Chapitre 8

Les dix Zergs semblaient bel et bien morts, mais Whist savait de longue date qu’il valait mieux ne jamais rien laisser au hasard. Une pointe plantée dans chaque carcasse – sous des plaques de chitine ou dans quelque jointure plus vulnérable – acheva de dissiper ses doutes.

Les autres l’attendaient, massés près de la dépouille encore fumante et engluée de bile acide du saccageur. Whist les rejoignit à grandes enjambées, profitant de ces quelques secondes pour évaluer la situation. Dizz se comportait en soldat averti, regardant alentour pour prévenir toute éventuelle menace. Erin s’était accroupie près de la carcasse calcinée et faisait mine de l’examiner, s’efforçant surtout de réprimer le tremblement nerveux qui l’agitait tout entière ; Whist le percevait sans mal malgré sa CMC. Tanya et Ulavu se tenaient près d’elle et le regardaient approcher, discutant sûrement grâce à leur insupportable lien psionique.

Whist ne savait pas encore quoi penser de Tanya : elle avait fait feu sur leurs ennemis, certes, mais avait aussi perdu beaucoup de temps à les dévisager, pendant que Dizz et lui assuraient le gros du combat. Le plus probable, c’était qu’elle était encore plus inexpérimentée au combat qu’il l’avait estimé. C’était peut-être même sa première bataille, hypothèse qui lui imposait de se demander pourquoi Cruikshank la leur avait mise sur les bras.

L’autre éventualité était que ces regards insistants avaient été les indices de quelque technique secrète des fantômes… Le cas échéant, Whist n’en avait pas vu les effets.

Quant à Ulavu, il avait fui la mêlée, ce qui était de loin ce qu’il pouvait faire de mieux.

Lorsque Whist arriva près du groupe, Erin s’était relevée, son inspection de façade terminée.

— Ils sont tous morts ? demanda-t-elle.

Seul un vague écho du tremblement qui l’agitait tout à l’heure était encore perceptible dans sa voix.

— Tous, lui assura Whist.

— OK, tant mieux…, soupira-t-elle. C’est… toujours comme ça ?

— Non, d’ordinaire ils sont plus rapides, répondit Whist d’un ton calme. Les inhibiteurs psi, sans doute. Dizz ?

— En général ils sont plus résistants, aussi, expliqua le faucheur, qui poursuivait sa vigie. Bon, rien à signaler pour l’instant. Si je peux me permettre, c’est de l’amateurisme, ce traquenard. Zagara pensait vraiment nous arrêter avec dix Zergs ?

— Je ne pense pas que ces Zergs aient été envoyés par Zagara, annonça Ulavu. Il m’est avis, surtout, que nous venons d’entrer en zone de régence floue.

Whist fronça les sourcils.

— En zone de quoi ?

— L’expression désigne le recoupement des territoires de deux reines ou mères des couvées zergs, expliqua Ulavu. Dans ce genre de zones, les Zergs sont plus difficilement contrôlables par l’une et l’autre des dirigeantes, si bien qu’ils agissent plus facilement à l’instinct.

Whist grimaça.

— Dizz ?

— Jamais entendu parler, commenta Dizz. Jamais remarqué quoi que ce soit qui y ressemble, non plus.

— L’effet est plus discret sur les champs de bataille, car les frontières territoriales y fluctuent sans cesse. Il n’y a guère qu’à la surface des planètes et dans un environnement globalement stable que cela peut avoir une incidence notable.

— Très bien, commenta Whist. Imaginons que ce soit la cause de ce qui s’est passé, et que le fait nous soyons passés inaperçus n’ait rien à voir avec les inhibiteurs psi : qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

— Nous poursuivons notre route, répondit Ulavu. Nous avons déjà nettoyé cette partie de la zone de régence floue, et changer de cap ne nous apporterait rien, en plus de nous exposer au risque d’une nouvelle attaque de Zergs sans maîtresse.

Whist se tourna vers Tanya.

— C’est toi, sa boss. T’en penses quoi ?

— Je suis tout sauf sa boss, lâcha-t-elle d’un ton quelque peu cinglant. Et, oui, je pense que ce qu’il dit est fiable. Ulavu se trompe rarement à propos de ce genre de choses.

— Bon, eh bien, à défaut de meilleure hypothèse, on va se fier à celle-là, statua Whist. Allez, on bouge.

— Une dernière chose avant qu’on lève le camp, l’arrêta Dizz en levant le doigt. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais c’est à moi qu’on a confié le commandement de la mission.

Un tic nerveux agita les lèvres de Whist. Dizz comptait vraiment faire peser sur eux ces conneries de rapports hiérarchiques ?

— Au-delà de ça, nous savons tous – et si ce n’est pas le cas, c’est une erreur – que le sergent Cray a beaucoup plus d’expérience que moi sur le terrain, poursuivit Dizz. Aussi, fidèle à ce principe suranné qui veut que l’on confie l’autorité à la personne la plus apte à mener à bien une mission, je le déclare officiellement aux commandes de cette intervention. (Il inclina légèrement la tête.) Félicitations, sergent ! Considérez cela comme une promotion de circonstance.

Il fallut quelques secondes à Whist pour prendre la pleine mesure de ce qu’il venait d’entendre, car ce n’était pas tout à fait le genre de « conneries de rapports hiérarchiques » dont il avait l’habitude.

— Merci…, se contenta-t-il de dire.

— Attendez une minute, intervint Erin, manifestement troublée. C’est autorisé, un truc pareil ?

— En théorie, probablement pas, lui répondit Dizz dans un haussement d’épaules. Mais en pratique, qui viendra m’en empêcher ?

— Pas de souci, Erin, ajouta Whist. C’est loin d’être la première fois que je devrai encadrer des lieutenants.

— Ah ! tu vois ? Bon ! maintenant que le sujet est clos, on met le cap sur le site localisé par Erin ?

— Sauf si quelqu’un a une meilleure idée, lança Whist.

— Vous ne pensez pas qu’on devrait en informer la base ? demanda Erin. Les prévenir de ce qui vient de se passer, au moins ?

— Ils nous observent depuis l’espace, lui rappela Whist. Cruikshank et Horner étaient probablement aux premières loges. Ça pose la question de pourquoi nous n’avons pas vu arriver les renforts, mais je suppose que c’est à cause de la brièveté du combat.

— Il est même probable qu’ils ont déjà relayé l’info à l’empereur Valérian, ajouta Dizz. Alors, pas d’inquiétude, tous ceux qui devraient être au courant le sont déjà.

— Je parlais surtout de l’hypothèse d’Ulavu selon laquelle ce n’était qu’un incident isolé, rectifia Erin.

— Ils le sauront selon que nous subissons ou non une autre attaque, expliqua Dizz avec patience.

— Voyons ça autrement, intervint Whist. Si on veut prévenir Cruikshank, soit on éteint les inhibiteurs psi, soit on envoie l’un d’entre vous hors de leur portée. Un de ces choix vous semble pertinent ?

Erin grimaça.

— Pas vraiment, non.

— Dans ce cas, on bouge, conclut Whist. Je passe devant. Tanya, tu me suis, suivie d’Ulavu, puis Erin. Dizz ferme la marche. À mon avis, on est plus ou moins à trois bornes de notre destination, alors on boucle le trek avec les yeux grands ouverts et les armes prêtes à cracher. (Il se tourna vers Ulavu.) Juste au cas où ce coin-là serait plus qu’un territoire zerg contesté, vu ?

— Vu, acquiesça Dizz. Vous avez entendu le chef ? Allez ! on se met en rang et on en finit.

Whist menait la troupe à grandes enjambées, se demandant ce qui se tramait. Quel criminel – quand bien même repenti – proclamait son autorité pour s’en défausser ensuite à la première occasion ? Car, c’était un fait, tous les criminels que Whist avait croisés dans sa vie partageaient une même caractéristique notable : ils étaient nombrilistes à en faire pâlir Narcisse. Par définition, ceux qui défiaient l’autorité légale le faisaient car ils ne supportaient pas de ne pas pouvoir agir à leur guise. Si leur comportement dérangeait quelqu’un, ce quelqu’un pouvait toujours aller se faire foutre. Donner des ordres était un privilège sur lequel la plupart d’entre eux auraient bondi.

À moins que Dizz, plus que de vouloir accorder du pouvoir à Whist, se soit surtout empressé de lui refourguer ses responsabilités…

Il se renfrogna. Oui, ce devait être ça. Dizz venait de voir leur premier combat, avait compris qu’ils avaient eu le cul bordé de nouilles de s’en sortir indemnes, et avait préféré se défiler pour ne pas avoir à assumer l’éventuel KO au deuxième round.

N’était-ce pas ainsi que pensait un criminel ? ou… un politicien, peut-être ?

Les faucheurs acceptaient-ils dans leurs rangs des politicards véreux ?

— Hé, chef ! (La voix de Dizz résonna dans son casque.) Des collines droit devant. Tu veux que je saute jusque là-bas pour voir ce qu’il y a de l’autre côté ?

— Bonne idée. Go, acquiesça Whist.

Derrière lui retentit le bruit de propulseurs et, sur sa caméra arrière, il vit Dizz s’élever à cinquante mètres en quelques secondes.

Et s’il y avait plus simple encore derrière la décision de Dizz ? Whist jeta un regard par-dessus son épaule, observant l’air de rien la manœuvre, tout en se concentrant sur Tanya. Elle avait passé son C-10 à son épaule ; l’arme lui était aisément accessible, mais pas autant que si elle l’avait eue en main. Savait-elle qu’elle n’en aurait pas besoin ?

Le fait que Tanya soit un fantôme signifiait qu’elle était au minimum télépathe. Cela ne faisait d’ailleurs aucun doute vu la façon dont elle communiquait en privé avec Ulavu.

Et si elle était plus que cela ? Peut-être possédait-elle des capacités plus puissantes ? la télékinésie ? Qu’elle ait ralenti les Zergs ou accéléré les traits déjà hypersoniques des armes Gauss expliquerait leur victoire facile.

Quoi qu’il en soit, un tel pouvoir la rendait particulièrement utile… ou dangereuse, si elle déraillait. De fait, les fantômes avaient la réputation d’être des fêlés de première classe, plus encore que les faucheurs. D’après les rumeurs, ils avaient besoin d’implants cybernétiques pour conserver un semblant d’équilibre mental, et ne pouvaient tenir le coup sans toute une pharmacopée de cames chimiques qui boostaient leurs capacités. Whist n’avait jamais entendu parler de fantômes qui s’étaient retournés contre leurs supérieurs, mais il ne doutait pas que ce genre d’incidents se produisait parfois.

Dizz l’avait-il promu dans l’espoir d’échapper à la fureur de Tanya, si elle en venait à péter les plombs ?

Whist se retourna pour faire face à leur destination, pleinement conscient que Tanya se trouvait maintenant dans son dos.

Ça va aller…, tenta-t-il de se convaincre. Fais ton boulot et ne doute pas qu’elle fera le sien.

— Rien à signaler à première vue, annonça Dizz.

— Merci, lâcha Whist.

Oui, chacun d’eux fera son taf… mais prie quand même pour qu’aucune autre merde ne nous tombe sur le paletot.

Pff… Je peux me remettre à croire au Père Noël, aussi.

 

— Jamais je n’ai eu l’intention de vous tromper, insista Zagara dont la voix psionique caverneuse trahissait qu’elle luttait pour ne pas paraître offensée.

Artanis en prit note.

— Comment le croire ? répliqua le Protoss. Les Xel’Naga étaient des êtres sensibles capables de parler et de manipuler leur environnement et les individus autour d’eux. Ils n’étaient pas des créatures végétales. Comment leur essence pourrait-elle avoir atterri dans ces plantes sans manipulation réfléchie ?

Zagara inclina la tête sur le côté…

Alors, à la grande surprise de Valérian, Abathur, silencieux à côté d’elle, se redressa.

— Manipulation réfléchie, bien sûr, dit-il d’une voix insondable et résonnante. Manipulation caractéristique primordiale des Zergs. Manipulation essence des Zergs.

— Ravi que vous vous joigniez à nous, l’accueillit Valérian en lui adressant un léger hochement de tête. (Le maître des évolutions pouvait donc bel et bien s’exprimer.) Êtes-vous celui à qui l’on doit ces travaux ou les avez-vous simplement supervisés ?

— Toute création fruit du travail d’Abathur seul, répondit-il, une note de fierté dans la voix.

— Bien entendu…, lâcha Artanis d’une voix sinistre, sa peau tachetée par l’émotion. Il n’y a jamais eu qu’un seul maître des évolutions. Abathur.

— Je vois, commenta Valérian, se renfrognant malgré lui. C’est donc à lui que l’on doit l’intégralité des mutations subies par les Zergs durant la guerre ? Toutes ces sous-espèces qui ont semé la mort et le deuil dans nos rangs ?

— Abathur m’obéit, répliqua Zagara. Il a toujours servi l’Essaim, que ce soit du temps du Maître-esprit ou de la reine des Lames. Si vous cherchez des responsables, accusez-les, accusez-moi, mais ne l’impliquez pas dans nos querelles.

— Je n’accusais personne, Reine suprême, corrigea Valérian. Je ne faisais qu’énoncer une relation, fâcheuse et avérée, de cause à effet. Et donc, c’est à lui que l’on doit les hybrides plantes-Xel’Naga qui se trouvent autour de nous ?

— Réponse déjà donnée, intervint Abathur. L’organisme terran suspecter un mensonge ou trop primitif pour comprendre ?

Zagara se tourna à demi, et Valérian eut l’impression qu’elle engageait avec Abathur une conversion psionique privée. Le maître des évolutions baissa la tête de quelques centimètres.

— Abathur réprimandé pour son incorrection. Excuses présentées.

— Votre question n’en est pas moins chargée d’accusations déplaisantes, ajouta Zagara d’une voix ténébreuse. Désapprouvez-vous ces recherches ? Désapprouvez-vous les méthodes de l’Essaim ?

— Disons que nous avons été témoins des dégâts causés par ses créations, rétorqua Valérian, luttant pour rester calme et courtois.

C’était un fait : tout au long de la guerre, les soldats du Dominion avaient combattu les différents Zergs, mourant par centaines avant de parvenir à déceler le point faible d’une de leurs unités. Ils commençaient alors à l’exploiter et, quelques semaines, quelques jours, voire quelques heures plus tard, une nouvelle créature voyait le jour, dépourvue de ce talon d’Achille.

— Nous les avons affrontées sur le champ de bataille où elles ont décimé les nôtres.

— Craindriez-vous ces plantes comme vous avez craint nos guerriers ? le railla Zagara. La fonction première d’Abathur est de modeler la vie. N’est-ce pas louable de ma part de lui demander de créer des espèces de vie inoffensives et bénéfiques plutôt que des vecteurs de contamination ?

— Qui nous dit qu’elles sont inoffensives ? intervint Artanis en désignant du menton les présentoirs. Peut-être s’agit-il là de semis qui serviront à une future contamination de nos planètes.

— Si c’est ce que vous pensez, que faites-vous ici ? s’enquit Zagara. Si vous êtes convaincu que je compte vous trahir, pourquoi avoir accepté de me rencontrer ?

— C’est le maigre espoir que l’Essaim ait pu changer qui m’a poussé à venir, répondit Artanis. Et je n’en ai encore eu aucune preuve.

Zagara se redressa, et Valérian vit ses muscles ondoyer sous sa peau épaisse.

— Laissez-moi vous donner un exemple, Reine suprême, se hâta-t-il d’ajouter. Vous nous avez dit que les mères des couvées vous obéissaient.

— Dois-je le confirmer de nouveau ?

— Or les mères des couvées contrôlent les Zergs présents sur leur territoire…

— Oui.

— Qu’en est-il, alors, du groupe de Zergs qui a attaqué notre équipe de reconnaissance ?

Zagara sembla décontenancée.

— Votre équipe de reconnaissance a été attaquée ?

— Oui, il y a quelques minutes, l’informa Valérian. On m’a rapporté l’incident tandis que le hiérarque Artanis et moi-même étudiions les plantes.

— Vos unités ont-elles été blessées ? demanda Zagara, dont les griffes tressaillaient. Avez-vous subi d’autres attaques ?

— Non, répondit Valérian.

Zagara resta silencieuse quelques secondes, puis ses griffes tremblantes cessèrent de s’agiter.

— Ce n’était pas un assaut prémédité. Je viens de m’entretenir avec les mères des couvées. Votre équipe traversait une zone de régence floue. Là où les différents territoires se chevauchent, les membres de l’Essaim, livrés à eux-mêmes, agissent à l’instinct et de leur propre volonté.

— Cela dénote un manque de rigueur certain de la part de vos mères des couvées, non ? osa Valérian.

— Bien plus qu’un manque de rigueur, surenchérit Zagara d’un ton inquiétant. Les mères des couvées ont été punies, et plus aucune ne laissera une telle faute se reproduire.

— Cela n’excuse pas totalement cette attaque, ajouta Artanis. Si l’Essaim a changé, pourquoi certains de ses membres, même libres d’agir à leur guise, ont-ils attaqué notre équipe de reconnaissance ?

— Le changement ne répond-il pas à une logique descendante, des dirigeants vers le peuple ? lui fit remarquer Zagara. C’est ainsi que cela se passe chez les Protoss et les Terrans, et l’Essaim est soumis à ce même état de fait. (Elle désigna d’une griffe chacun des deux dirigeants.) Je vous rappelle également que les Protoss et les Terrans sont mus par un instinct de survie qui les pousse à se méfier de toute menace potentielle. Pourquoi n’en irait-il pas de même pour les Zergs ?

— L’argument me semble pertinent, en effet, concéda Valérian.

— J’ai également ordonné aux mères des couvées de laisser passer votre équipe de reconnaissance lorsqu’elle traversera leurs territoires, reprit Zagara. Bien. Nous discutions des plantes.

— D’Abathur, plus exactement, la corrigea Valérian en fronçant les sourcils.

Elle avait dit « lorsqu’elle traversera », et non « si elle traverse » : s’attendait-elle à ce que l’équipe quitte la zone ?

L’espérait-elle, même, peut-être pour cacher quelque chose ?

Il se demanda un instant s’il ne devait pas faire part de sa réflexion à Zagara… Peut-être que sa formulation n’avait été qu’une maladresse due à une maîtrise lacunaire de la langue terrane ? Dans le cas contraire, en revanche, il y avait peut-être quelque chose qu’elle ne voulait pas que l’équipe découvre sur le premier site localisé par Wyland…

Quoi qu’il en soit, orienter la discussion sur le fait qu’ils avaient repéré sur la planète une zone suspecte serait la pire des choses à faire.

— Très bien, dit Zagara. (Valérian pressentait qu’Abathur n’était pas son sujet de discussion favori.) Abathur est un être ancestral créé bien avant ma naissance par le Maître-esprit afin d’absorber, puis de remodeler les essences aliens, pour les intégrer ensuite à l’Essaim. Que savez-vous des origines du Maître-esprit ?

— Bien peu de chose, admit Valérian. Nous supposons, surtout.

— Il s’agit d’une entité créée il y a des millénaires par le Xel’Naga Amon, expliqua Zagara. Il incarnait la conscience zerg et a apporté unité et hiérarchie aux Zergs autrefois dispersés. Plus tard, il a développé divers moyens d’asseoir son autorité.

— Après quoi, il a conçu Abathur ? demanda Valérian, qui dévisageait le maître des évolutions avec une appréhension nouvelle.

Les Zergs lui étaient déjà étrangers au possible, mais il se retrouvait désormais nez à nez avec une créature qui, en plus de provenir d’une époque de l’histoire zerg dont le Dominion ne savait rien, avait été conçue par un esprit au fonctionnement encore plus nébuleux…

Comment fonctionnait la pensée d’Abathur ? Que ressentait-il ? Valérian pourrait-il appréhender ne serait-ce qu’une infime partie de ce qu’était le maître des évolutions ?

— Exactement, répondit Zagara.

— Votre confiance en lui doit être bien solide, intervint Artanis. Vous l’avez autorisé à superviser la métamorphose qui a fait de la mère des couvées que vous étiez la reine suprême que vous êtes aujourd’hui…

— C’est exact. Pour autant, il n’a pas plus choisi qu’imaginé ces altérations. C’est la reine des Lames dont nous étions tous deux vassaux à qui je les dois, et il lui importait que je comprenne ses desseins et méthodes mieux qu’aucune mère des couvées avant moi.

— Elle vous préparait à prendre sa suite ?

— Je n’en sais pas plus que ce qu’elle m’a énoncé alors : qu’elle désirait que je pense davantage comme elle.

Valérian pinça les lèvres. Penser davantage comme Kerrigan ? Ce pouvait être une bonne nouvelle, oui… ou augurer du pire.

— J’ai affronté le processus de métamorphose dans la douleur, mais de mon plein gré et mue par une détermination farouche, poursuivit Zagara, dont les griffes s’ouvraient et se fermaient à répétition. C’est cette transformation qui m’a permis de percevoir, au-delà du cycle infini de l’existence zerg, une voie nouvelle et vertueuse.

— La transformation… et l’essence xel’naga dont Kerrigan vous a fait don, commenta Valérian, grimaçant aussitôt, comme s’il venait de comprendre. En êtes-vous imprégnée ?

— Non, répondit Zagara sans tarder. (Peut-être un peu trop vite, d’ailleurs.) La reine des Lames n’en disposait pas encore lorsque j’ai été modifiée.

— Car quiconque aurait en lui l’essence des Xel’Naga verrait ses chances d’ascension nettement augmentées…, insista Valérian. Dites-moi, Reine suprême, une fois que vous avez acquis cette essence, avez-vous demandé à Abathur quelques petites altérations supplémentaires ?

— Non, répondit Zagara, péremptoire. La reine des Lames m’a conçue ainsi pour que je dirige l’Essaim, et je n’ai nul besoin de modifications supplémentaires.

Valérian se tourna vers Artanis, mais le Protoss demeurait silencieux. Peut-être était-il satisfait des réponses de Zagara.

Ou alors il estimait que lui poser davantage de questions ne les mènerait nulle part.

— Très bien, lança Valérian en se retournant vers Zagara. Vous nous avez dit tout à l’heure que vous disposiez peut-être d’un moyen d’aider le Dominion et les Protoss à reconstruire leurs planètes dévastées. Expliquez-nous un peu comment vous comptez vous y prendre…