— Eh bien… Ulavu était avec elle. J’imagine que tu l’as protégée, pas vrai ?

— Du mieux que je pouvais. (Ulavu indiqua ses pansements.) Mais mon aptitude dans cette bataille a été grandement diminuée.

— C’est exactement ce que je veux dire, insista Tanya. D’accord, Erin faisait mal avec son fusil Gauss, mais, avec Ulavu qui tournait à vitesse réduite derrière elle, ils ont dû avoir plusieurs occasions de la coincer.

— Mais ils ne l’ont pas fait, compléta lentement Whist. D’ailleurs, c’est comme s’ils n’avaient même pas essayé. Pourquoi ?

— Ils voulaient qu’elle s’en sorte vivante, répondit Ulavu. Pour retourner sur Korhal IV.

— Mais pourquoi ? répéta Tanya. Ils se moquaient royalement de notre sort. Alors pourquoi elle ?

— Peut-être a-t-elle été infestée, suggéra Ulavu d’une voix sinistre. Elle s’est retrouvée plusieurs fois à découvert, et parfois sans son casque. Croyez-vous que des spores ont pu la contaminer ?

— C’est peu probable, argua Whist en se caressant la lèvre inférieure. Les infestations ne sont pas aussi rapides ou faciles. Et Erin se verra certainement soumise à une batterie complète de tests et de micro-examens avant qu’on la laisse revenir sur Korhal. Vous pensez que ça a un rapport avec son boulot ? C’est la seule xénobiologiste de l’équipe.

— Du coup, ça ne fait pas d’elle la première qu’ils devraient vouloir tuer ? lui fit remarquer Tanya. Si Zagara cache quelque chose, Erin serait la première à s’en apercevoir.

— À moins qu’ils n’aient justement rien à cacher et qu’ils la veuillent en vie pour le confirmer. (Whist renifla.) Mais, dans ce cas, pourquoi tenter de nous éliminer tout court ?

— Exactement, renchérit Tanya. On est en train de se faire manipuler. Il faut qu’on découvre la nature exacte de la mascarade.

— Je suis d’accord. (Whist leur fit signe.) Venez.

— Où allons-nous ? s’enquit Ulavu.

— On va choper Erin et l’emmener dans le cockpit, répondit Whist. Quitte à faire une séance de remue-méninges, autant regrouper tous nos cerveaux.

 

— En voilà un autre, Empereur, indiqua l’officier tactique d’une voix tendue. Il est en train de virer de bord… Il se déporte.

Valérian s’efforça de desserrer les dents. Encore un dévoreur qui passait près du transport de l’équipe de reconnaissance ; le quatrième en deux heures.

Heureusement, ce spécimen avait lui aussi ignoré le petit vaisseau.

— Êtes-vous sûr qu’il ne leur a pas jeté d’acide ? l’interrogea-t-il.

— Il n’est pas à portée, Empereur, le rassura l’officier.

— On dirait que les inhibiteurs psioniques fonctionnent toujours, nota Matt en s’approchant dans le dos de Valérian. Pratiques, ces gadgets. Il faudra peut-être qu’on en standardise la production.

— En admettant que plus personne ne veuille communiquer, releva Valérian d’un ton acerbe. Ce qui serait fort utile à cet instant.

— Oui, reconnut Matt. Il est paradoxal qu’on soit en mesure de déterminer quand ils peuvent couper leurs inhibiteurs sans danger, mais qu’on n’ait pas la possibilité de le leur dire à moins qu’ils ne les coupent.

Valérian jeta un coup d’œil au chronomètre. Matt avait prévu un contact avec l’équipe de Halkman toutes les heures. Encore quarante minutes avant le prochain appel, durant lesquelles les inhibiteurs psioniques de Halkman resteraient actifs.

Peut-être resteraient-ils actifs même passé ce délai. Depuis deux heures, un nombre toujours croissant de Zergs traversaient l’espace aérien autour du transport. Il était peu probable que Halkman éteigne les inhibiteurs, même à l’heure prévue, si un mutalisk volait dans les parages à ce moment-là.

Quand bien même aucun ennemi ne serait en vue, il prenait un risque chaque fois qu’il les désactivait. On ignorait tout des techniques de chasse des Zergs volants ou de la portée de leurs organes sensoriels ; Halkman n’avait donc aucun moyen de savoir quelle distance offrait véritablement une sécurité suffisante.

Ce qui signifiait, en somme, que l’équipe de reconnaissance allait très certainement observer le silence radio jusqu’à son arrivée sur le site 3.

— Au moins, ils ont reçu la transcription et le rapport de Cruikshank, leur fit remarquer Valérian. Ils en savent autant que nous.

— Au minuscule détail près que les Protoss s’apprêtent à incinérer la planète, marmonna Matt.

Valérian esquissa une grimace. Et, détail plus inquiétant encore, que les forces du Dominion prévoyaient de participer à cette attaque.

L’un des plus horribles devoirs d’un commandant était de choisir quels soldats ou unités envoyer à une mort certaine. En tant qu’empereur, Valérian assumait une responsabilité similaire.

Il avait depuis longtemps accepté ce fardeau. Mais jamais il ne s’y habituerait.

Matt fit un pas vers lui.

— Je venais juste vous informer, Excellence, que le chargement du canon Yamato se déroule selon les prévisions. Il sera certainement paré quand l’équipe de reconnaissance aura atteint le site 3.

Le comparait-il vraiment toujours à l’empereur Arcturus II ? Fort bien. À ce stade, Valérian devait se contenter de l’ignorer.

— Merci, amiral. Où en est l’équipe d’évacuation ?

— Ils seront prêts avant le canon Yamato. Par ailleurs, l’émetteur psi est déjà prêt. Si vous souhaitez toujours l’utiliser.

Valérian le dévisagea.

— Vous pensez que c’est une mauvaise idée ?

— Les risques sont certains, opina Matt. D’après les techniciens, le rayon d’émission devrait s’étendre à cinquante kilomètres ; si nous le mettons à cette distance du site 3, il devrait en éloigner tous les Zergs.

— Mais ? l’encouragea Valérian.

— Mais nous n’avons aucune certitude concernant la portée. Si elle s’avère plus grande, l’appareil pourrait attirer un groupe de Zergs droit sur le site en même temps qu’il en éloigne un autre. De plus, nous n’en avons jamais employé sur une planète sous domination zerg. Il peut y avoir des effets indésirables que nous ne sommes pas en mesure d’anticiper.

— J’en prends note. Cependant, l’alternative est d’abandonner l’équipe de reconnaissance à son sort ou d’envoyer Cruikshank avec de nouveaux soldats. Nous avons déjà vu le résultat.

— Effectivement, concéda Matt. Alors nous déployons l’émetteur ?

— Oui. J’ai repéré un lieu tout indiqué au nord-est du site, à angle droit avec la trajectoire actuelle du transport.

— Compris. Je vais transmettre les ordres.

Il s’éloigna en sortant son communicateur.

— Deux mutalisks détectés, Empereur, l’avertit l’officier tactique. Ils vont traverser la route aérienne du vaisseau. D’après les calculs, ils rateront le transport de cinq cents mètres. (Il leva les yeux vers Valérian.) Ça va marcher, ajouta-t-il à voix basse. J’ai déjà vu des émetteurs en action. Ça va marcher.

— Merci, commandant. J’espère que vous avez raison. (Valérian hocha la tête en direction des écrans.) En attendant, gardez un œil sur ces mutalisks. Ne les lâchez pas.

 

Le groupe à l’entrée du cockpit demeura silencieux tandis qu’Erin leur lisait la transcription de la conversation entre Valérian et Zagara, puis le rapport de Cruikshank au sujet du site 2. Whist, qui s’était arrangé pour prendre la place du copilote en arrivant, l’écoutait d’une seule oreille tout en scrutant les environs par la verrière. Le paysage en dessous semblait plutôt paisible, mais il ne s’y fiait pas un seul instant.

Il ne se fiait pas davantage au ciel. Par deux fois durant la lecture d’Erin, Dizz lui avait tapoté le bras pour lui désigner un dévoreur ou un groupe de mutalisks à l’horizon.

Heureusement, aucune de ces créatures ne s’était approchée du transport ; elles ne se montraient généralement qu’une ou deux minutes avant de vaquer à leurs occupations. Cependant, la situation laissait à Whist un goût acide dans la bouche et il avait le ventre noué. Impossible de savoir si ces rencontres étaient de pures coïncidences ou le signe qu’on les gardait à l’œil. Dans tous les cas, il n’avait aucune envie de se faire attraper en plein vol.

— OK, voilà donc où nous en sommes, conclut-il quand Erin eut terminé. La question qui se pose, et ce depuis le début, c’est : qu’est-ce qui se passe, bordel ? Et, surtout, que sont exactement les psyolisks et que sont ces choses dans les cocons ?

— Les psyolisks sont clairement là pour garder les cocons, répondit Dizz. Et ils ont l’air de s’y prendre comme des manches.

— Je ne suis pas d’accord, le contredit Tanya. Non seulement ils ont failli nous avoir, mais ils ont aussi roulé les Protoss et le détachement de Cruikshank.

— Et chaque fois ils ont perdu leurs cocons, souligna Dizz. Je ne nie pas le fait que ce sont des sales bestioles ; je dis qu’en tant que gardes du corps ils ne valent pas un clou.

— Je ne sais toujours pas vraiment s’ils appartiennent à la même espèce, intervint Whist. Et je veux savoir ce que sont devenus les spécimens des cocons vides. Ou, si les cocons ont toujours été vides, ajouta-t-il pour devancer l’inévitable objection d’Erin, pourquoi ils étaient dans la caverne pour commencer.

— Zagara a déclaré qu’ils avaient épuisé leurs réserves d’essence xel’naga, releva Ulavu. Peut-être les cocons supplémentaires étaient-ils prévus pour d’autres adostra qu’ils n’ont pas eu l’occasion de créer.

— Parce qu’ils sont tombés à court d’essence ? (Whist pinça les lèvres.) Leur organisation laisserait à désirer, mais j’imagine que c’est possible.

— Reste la question d’Erin concernant les psyolisks, rappela Tanya. Si nous avons affaire à une version adulte des adostra, et que les adostra descendent d’une espèce non zerg à laquelle on a incorporé de l’essence xel’naga…

— Une minute, l’interrompit Dizz. Regardez ça. (Il tendit le menton vers la verrière.)

Whist fronça les sourcils. Droit devant, une demi-douzaine de Zergs traversaient leur couloir aérien en direction du nord-est.

— Ouais, ils volent. Et alors ?

— Exactement, ils volent, répéta Dizz. Ils volent vers le nord-est.

— Encore une fois, et alors ?

— Alors, depuis une heure et demie, tous les Zergs que j’ai vus volaient dans cette direction. Vous pensez qu’ils font des promos sur du mucus haut de gamme là-bas ?

— Ces Zergs-là ne mangent pas de mucus, le corrigea Erin. Les plantes exsudent des substances nutritives…

— C’est bon, je sais, la coupa Dizz. Whist, t’en penses quoi ?

— Je ne sais pas, admit ce dernier en regardant les Zergs d’un air préoccupé. Une heure et demie, t’as dit ?

— C’est à ce moment-là que j’ai remarqué leur comportement, nuança Dizz. Si ça se trouve, ça fait plus longtemps.

— Et toujours vers le nord-est ?

— Toujours.

— Mais, par le Dominion, que cherchent-ils à fuir ? marmonna Erin. Les psyolisks ? ou encore autre chose ?

Whist siffla entre ses dents lorsqu’il comprit enfin.

— Eh merde ! Ils ne fuient pas, Erin. Ils affluent vers quelque chose.

— Vers ? (Dizz regarda Whist, et son visage s’éclaira.) Oh non… ils sont pas sérieux !

— Quoi ? s’inquiéta Erin. Qu’est-ce qui se passe ?

— Je crois que Cruikshank a déposé un émetteur psi, l’informa-t-il. Comme c’est stupide de sa part !

— Mais ces appareils sont dangereux, protesta Ulavu.

— Non, sans blague, lâcha Whist. Depuis quand ils se soucient du danger, les galonnés ?

— Ou du bon sens, ajouta Dizz.

— Vous me faites peur, là, s’impatienta Erin. Quel est le problème ? Je croyais que vous en utilisiez tout le temps sur les champs de bataille.

— Avant, oui, lui expliqua Whist. Et comme ces engins éloignaient efficacement les Zergs des zones civiles, les galonnés en raffolaient.

— Sur le terrain, par contre, c’était un véritable enfer, compléta Dizz. Non seulement ça génère un amoncellement de dents et de griffes, mais ça efface aussi le peu de prudence dont ces petites cervelles zergs font preuve en combat.

— Je ne pensais même pas les Zergs capables de se montrer prudents en combat, ironisa Tanya.

— Ce n’est pas tant de la prudence que la conscience de leur position, rectifia Ulavu. Les Zergs ne veulent pas se heurter les uns aux autres en combat normal, et ils maintiennent donc une certaine distance entre eux. Un émetteur psi élimine cette conscience.

— Voilà, le professeur l’explique mieux que moi, confirma Dizz. Quoiqu’on ait pu gagner en les laissant se télescoper, ça n’en valait pas la peine. Croyez-moi.

— Ouais. (Whist regarda Ulavu en haussant les sourcils. Il avait fait une promesse au Protoss, mais, s’ils devaient de nouveau se battre côte à côte, toute l’équipe devait être au diapason.) D’ailleurs, en parlant de professeur, Ulavu a quelque chose à vous annoncer.

— Ah oui ? s’étonna Erin en se tournant vers lui.

— Oui, confessa Ulavu. Vous me connaissez en tant que chercheur. Ce n’est qu’une partie de mon identité. (Il se dressa de toute sa hauteur.) Je suis un guerrier. Plus précisément, je suis un Nérazim, un templier noir.

Pendant un moment, personne ne souffla mot. Whist jeta à chacun un coup d’œil discret pour tenter d’interpréter leur réaction. Erin était interloquée, sa réaction progressivement teintée d’effroi. Dizz avait l’air de confirmer un soupçon. Tanya était en proie à une douleur qui n’avait rien de nouveau. Apparemment, Ulavu lui avait déjà avoué son secret.

Whist laissa le silence perdurer en se demandant qui le briserait en premier. Sans grande surprise, Dizz prit la parole.

— D’accord. Je me demandais aussi comment Erin et toi aviez pu survivre à l’attaque des psyolisks. Je savais que ce n’était pas moi qui vous en avais débarrassés, et il aurait fallu que Whist soit particulièrement doué pour le faire. Bienvenue à bord. La prochaine fois, ce sera ton tour de passer devant.

Tanya s’éclaircit la voix.

— En fait, nous n’avons toujours pas déterminé comment Erin a survécu. C’est l’une des choses…

Soudain, le transport s’arrêta presque totalement et bascula à moitié sur le côté droit.

Whist agrippa ses accoudoirs, vaguement conscient que les trois personnes derrière lui cherchaient désespérément un support auquel se cramponner.

— Dizz ? s’enquit-il d’un ton sec.

— Merde, souffla ce dernier, semblant davantage estomaqué qu’inquiet. On s’est fait aborder.

— On s’est fait quoi ?

— On a huit mutalisks accrochés à la coque. Non, dix. Et – bordel – y en a encore deux qui viennent de se fourrer dans les réacteurs principaux.

— Ils essaient de nous faire tomber ? demanda Erin d’une voix tremblante.

— Pire. (Dizz tendit un doigt vers l’horizon, qu’ils voyaient défiler par la verrière.) Ils nous emmènent au même endroit que tous ces putain de Zergs.

 » À l’émetteur psi.