ACTE III

Scène : Fehrbellin. Une prison.

SCÈNE I

Le prince von Homburg. À l’arrière-plan, deux soldats de la cavalerie montent la garde. — Le comte von Hohenzollern arrive.

LE PRINCE VON HOMBURG

Tiens, tiens ! Mon ami Heinrich ! Sois le bienvenu !

Alors, je ne suis plus aux arrêts ?

HOHENZOLLERN, ÉTONNÉ.

Loué soit le Tout-Puissant !

LE PRINCE VON HOMBURG

Que dis-tu ?

HOHENZOLLERN

Libre ?

T’a-t-il rendu ton épée ?

HOHENZOLLERN

Non ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Non !

HOHENZOLLERN

— Alors comment ?

LE PRINCE VON HOMBURG , après un silence.

Je croyais que tu m’apportais la nouvelle. Tant pis !

HOHENZOLLERN

— Je ne suis au courant de rien.

LE PRINCE VON HOMBURG

Tant pis, tu entends ? Tant pis1 !

Il enverra quelqu’un d’autre me l’annoncer.

Il se retourne et va chercher des sièges.

Assieds-toi ! — Alors, dis-moi, quelles sont les nouvelles ?

— L’Électeur est-il rentré de Berlin ?

HOHENZOLLERN , distrait.

Oui. Hier soir.

HOHENZOLLERN

Lui et l’Électrice et Natalie. —

L’église était très dignement illuminée ;

Pendant le Te Deum on entendait solennellement tirer

Des salves de batteries depuis la place du château.

Comme des trophées, les drapeaux suédois

Et les étendards flottaient sur les piliers,

Et sur l’ordre exprès du souverain,

Ton nom a été cité en chaire —

Comme étant celui du vainqueur.

LE PRINCE VON HOMBURG

On me l’a dit ! ! — Alors, qu’y a-t-il d’autre ? Que m’apportes-tu ?

— Tu n’as pas l’air très gai, on dirait, mon ami !

HOHENZOLLERN

As-tu déjà parlé à quelqu’un ?

LE PRINCE VON HOMBURG

À Golz, à l’instant, au château,

Où, tu le sais, j’ai été soumis à un interrogatoire.

Silence.

HOHENZOLLERN , le regardant d’un air inquiet.

Que penses-tu, Arthur, de ta situation,

Depuis qu’elle a si étrangement changé ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Moi ? Ma foi, la même chose que toi et Golz — et même les juges !

L’Électeur a fait ce que le devoir commandait,

Et à présent il va obéir de la même façon à son cœur.

Tu as commis une faute, me dira-t-il gravement,

Peut-être un mot pour parler de peine de mort et de forteresse :

Cependant je te rends ta liberté —

Et autour de l’épée qui pour lui a conquis la victoire

Peut-être enroulera-t-il même un signe de sa grâce ;

— S’il n’en est rien, tant pis ; car je ne l’ai pas mérité !

HOHENZOLLERN

Ô Arthur !

Il s’interrompt.

LE PRINCE VON HOMBURG

Eh bien ?

HOHENZOLLERN

— En es-tu si sûr ?

HOHENZOLLERN , avec gravité.

Tu as comparu devant la cour martiale, Arthur,

Et tu y crois encore ?

HOHENZOLLERN

La cour martiale cependant a rendu son verdict, dit-on ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Oui, je sais : la peine de mort.

HOHENZOLLERN , étonné.

Tu le sais déjà ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Golz, qui a assisté aux délibérations du conseil de guerre,

M’a rapporté la sentence.

HOHENZOLLERN

Mais alors, juste ciel ! Cela ne t’émeut pas ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Moi ? Pas le moins du monde.

HOHENZOLLERN

Enragé !

Et sur quoi se fonde ton assurance ?

HOHENZOLLERN

Mais, Arthur, je t’assure —

LE PRINCE VON HOMBURG, avec humeur.

Ô mon cher ami !

HOHENZOLLERN

Le maréchal —

LE PRINCE VON HOMBURG , toujours mécontent.

Laisse-moi, mon ami !

HOHENZOLLERN

Deux mots encore !

S’ils te laissent froid eux aussi, je ne dirai plus rien.

HOHENZOLLERN

Le maréchal vient de lui transmettre au château,

Et c’est étrange, la sentence de mort,

Et lui, au lieu de te gracier, comme le jugement

Lui en laisse la liberté, il a ordonné

Qu’on la lui soumette pour la signer.

LE PRINCE VON HOMBURG

Peu importe, tu m’entends.

HOHENZOLLERN

Peu importe ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Pour la signer ?

HOHENZOLLERN

Parole d’honneur ! Je puis te l’assurer.

LE PRINCE VON HOMBURG

La sentence ? — Non ! Le document — ?

HOHENZOLLERN

L’arrêt de mort.

LE PRINCE VON HOMBURG

— Qui t’a dit ça ?

HOHENZOLLERN

Lui-même, le maréchal !

HOHENZOLLERN

À l’instant.

LE PRINCE VON HOMBURG

Après avoir vu Son Altesse ?

HOHENZOLLERN

Comme il descendait l’escalier après l’entrevue ! —

En me voyant bouleversé, il a ajouté

Que rien n’était encore perdu, que demain

Serait un autre jour pour te gracier ;

Mais ses lèvres blêmes démentaient

Les mots qu’elles prononçaient et disaient : je crains que non !

LE PRINCE VON HOMBURG se lève.

Il pourrait — non ! rouler dans son cœur

De si monstrueuses décisions ?

Pour un défaut à peine perceptible

Dans le diamant qu’il vient de recevoir,

Écraser dans la poussière celui qui lui en fait don ?

Un acte qui rendrait blanc comme neige le dey d’Alger,

Qui ornerait Sardanapale1 d’ailes d’argent

Semblables à celles des chérubins et qui expédierait

À la droite de Dieu toute la lignée des tyrans

De la Rome antique, les déclarant innocents

Comme des enfants qui meurent sur le sein de leur mère ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Et le maréchal s’est tu et n’a rien dit ?

HOHENZOLLERN

Qu’aurait-il pu dire ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Ô ciel ! Mon espoir !

HOHENZOLLERN

Aurais-tu fait un pas,

Soit volontairement soit inconsciemment,

Qui aurait froissé sa fierté ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Jamais !

HOHENZOLLERN

Réfléchis !

LE PRINCE VON HOMBURG

Jamais, le ciel m’en est témoin !

Pour moi, l’ombre même de sa tête était sacrée.

LE PRINCE VON HOMBURG

Ô mon Dieu ! Que dis-tu ?

HOHENZOLLERN

Tu l’es ? N’est-ce pas ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Eh bien oui, mon ami ; à présent tout s’explique ;

La demande que j’ai faite me pousse à ma perte :

Sache que je suis responsable de son refus,

Car la princesse s’est fiancée à moi !

HOHENZOLLERN

Quel fol étourdi ! Qu’as-tu fait ?

Combien de fois, en fidèle ami, ne t’ai-je averti ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Ô mon ami ! Au secours, sauve-moi ! Je suis perdu.

HOHENZOLLERN

Oui, que faire pour te tirer de cette impasse ?

Voudrais-tu parler à l’Électrice, ta tante ?

LE PRINCE VON HOMBURG , se retournant.

— Hé ! Garde !

UN GARDE DE LA CAVALERIE

Oui !

HOHENZOLLERN , tout en l’aidant.

La démarche peut, si tu t’y prends bien, t’apporter le salut.

— Car si l’Électeur peut conclure la paix

Avec le roi Charles pour le prix convenu,

Tu verras son cœur se réconcilier avec toi,

Et très vite, dans quelques heures, tu seras libre.

SCÈNE II

L’officier arrive. — Les mêmes que précédemment.

LE PRINCE VON HOMBURG , s’adressant à l’officier.

Stranz, je suis confié à ta garde !

Permets, pour une affaire urgente,

Que je m’éloigne une heure.

L’OFFICIER

Mon prince, tu n’es pas confié à ma garde.

L’ordre qu’on m’a donné est de te laisser

Aller librement où tu veux.

LE PRINCE VON HOMBURG

Étrange ! — Je ne suis donc pas prisonnier ?

HOHENZOLLERN , se préparant à partir.

Très bien ! Peu importe !

LE PRINCE VON HOMBURG

Allons, adieu donc !

HOHENZOLLERN

Le lien suit le prince comme son ombre !

LE PRINCE VON HOMBURG

Je vais simplement au château voir ma tante,

Et serai de retour dans deux minutes.

Tous sortent.

Scène : appartement de l’Électrice.

SCÈNE III

L’Électrice et Natalie arrivent.

L’ÉLECTRICE

Viens, ma fille, viens ! Ton heure sonne !

Le comte Gustave Horn, l’ambassadeur de Suède,

Et toute la délégation ont quitté le château ;

Je vois de la lumière dans le cabinet de ton oncle :

Viens, mets ton châle et glisse-toi chez lui,

Et vois si tu peux sauver ton ami.

Elles s’apprêtent à partir.

SCÈNE IV

Une dame d’honneur arrive. — Les mêmes que précédemment.

LA DAME D’HONNEUR

Le prince von Homburg, Madame, est à la porte.

— En vérité, je me demande si j’ai bien vu.

L’ÉLECTRICE , stupéfaite.

Ô Dieu !

NATALIE

Lui ?

L’ÉLECTRICE

N’est-il donc pas aux arrêts ?

LA DAME D’HONNEUR

Il est dehors, en chapeau à plumes et en manteau :

Il supplie, bouleversé, que vous l’entendiez sur l’heure.

L’ÉLECTRICE , avec humeur.

Quel fou ! Manquer ainsi à sa parole !

NATALIE

Qui sait ce qui le tourmente.

L’ÉLECTRICE , après quelque hésitation.

— Qu’il entre !

Elle s’assied sur une chaise.

Le prince von Homburg arrive. Les mêmes que précé-demment.

LE PRINCE VON HOMBURG

Ô ma mère !

Il tombe à genoux devant elle.

L’ÉLECTRICE

Prince ! Que cherchez-vous ici ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Ô laisse-moi embrasser tes genoux, mère !

L’ÉLECTRICE , réprimant son émotion.

Vous êtes prisonnier, prince, et vous venez ici !

Pourquoi ajouter une faute nouvelle à l’ancienne ?

LE PRINCE VON HOMBURG , insistant.

Sais-tu ce qui m’est arrivé ?

L’ÉLECTRICE

Je sais tout !

Mais que puis-je, malheureuse, faire pour vous ?

L’ÉLECTRICE

Tu es hors de toi. Que s’est-il passé ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Ah, sur le chemin qui me conduisait à toi

J’ai vu, à la lueur des flambeaux, creuser

La tombe qui demain accueillera mes ossements.

Vois, ma tante, ces yeux qui te regardent,

On veut les plonger dans la nuit, cette poitrine,

On veut la transpercer de balles meurtrières.

Sur la place du marché, les fenêtres qui donnent

Sur ce spectacle de désolation sont déjà réservées,

Et celui qui aujourd’hui, à la cime de la vie,

Embrasse du regard son avenir comme un royaume de fées,

Sera allongé demain, puant, entre deux planches étroites,

Et une pierre dira de lui : il fut !

À ces mots, la princesse qui jusque-là s’était tenue à l’écart, appuyée à l’épaule d’une dame d’honneur, s’assied à une table et pleure, bouleversée.

L’ÉLECTRICE

Mon fils ! Si telle est la volonté du ciel,

Tu t’armeras de courage et de fermeté !

L’ÉLECTRICE

Lève-toi mon fils ; lève-toi. Que dis-tu là ?

Tu es trop bouleversé. Ressaisis-toi !

LE PRINCE VON HOMBURG

Non, ma tante, pas avant que tu m’aies juré

D’aller te prosterner devant lui, notre auguste souverain,

Pour l’implorer de me sauver la vie !

À Homburg, c’est à toi qu’Hedwige m’a confié

En mourant, et cette amie de jeunesse t’a dit :

Sois une mère pour lui quand je ne serai plus.

Profondément émue, agenouillée près du lit,

Tu t’es penchée sur sa main et tu as répondu :

Il sera pour moi comme si je l’avais enfanté.

Eh bien, je te rappelle aujourd’hui ces paroles !

Va le trouver comme si tu m’avais enfanté et dis-lui :

Grâce ! J’implore sa grâce ! Laisse-le libre !

Ah ! Et reviens vers moi et dis-moi : tu l’es !

LE PRINCE VON HOMBURG

Je renonce à tout bonheur.

Natalie, n’oublie pas de lui dire,

Je ne la désire plus, dans mon cœur

Toute tendresse pour elle est éteinte.

Elle est libre à nouveau comme la biche dans les bois ;

De sa main et de sa bouche, comme si je n’avais jamais existé,

Elle peut faire don de soi, et si c’est à Charles-Gustave,

Le roi de Suède, je l’en félicite.

Je vais retourner dans mes terres rhénanes ;

J’y construirai, j’y détruirai,

J’en ruissellerai de sueur, j’y sèmerai, j’y récolterai

Comme si j’avais femme et enfants et j’en jouirai seul,

Et lorsque j’aurai récolté, je sèmerai à nouveau,

Et je pousserai la vie dans ce manège

Jusqu’à ce qu’au soir elle tombe et meure.

L’ÉLECTRICE

Allons, retourne maintenant dans ta prison,

C’est là la première exigence de ma faveur.

NATALIE , courageuse et réconfortante, se lève et met sa main dans celle du prince.

Va, jeune héros, retourne dans ta prison,

Et sur le chemin du retour, regarde une fois encore,

Calmement, la fosse qu’on creuse pour toi !

Elle n’est ni plus sombre ni plus large

Que celle que la bataille t’a laissé entrevoir mille fois !

En attendant, je tenterai, fidèle jusque dans la mort,

D’intervenir en ta faveur auprès de mon oncle :

Peut-être parviendrai-je à attendrir son cœur

Et à te délivrer de toutes tes peines !

Silence.

NATALIE

Dieu me tendra les flèches qui atteignent leur cible ! —

Mais si l’Électeur ne peut rien changer

Au verdict, s’il ne le peut : eh bien

Tu te soumettras, courageux, à lui, le courageux :

Et celui qui dans la vie fut mille fois vainqueur,

Saura vaincre aussi dans la mort !

L’ÉLECTRICE

Allons ! — Le temps presse, il nous est précieux !

LE PRINCE VON HOMBURG

Eh bien, puissent tous les saints du ciel te protéger !

Adieu ! Adieu ! Et quoi que tu obtiennes,

Daigne me faire savoir le résultat de cette entrevue.

Tous sortent.