Chapitre 3
— Je comprends les inquiétudes du Dominion, Empereur Valérian, déclara l’ambassadrice Louise Dupré, son agréable voix d’alto contrastant avec son regard acéré. Mais comprenez aussi les nôtres. Le protectorat d’Umoja a énormément souffert des ambitions territoriales de votre père. Cela ne nous intéresse guère de vous accorder la tête de pont qu’il n’est jamais parvenu à nous soutirer.
L’empereur Valérian Mengsk réprima un soupir. Il avait espéré que, en six ans, son règne plus éclairé aurait au moins permis de faire oublier un peu les méthodes brutales de son père. Ce n’était manifestement pas le cas.
— Je comprends très bien vos inquiétudes, assura-t-il d’un ton aussi calme que celui de l’ambassadrice.
Au moindre soupçon d’agressivité, ou même d’agacement, elle n’hésiterait pas à l’assimiler à Arcturus II, et tout espoir d’implanter une base de réaction rapide dans le système d’Umoja serait perdu.
Mais il y avait un problème plus urgent à régler. Durant la guerre, plusieurs planètes du Dominion avaient souffert de la destruction à grande échelle de leurs terres cultivables, et elles avaient encore du mal à s’en remettre. À elles seules, les dépenses engendrées par le transport de denrées et de biens de première nécessité grevaient considérablement les budgets de Valérian, et une nouvelle guerre plongerait l’ensemble du secteur dans la famine. La biotechnologie de pointe produite par le protectorat d’Umoja pouvait permettre au Dominion d’échapper au pire.
Malheureusement, la seule chose ou presque que le Dominion pouvait offrir en échange était sa protection contre une éventuelle réapparition des Zergs, ce qui n’intéressait visiblement pas le protectorat.
— Je vous prie de croire que mon unique intention est de défendre le protectorat et le flanc sud du Dominion contre une nouvelle attaque. Il ne manquerait plus qu’une invasion ennemie s’organise avant que nous ayons eu l’occasion de mettre en place une force susceptible de riposter.
— Je suis certaine que nous parviendrions à repousser une telle attaque sans votre aide.
— Vraiment ? Parce que, si vous comptez sur l’aide des Protoss, je vous le déconseille fortement. Le hiérarque Artanis a suffisamment d’ennuis de son côté.
L’ambassadrice Dupré esquissa un sourire. Une lueur dans son regard indiqua à Valérian que c’était précisément ce sur quoi le protectorat et elle comptaient.
— C’est votre grande expérience avec les Protoss qui vous donne tant de certitudes ?
— Je le tiens de ma capacité à étudier les courants sous-jacents de la culture, de la société et de la politique. Il est évident qu’ils ne sont pas sortis de la guerre en meilleure forme que nous.
— Sans doute. Puis-je vous parler franchement ?
Valérian l’y invita d’un geste.
— Je vous en prie.
— Les Zergs représentent une menace potentielle, expliqua-t-elle. Le Dominion une menace avérée. Elle n’est peut-être plus aussi importante que lorsque Arcturus Mengsk était au pouvoir, ajouta-t-elle avant que l’empereur ait pu l’interrompre, mais, que vous ayez ou non personnellement des ambitions territoriales, le fait demeure qu’un grand nombre de membres de votre gouvernement continuent de vouloir intégrer le protectorat d’Umoja au Dominion.
— Je ne sais pas si l’on peut parler de « grand nombre », rétorqua Valérian. De plus, soyez tranquille, je les écarterai des postes sensibles dès que je leur aurai trouvé des remplaçants à la hauteur.
— Je suis ravie de l’apprendre. Lorsque vous y serez parvenu, et lorsque vous nous aurez donné de nouvelles preuves du désir du Dominion de conserver ses frontières actuelles, nous serons heureux de reprendre cette conversation.
Un voyant s’alluma sur le petit tableau de bord de l’accoudoir du trône de l’empereur. Valérian y jeta un coup d’œil en fronçant les sourcils. Il avait donné l’ordre de ne l’interrompre sous aucun prétexte durant cette entrevue.
— Un unique léviathan, je répète, un unique léviathan s’est introduit dans le système. Il semble faire cap sur Korhal IV.
Valérian sentit un muscle tressaillir dans sa joue. Les léviathans étaient les principaux vaisseaux de transport zergs, des créatures impressionnantes capables de voyager dans l’espace, que l’Essaim avait infestées et transformées en transporteurs cuirassés à même de se rendre d’une planète à une autre et de faire du vol orbital. Leurs vastes espaces intérieurs pouvaient contenir des dizaines de milliers d’unités zergs prêtes au combat.
Malgré l’accent mis sur certains termes dans le bref message d’alerte, Valérian savait d’expérience que ce type d’engin ne se déplaçait jamais seul. Jamais.
L’ambassadrice Dupré continuait à énumérer les conditions qu’il devait remplir pour que le protectorat accepte de prendre place à la table des négociations.
— Je vous prie de m’excuser, ambassadrice Dupré, l’interrompit-il. Un problème est survenu, et il faut que j’y aille. (Il se leva en la regardant droit dans les yeux.) Un léviathan vient de pénétrer dans le système de Korhal, et il se dirige droit sur nous.
Il eut la petite satisfaction de la voir pâlir.
— Les Zergs ?
— Je ne connais personne d’autre dans le secteur de Koprulu qui utilise des léviathans. Je vais immédiatement donner l’ordre de préparer votre vaisseau… Si tant est que vous souhaitiez partir.
— Absolument, répondit-elle machinalement.
— Je ne vous en veux pas. (Il haussa les sourcils.) De retour sur Umoja, sans doute voudrez-vous réévaluer la priorité des menaces avec le Conseil dirigeant. Notamment le caractère « potentiel » de celle posée par les Zergs.
Il quitta la salle d’audience avant qu’elle ait eu le temps de lui répondre.
Quand Arcturus Mengsk s’était autoproclamé empereur du Dominion terran nouvellement créé, il avait commencé par construire un centre de crise capable de résister à tout type d’attaque. Valérian n’était pas certain que son père y soit parvenu, mais il devait reconnaître qu’il avait fait du bon travail.
Le « bunker », comme tout le monde l’appelait au palais, était enterré à une centaine de mètres de profondeur, enveloppé de nombreuses couches de plastobéton et de plomb complétées de mailles de mu-métal et de matériaux supraconducteurs. À l’intérieur, l’oxygène et l’eau étaient filtrés au niveau moléculaire, et, à l’extérieur, il était protégé contre les pulsations électromagnétiques et les radiations de particules chargées. Il se trouvait également cinquante mètres plus profond que la plus redoutable des incinérations protoss auxquelles on ait jamais assisté. Relié au reste de la planète et à l’ensemble des vaisseaux et stations orbitales du système, il abritait des hommes et des femmes loyaux capables de se servir d’armes de poing. Il pouvait offrir le gîte et le couvert à une centaine de personnes durant un siège d’une dizaine d’années.
Alors, se demanda Valérian en franchissant la dernière porte, pourquoi avait-il l’impression d’être aussi vulnérable que s’il se promenait dans le jardin, sur la terrasse du palais ?
À son arrivée au centre de commandement, une demi-douzaine de personnes l’attendaient : les meilleurs experts du système de défense planétaire de Korhal et des spécialistes de la guerre. Six des neuf écrans qui entouraient le fauteuil de l’empereur lui permettaient d’être relié à des officiers supérieurs, ailleurs dans le système.
Les trois autres diffusaient des images du léviathan.
Valérian prit place en fronçant les sourcils. D’expérience, et grâce à son bon sens, il savait que les léviathans ne voyageaient jamais seuls. Mais, si celui-ci était accompagné, son escorte prenait manifestement tout son temps. Il salua l’homme dont le visage était affiché sur le premier écran avec le respect et le protocole qui lui étaient dus.
— Amiral Horner. Où en est-on ?
L’amiral Matt Horner, qui s’était à moitié tourné pour s’entretenir avec quelqu’un sur la passerelle de l’Hypérion, fit de nouveau face à la caméra.
— Empereur Valérian, répondit-il avec la même solennité. La situation est assez… déconcertante. Le léviathan émet un message sur trois fréquences distinctes. Le signal est assez faible, mais nous en avons capté une bonne partie. Le voici.
Il tendit le bras hors champ, et son visage fit place à celui d’une reine zerg.
Tous les Zergs avaient un côté passablement cauchemardesque, avec un corps qui semblait surtout composé de plaques osseuses, de pointes et de griffes acérées. Mais les Terrans étaient réputés pour leurs analogies douteuses, et avaient souvent tendance à comparer les Zergs à des créatures familières : des araignées géantes, des limaces caparaçonnées ou d’immenses abeilles à ailes de chauve-souris.
Les reines étaient des êtres à part, cependant. Généralement, on avait l’impression de voir un centaure tout droit issu des légendes de la vieille Terre, le torse humain ayant fait place à un abdomen de scolopendre, et la partie inférieure équine à un crabe géant, le tout protégé par une armure effrayante.
Cette vision d’horreur rappelait d’ordinaire des tas de souvenirs. Les horreurs de la guerre. Le comportement bestial des Zergs, les excès d’arrogance des Protoss et la débauche de violence et d’indifférence des Terrans. Les morts, les scènes de destruction, la souffrance… tous ces souvenirs revinrent à l’esprit de Valérian, tel un fleuve d’acide.
Les livres d’histoire aussi donnaient trop souvent l’impression que le calvaire avait cessé à la fin de la guerre. Valérian savait très bien, désormais, que ce n’était pas le cas. Entre la reconstruction lente et coûteuse des planètes dévastées et la souffrance causée par la perte d’amis et d’êtres chers, les répercussions du conflit s’étaient fait sentir durant des années, bien après que les armes et les mécas s’étaient tus.
Le Dominion terran était très loin d’avoir oublié la guerre. Si les Zergs proposaient d’en déclencher une nouvelle…
— Je m’appelle Mukav, déclara une voix caverneuse.
Quelqu’un dans la pièce poussa un petit cri de surprise, et même Valérian plissa les yeux. D’ordinaire, les reines zergs n’étaient pas en mesure de communiquer verbalement. Quelqu’un avait-il de nouveau joué avec leurs gènes ?
— Toutes mes salutations. Je vous apporte un message. J’ai une requête urgente à vous soumettre. Je m’appelle Mukav. Toutes mes salutations. Je vous apporte un message. J’ai une requête urgente à vous soumettre.
L’affichage se modifia, et le visage de Matt réapparut.
— Et voilà. Elle continue à se répéter.
— Il s’agit d’une transmission en boucle ?
— Je ne crois pas, répondit l’amiral. Je l’ai étudiée un moment, et j’ai remarqué de légers changements sur son visage et dans sa posture. Je crois qu’elle se contente de répéter le même message en attendant que nous lui répondions.
— Vous avez une idée de ce qu’elle veut ? s’enquit l’empereur.
— En fait, je ne suis même pas certain qu’elle s’adresse à nous. Son émetteur utilise les mêmes protocoles que le système de communication d’une vieille frégate Valkyrie.
— Vraiment ? s’étonna Valérian.
L’incursion du directoire de la Fédération terrienne au sein du secteur de Koprulu, des années plus tôt, ne s’était pas déroulée comme prévu. Entre l’Essaim de Zergs de Kerrigan, les Protoss et le Dominion, aucune des forces du DFT n’avait survécu suffisamment longtemps pour faire son rapport à la planète mère. La plupart de leurs précieuses frégates Valkyrie avaient été détruites, mais un certain nombre d’entre elles avaient fini entre les mains du Dominion.
— Les Zergs n’ont jamais employé ce genre de technologie, poursuivit-il.
— Et ce n’est peut-être toujours pas le cas, fit remarquer Matt. Il s’agit des mêmes protocoles, mais pas d’un système Valkyrie. À mon avis, ils sont parvenus à en récupérer un et à l’étudier, ce qui leur aura permis d’assembler leur propre version. Équipée d’une interface psi/voix.
— Impressionnant, marmonna Valérian.
Pourtant, les Protoss employaient une technique similaire pour communiquer avec les Terrans sur leurs propres systèmes de communication. Personne n’avait encore saisi comment cela fonctionnait. Il était donc peu probable qu’ils parviennent à comprendre rapidement le procédé des Zergs.
— Sinon, j’ai une bonne nouvelle, poursuivit Matt. J’ai demandé à deux chasseurs Ombres d’effectuer un vol de reconnaissance, et presque toutes les cellules à la surface du léviathan sont ouvertes.
Valérian fronça les sourcils.
— Elles sont ouvertes ? Comme si elles étaient vides ?
— C’est l’impression que ça donne… Mais ça ne tient pas compte des cellules intérieures. Celles-là sont sans aucun doute occupées par des Zergs. Mukav se trouve forcément dans l’une d’elles.
— D’accord, déclara l’empereur en scrutant les écrans.
Les léviathans étaient des engins prodigieux. Plus gros encore que les vaisseaux mères protoss.
Mais les cellules extérieures permettaient un déploiement rapide des troupes. Si elles étaient toutes ouvertes, cela semblait indiquer que Mukav n’avait aucune intention belliqueuse. Ou, du moins, aucune intention de procéder à une attaque rapide.
— Les cellules ouvertes sont peut-être occupées par des mutalisks, fit remarquer Valérian. Ils sont capables de résister très longtemps au vide sidéral.
— Absolument, confirma Matt. Les capteurs des Ombres ne sont pas assez puissants pour scruter les cellules en profondeur.
Valérian grimaça. Il pouvait s’agir d’un piège mais, de manière générale, on ne pouvait pas dire que les Zergs étaient des êtres subtils. Leur tactique préférée consistait à attaquer en nombre, sans se soucier des pertes.
— J’imagine qu’on ferait bien de lui demander ce qu’elle veut. Il me semble que le DFT utilisait des profils et des protocoles différents des nôtres.
— Oui, mais il est possible de les faire coïncider, lui garantit l’amiral. Nous sommes prêts à nous rendre où vous le souhaiterez.
— Parfait. (Valérian bomba le torse.) Établissez la transmission.
— Transmission établie.
— Ici l’empereur Valérian Mengsk du Dominion terran, se présenta-t-il d’un ton aussi solennel que possible. (Il ignorait si Mukav avait les moyens de remarquer ce genre de détail, mais cela ne pouvait pas faire de mal.) Quelle est votre requête urgente ?
La Zerg continua un moment à répéter ses paroles, avant de s’interrompre.
— Ce n’est pas moi qui suis à l’origine de cette requête. C’est Zagara, reine suprême de l’Essaim. (Valérian fronça les sourcils. Une « reine suprême » ? Il ne manquait plus que ça.) Elle demande l’aide du Dominion terran afin de protéger Gystt des Protoss, poursuivit-elle. Elle propose la paix aussi bien aux Protoss qu’aux Terrans. L’Essaim souhaite simplement qu’on le laisse tranquille. Comptez-vous nous aider ? Quelle est votre réponse ?
— Un moment, lui intima Valérian en tentant tant bien que mal de conserver un ton solennel. (On allait de surprise en surprise, ces jours-ci.) Coupez le son, je vous prie, amiral.
Il entendit un déclic.
— Son coupé, confirma Matt.
— Qu’en dites-vous ?
— Rien, reconnut l’amiral, l’air amusé comme jamais. Un Zerg qui nous demande de l’aide ? contre les Protoss ? Ce n’est pas tous les jours…
— Je suis bien de votre avis.
Ce n’était pas si incroyable, malgré tout. La guerre s’était achevée par un pacte tripartite de non-agression, et si l’un des camps en menaçait un autre il était relativement logique que l’on fasse appel au troisième.
Mais après que Zagara eut revendiqué les systèmes autour de Char, laissant tout le monde s’interroger quant à ses futures intentions, Valérian était parti du principe qu’elle tenterait de garder profil bas. La situation devait être très grave pour qu’elle aille jusqu’à appeler le Dominion à la rescousse.
— Essayons d’en apprendre davantage, suggéra-t-il. À commencer par cette planète, Gystt. Quelqu’un en a-t-il déjà entendu parler ?
Aucune réponse. Sur les écrans, certains secouèrent la tête. D’autres baissèrent les yeux, comme s’ils consultaient leurs ordinateurs ou leurs tablettes.
— Empereur Valérian ? se manifesta la femme du cinquième écran. (Valérian ne la connaissait pas, mais elle portait au col les barrettes de commandant du programme Fantôme.) Notre spécialiste protoss me signale que Gystt est une planète qu’ils ont réduite en cendres juste après la destruction de Chau Sara.
— C’est une façon de dire les choses, déclara d’une voix presque inaudible l’un des officiers présents dans le bunker.
— Un commentaire ? demanda Valérian en se tournant vers les officiers. (Il regarda le colonel Abram Cruikshank droit dans les yeux.) Colonel Cruikshank ?
Ce dernier esquissa un rictus.
— Toutes mes excuses, Empereur Valérian. Je me demandais simplement à quel point cette information était fiable.
— Il me semble qu’un Protoss connaît mieux son histoire que nous, lui fit-il remarquer.
— Attendez une minute, intervint Matt en fronçant les sourcils. Un Protoss ? Vous voulez dire Ulavu ? Je croyais qu’il était parti.
— Non, il est encore là, rétorqua sèchement l’empereur, une note de mise en garde dans la voix.
Matt, au moins, saisit le message :
— Je vois. Bon. Alors, Gystt est une planète calcinée. Que sait-on d’autre ?
— Le continent principal occupe près de la moitié des terres de la planète, expliqua le commandant. Deux autres continents plus petits et des îles forment le reste. Les journées font trente heures. Le continent principal, traversé par deux chaînes de montagnes, est de type équatorial…
— Très bien, l’interrompit Matt. Sait-on pourquoi Zagara voudrait s’y établir ?
— Ulavu n’en a pas la moindre idée. Peut-être espère-t-elle que tout le monde considérera qu’il s’agit d’un lieu inoffensif et qu’on lui fichera la paix.
— Probablement, approuva Valérian. La question qui nous préoccupe le plus est de savoir pourquoi elle a besoin de notre protection. (Il fit un signe.) Remettez-moi en ligne.
— Allez-y.
— Parlez-moi de votre problème avec les Protoss, lui demanda Valérian. Qu’avez-vous fait sur Gystt pour les contrarier ?
— La reine suprême demande l’aide du Dominion terran afin de protéger Gystt des Protoss, répondit Mukav. Elle propose la paix aussi bien aux Protoss qu’aux Terrans. L’Essaim souhaite simplement qu’on le laisse tranquille. Comptez-vous nous aider ? Quelle est votre réponse ?
Valérian fronça les sourcils. Elle venait de répéter mot pour mot ce qu’elle avait déjà dit.
— Amiral ?
— Je ne détecte aucun problème de transmission de mon côté, s’étonna Matt, l’air concentré, parcourant du regard les différentes fenêtres sur son écran. Réessayez… nous allons tenter de modifier quelques réglages.
Valérian hocha la tête.
— Qu’a fait Zagara sur Gystt pour contrarier les Protoss ?
— La reine suprême demande l’aide du Dominion terran afin de protéger Gystt des Protoss. Elle propose la paix aussi bien aux Protoss qu’aux Terrans. L’Essaim souhaite simplement qu’on le laisse tranquille. Comptez-vous nous aider ? Quelle est votre réponse ?
— Génial, gronda Cruikshank. Zagara nous a envoyé un légume.
— Ou quelqu’un qui possède une palette de réponses délibérément limitée pour éviter que nous perdions notre temps à discuter, suggéra Valérian. Ça nous renseigne sur le degré de l’urgence du message.
— À moins que ce soit pour nous pousser à nous engager dans cette voie sans en connaître tous les tenants et les aboutissants, prévint Matt. Il peut s’agir d’une ruse pour nous attirer au milieu de nulle part.
— Dans quel dessein ? riposta l’empereur. Il est hors de question que nous laissions le Dominion sans surveillance.
— Ni que nous restions nous-mêmes sans défense, intervint Cruikshank. J’imagine que vous enverriez des forces de combat dignes de ce nom, Empereur Valérian.
Ce dernier examina le visage de Mukav. Immobile, seule et prétendument sans défense à bord d’un léviathan désert, elle attendait la réponse du Dominion à la requête de Zagara. S’il s’agissait d’une ruse, cela ne ressemblait pas du tout aux façons de faire des Zergs.
Mais Zagara avait été disciple de la reine des Lames, jadis connue sous le nom de Sarah Kerrigan, qui avait été un fantôme puissant avant de se faire infester par les Zergs. Kerrigan avait-elle pu lui enseigner ce genre de tactique aussi subtile que perfectionnée ?
Ou du moins les mots justes pour obtenir ce qu’elle souhaitait ?
— Mukav, ici l’empereur Mengsk, déclara-t-il. Qui dirige les forces protoss qui vous menacent ?
— La reine suprême demande l’aide du Dominion terran afin de protéger Gystt des Protoss. Elle propose la paix aussi bien aux Protoss qu’aux Terrans. L’Essaim souhaite simplement qu’on le laisse tranquille. Comptez-vous nous aider ? Quelle est votre réponse ? (Elle inclina la tête, comme si elle réfléchissait.) C’est le hiérarque Artanis qui est à la tête des forces protoss.
Matt poussa un léger sifflement.
— C’est Artanis en personne qui mène l’assaut ? Intéressant.
— Effectivement, reconnut Valérian.
Il comprit que sa décision était déjà prise.
Il n’avait aucune confiance dans l’Essaim zerg. Et encore moins en Zagara, qui avait été la plus proche disciple et alliée de Kerrigan. Au mieux, cette dernière avait été une sacrée dissidente, au pire une traîtresse. Si Zagara mijotait quelque chose, il ne pouvait s’agir que d’un mauvais coup.
Mais, si accepter l’invitation de Mukav signifiait passer un bon moment avec Artanis, le jeu en valait la chandelle.
Le Dominion était éprouvé. Il souffrait de pénuries de nourriture et de logements ; les anciens combattants, mutilés et psychologiquement détruits, étaient légion, et la reconstruction des planètes les plus touchées accaparait une grande partie des ressources.
Mais, à leur façon, les Protoss souffraient tout autant. Ils s’étaient fait décimer durant la guerre. Le Khala, qui les avait jadis liés de façon psionique et avait fait d’eux un peuple, avait volé en éclats. Une faction au moins s’était rebellée contre l’autorité d’Artanis et sa volonté de réunifier leur espèce, et était partie de son côté.
Les Protoss avaient une histoire aussi longue qu’honorable, et disposaient d’une technologie bien plus avancée que celle des Terrans. Malgré tout, le Dominion ne tarissait pas d’efforts dans ce domaine, et les Terrans avaient de plus la particularité d’être une espèce aussi obstinée que créative lorsqu’il s’agissait de résoudre un problème. Ensemble, cela ne faisait aucun doute pour Valérian, le Dominion et les Protoss seraient en mesure de trouver des solutions à leurs difficultés respectives.
Mais, pour que ce soit possible, et ne serait-ce que pour aborder le sujet, il fallait au moins que l’empereur en fasse la proposition à Artanis. Jusqu’alors, ce dernier avait été trop préoccupé pour avoir ce genre de conversation.
Peut-être le ciel de Gystt serait-il le lieu idéal pour prendre le temps d’en discuter.
Et, si Artanis n’était pas là-bas, cela prouverait que Kerrigan avait enseigné à Zagara comment manipuler les Terrans de manière générale, et Valérian en particulier.
— Amiral, dans combien de temps l’Hypérion peut-il se mettre en route ?
— Dans deux heures, répondit Matt du tac au tac. (C’était un allié, un ami de Valérian depuis trop longtemps pour ne pas avoir remarqué que son empereur avait pris sa décision.) Trois, tout au plus. Ça va dépendre de l’importance des forces armées que vous souhaitez engager.
— Nous ne devrions pas avoir besoin de grand-chose. Quoi que l’on finisse par faire, ce sera depuis une position orbitale.
— Je vous prie de m’excuser, Empereur, mais ce n’est pas une bonne idée, intervint Cruikshank. (Il avait sorti sa tablette et y entrait rapidement quelques données.) Tout le monde sait que les situations imprévues ne se déroulent jamais comme on s’y attend.
— Il a raison, l’appuya Matt. Même si on ne se pose pas, il nous faudra bien quelques marines et des unités plus lourdes que l’on pourra déployer à bord à des points stratégiques dans l’éventualité d’une attaque orbitale. Colonel, combien d’hommes pouvez-vous réunir en trois heures ?
— Deux pelotons du 934e régiment des marines sont disponibles immédiatement, répondit Cruikshank. Je peux y ajouter une de mes escouades de Goliaths, et peut-être quelques Chiens de guerre. Quant aux faucheurs… je n’ai que deux ou trois groupes en entraînement dans la zone. Mais je peux faire appel à des réservistes… C’est le minimum de troupes que je recommanderais.
— Parfait, déclara Valérian. (Se préparer à un abordage lui semblait quelque peu paranoïaque. Pourtant, Cruikshank avait raison.) De quel genre de forces orbitales avons-nous besoin ?
— L’Hypérion est déjà presque prêt, fit remarquer Matt. Le Phobos et le Titan peuvent être sur place en moins d’une heure. Le Fury, le Circe et le Cerberus en quatre heures.
— Bien. Nous partirons dans trois heures. Le Fury et les autres nous rattraperont. Demandez à Mukav les coordonnées de Gystt.
— Elle les a déjà envoyées. Le commandant Vitkauskas m’a également envoyé les données d’Ulavu, et elles correspondent.
— Bien, répéta l’empereur. En parlant d’Ulavu, dites au commandant Vitkauskas que j’aimerais que le Protoss se joigne à nous. Nous aurons sans doute besoin d’avoir son avis sur l’Essaim.
Matt écarquilla sensiblement les yeux.
— Euh… je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, dit-il en baissant d’un ton, comme s’ils n’étaient pas déjà cinquante à pouvoir écouter la conversation. Si le hiérarque Artanis est là-bas, la situation pourrait se révéler relativement… gênante.
— Ça se passera bien, rétorqua sèchement Valérian. (Quels que soient les problèmes d’Ulavu avec ses semblables, il restait un mystère à éclaircir. Valérian avait lui-même été chercheur suffisamment longtemps pour savoir que les informations les plus cruciales pouvaient provenir de sources inattendues.) Trois heures, mesdames et messieurs. Faites-en bon usage.
Trois heures plus tard, guidés par le léviathan de Mukav, l’Hypérion et son escorte réalisèrent le saut de puce qui les séparait du système de Gystt.
Les Protoss, comme l’avait laissé entendre le message de Mukav, étaient déjà présents en nombre : on comptait trois disloqueurs, deux porte-nefs, une nuée de Phénix, et même un impressionnant vaisseau mère.
Les Zergs disposaient également de forces considérables, puisque six léviathans étaient en orbite. Toutefois, jusqu’à présent, ces derniers s’étaient tenus à l’écart des envahisseurs, se contentant visiblement d’étudier la situation. De même, les Protoss paraissaient en phase d’observation, ou de siège, attendant probablement que les Zergs portent le premier coup.
Quant à la planète en soi…
— Matt ? murmura Valérian, alors qu’il se tenait au côté de l’amiral, sur la passerelle de l’Hypérion. Ulavu n’avait-il pas affirmé que les Protoss avaient réduit cette planète en cendres ?
— Il y a plus de dix ans, oui, lui répondit Matt sur le même ton.
— Entièrement ?
— Je n’ai jamais vu les Protoss faire les choses à moitié.
Le regard rivé sur le vaste écran de la passerelle, Valérian hocha la tête.
Il contemplait le continent principal de la planète, sa mosaïque de champs, ses zones de brousse, et ses forêts luxuriantes vert et violet.
Rien de tout cela n’aurait dû exister.
Valérian prit une profonde inspiration.
— Bon, dit-il sèchement. Envoyez un signal à ce vaisseau mère. Voyons si le hiérarque Artanis accepte les appels du Dominion aujourd’hui.
— Il nous expliquera peut-être ce qui se passe ici.