ACTE V

Scène : une salle du château.

SCÈNE I

L’Électeur entre, à moitié dévêtu, venant du cabinet voisin ; il est suivi du comte Truchss, du comte Hohenzollern et du capitaine de cavalerie von der Golz. — Des pages avec des flambeaux.

L’ÉLECTEUR

Kottwitz ? Avec les dragons de la princesse ?

Ici, dans la ville ?

LE COMTE TRUCHSS ouvre la fenêtre.

Oui, Altesse !

Ici, en formation devant le château.

L’ÉLECTEUR

Eh bien messieurs ? Allez-vous m’expliquer ce mystère ?

— Qui l’a appelé ici ?

L’ÉLECTEUR

La place que je lui ai assignée se nomme Arnstein !

Vite ! Que quelqu’un me l’amène ici.

GOLZ

Il ne va pas tarder, Altesse, il sera là dans un instant !

L’ÉLECTEUR

Où est-il ?

GOLZ

À l’hôtel de ville, me dit-on,

Où sont rassemblés tous les généraux

Qui servent ta maison.

L’ÉLECTEUR

Pourquoi faire ? Dans quel but ?

HOHENZOLLERN

Je l’ignore.

LE COMTE TRUCHSS

Son Altesse veut-elle bien nous permettre

De nous y rendre également pour un moment ?

L’ÉLECTEUR

Où ça ? À l’hôtel de ville ?

L’ÉLECTEUR , après un bref silence.

— Vous pouvez disposer !

GOLZ

Venez, messieurs !

Les officiers sortent.

SCÈNE II

L’Électeur. Plus tard, deux serviteurs.

L’ÉLECTEUR

Étrange ! — Si j’étais le dey de Tunis

Je ferais grand bruit d’une affaire aussi suspecte.

Je poserais la cordelette de soie sur ma table,

Et devant le portail barricadé de palissades

J’installerais canons et obusiers1.

Mais comme il s’agit de Hans Kottwitz de Priegnitz

Qui vient à moi sans crier gare, de son propre chef,

Je vais procéder à la prussienne :

Le prendre par l’une de ses trois boucles

Qui brillent d’un éclat argenté sur son crâne,

Et le reconduire sans bruit, avec ses douze escadrons,

Jusqu’à son quartier général d’Arnstein.

À quoi bon réveiller toute la ville ?

L’ÉLECTEUR

Va vite faire un tour en bas et demande, comme si c’était

pour toi,

Ce qui se passe à l’hôtel de ville.

LE SERVITEUR

J’y vais de ce pas, monseigneur !

Il sort.

L’ÉLECTEUR , au second serviteur.

Et toi, va et apporte-moi mes vêtements !

Le second serviteur sort et apporte les vêtements ; l’Électeur s’habille et revêt ses insignes princiers.

SCÈNE III

Le maréchal Dörfling arrive. — Les mêmes que précédemment.

LE MARÉCHAL

Rébellion, mon prince !

L’ÉLECTEUR , encore occupé à s’habiller.

Du calme, du calme ! Je déteste, tu le sais,

Que l’on entre chez moi sans se faire annoncer.

— Que veux-tu ?

L’ÉLECTEUR

Je suis déjà au courant ! — Ce ne sera probablement

Qu’un mouvement en faveur du prince

Que la loi a condamné à être fusillé.

LE MARÉCHAL

C’est bien ça ! Par le Dieu tout-puissant ! Tu as touché juste !

LE MARÉCHAL

On dit que pas plus tard qu’aujourd’hui ces insensés

Veulent venir te présenter leur requête au château et,

Au cas où tu persisterais, intraitable dans ta colère,

À maintenir le verdict — j’ose à peine t’en faire part !

Aller le libérer par la force dans sa prison !

L’ÉLECTEUR , sombre.

Qui t’a dit ça ?

LE MARÉCHAL

Seigneur, je t’en conjure, si vraiment

Ta volonté est de gracier le prince :

Fais-le avant qu’un pas fort détestable ne soit franchi !

Toute armée, tu le sais bien, aime son héros ;

Ne permets pas que cette étincelle qui l’enflamme

Se transforme en funeste incendie se propageant partout.

Kottwitz ne sait pas encore, ni la troupe qu’il a rassemblée,

Qu’en ami fidèle je suis venu t’avertir ;

Renvoie, avant qu’il se présente, l’épée au prince,

Renvoie-la, comme, enfin, il le mérite :

Tu donneras aux gazettes l’occasion d’annoncer

Un exploit de plus et un forfait de moins.

L’ÉLECTEUR

Il me faudrait d’abord demander au prince :

Ce n’est pas l’arbitraire, tu le sais bien,

Qui l’a mis dans les fers, ce n’est pas lui qui peut le libérer. —

Je veux parler à ces messieurs lorsqu’ils se présenteront.

LE MARÉCHAL , à part.

Malédiction ! — Il est à l’épreuve de toutes les flèches.

SCÈNE IV

Deux heiduques arrivent ; l’un d’eux tient une lettre à la main.

— Les mêmes que précédemment.

LE PREMIER HEIDUQUE

Les colonels Kottwitz, Hennings, Truchss et d’autres

Sollicitent une audience !

L’ÉLECTEUR, à l’autre heiduque, en lui prenant la lettre des mains.

Du prince von Homburg ?

DEUXIÈME HEIDUQUE

Oui, Altesse !

L’ÉLECTEUR

Qui te l’a donnée ?

DEUXIÈME HEIDUQUE

Le Suisse qui monte la garde au portail,

À qui le chasseur du prince l’avait remise.

SCÈNE V

Entrent les colonels Kottwitz et Hennings, le comte Truchss, les comtes Hohenzollern, Sparren et Reuss, les capitaines de cavalerie Golz et Stranz ainsi que d’autres colonels et officiers. — Les mêmes que précédemment.

LE COLONEL KOTTWITZ , la requête à la main.

Permets, Altesse, mon prince,

Qu’au nom de toute l’armée

En toute humilité je te remette ce papier2 !

L’ÉLECTEUR

Avant que je le prenne, Kottwitz, dis-moi

Qui t’a appelé ici, en cette ville3 ?

KOTTWITZ le regarde.

Avec les dragons ?

KOTTWITZ

Altesse ! C’est sur ton ordre que je suis venu ici.

L’ÉLECTEUR

Comment ? — Montre-moi cet ordre.

KOTTWITZ

Le voici, mon souverain.

L’ÉLECTEUR LIT.

« Natalie, fait à Fehrbellin ;

Au nom de Son Altesse, mon oncle Friedrich. » —

KOTTWITZ

Par Dieu, mon prince et maître, j’ose espérer

Que tu n’es pas étranger à cet ordre ?

L’ÉLECTEUR

Non, non ! Comprends-moi —

Qui donc te l’a transmis ?

KOTTWITZ

Le comte Reuss !

L’ÉLECTEUR , après un bref silence.

Au contraire, je te souhaite la bienvenue ! —

Tu as mission, avec tes douze escadrons,

De rendre demain les derniers honneurs

Au colonel Homburg, pour qui le verdict est tombé.

L’ÉLECTEUR , lui rendant l’ordre de mission.

Le régiment

Est-il toujours devant le château, dans la nuit et le brouillard ?

KOTTWITZ

La nuit, pardonne-moi —

L’ÉLECTEUR

Pourquoi ne prend-il pas ses quartiers ?

KOTTWITZ

Mon prince, c’est fait ; il a pris,

Comme tu l’as ordonné, ses quartiers en ville !

L’ÉLECTEUR , se tournant vers la fenêtre.

Comment ? Il y a deux minutes — — ? Eh bien, par le ciel,

Tu n’as pas été long à trouver des écuries ! —

Ma foi, tant mieux ! Je te salue une fois encore !

Qu’est-ce qui t’amène, dis-moi ? Qu’apportes-tu de nouveau ?

KOTTWITZ

Altesse, cette requête de ta fidèle armée.

L’ÉLECTEUR

Donne !

L’ÉLECTEUR

Tout comme un autre mot peut les ressusciter.

Il lit.

« Requête, implorant la plus haute grâce,

En faveur de notre chef, accusé de crime,

Le général prince Friedrich de Hesse-Homburg. »

Aux officiers.

Un nom illustre, messieurs ! Pas indigne

Que vous intercédiez si nombreux en sa faveur !

Il regarde à nouveau le papier.

Cette requête, qui l’a écrite ?

KOTTWITZ

Moi.

L’ÉLECTEUR

Le prince est-il instruit de son contenu ?

KOTTWITZ

Pas le moins du monde ! Elle vient de nous,

De sa conception jusqu’à sa rédaction.

KOTTWITZ

Oui, Altesse ; c’est ce que fait le vieux Kottwitz !

L’ÉLECTEUR

Tu n’étais pas de cet avis sur le champ de bataille.

KOTTWITZ

J’avais mal apprécié la situation, mon souverain !

J’aurais dû sagement me soumettre au prince

Qui s’entend fort bien au métier de la guerre.

Les Suédois lâchaient prise sur l’aile gauche,

Et sur l’aile droite ils avaient besoin de renfort ;

S’il avait dû attendre ton ordre,

Ils auraient repris position dans les gorges

Et jamais tu n’aurais remporté la victoire.

KOTTWITZ

C’est l’affaire des dilettantes, non la tienne,

De vouloir décrocher la plus prestigieuse couronne du destin ;

Jusqu’à ce jour, tu as toujours pris ce qu’il t’offrait.

Le dragon qui obstinément ravageait

Ton Brandebourg fut chassé, la tête en sang ;

Que pouvait-il arriver de plus en une seule journée ?

Que t’importe qu’il gise, épuisé,

Deux semaines de plus dans le sable et que ses plaies guérissent ?

Nous avons maintenant appris l’art de le vaincre,

Et sommes pleins du désir de l’exercer encore :

Affrontons Wrangel une nouvelle fois,

Poitrine contre poitrine, et tout sera terminé,

Il sera définitivement englouti dans la Baltique !

Rome n’a pas été bâtie en un jour.

L’ÉLECTEUR

De quel droit, pauvre fou, espères-tu cela

Si chacun, sur le char du combat,

Peut me prendre les rênes des mains ?

Crois-tu que la chance va sans cesse, comme elle vient de le faire,

Récompenser la désobéissance d’une couronne de gloire ?

Je n’aime pas la victoire qui, enfant du hasard,

Tombe comme à la loterie ; c’est la loi,

Mère de ma couronne, que je veux préserver,

Elle qui a engendré et m’a donné tant de victoires !

KOTTWITZ

Seigneur, la loi la plus haute, la loi suprême,

Celle qui doit agir dans le cœur de tes généraux,

Ce n’est pas la lettre de ta volonté ;

C’est la patrie, c’est la couronne,

C’est toi-même, ta tête qui la porte.

Que t’importe, je te prie, la règle

Que suit l’ennemi dans la bataille, pourvu qu’il tombe

Devant toi, avec tous ses drapeaux ?

La règle suprême, c’est celle qui le vainc !

De ton armée, si ardemment attachée à toi,

Veux-tu faire un instrument semblable à l’épée

Qui reste sans vie dans le fourreau d’or de ta ceinture ?

Quel pauvre esprit, qui ne connaît rien aux astres1,

A le premier répandu un tel enseignement ! Quelle méchante

Politique à courte vue qui, pour un cas

Où le sentiment s’avère nuisible,

En oublie dix autres dans le cours des choses

Où le sentiment seul peut sauver !

Est-ce que, le jour de la bataille, je verse pour toi mon sang

Dans la poussière à cause de la solde, fût-elle d’argent ou de gloire ?

Dieu m’en préserve, il est trop précieux pour cela !

Comment ! Mon plaisir, ma joie, celle que je goûte

Librement et pour moi seul, en silence,

C’est ta splendeur, ta magnificence,

C’est la gloire croissante de ton illustre nom !

C’est là le salaire pour lequel je vends mon cœur !

Supposons que pour cette victoire fortuite

Tu condamnes le prince irrévocablement ; et que moi,

Demain, je rencontre de façon tout aussi fortuite

La victoire quelque part entre monts et forêts

Avec mes escadrons, comme un berger,

Par Dieu, je serais un coquin si je ne

Répétais pas hardiment l’action du prince.

Et si tu disais alors, le livre des lois à la main :

« Kottwitz, tu as joué ta tête ! », je répondrais :

« Je le savais, Altesse ; prends-la, la voici :

Lorsque j’ai prêté serment pour me lier à ta couronne

Corps et âme, je n’ai pas exclu ma tête,

Et je ne te donnerais rien qui ne t’appartienne déjà ! »

L’ÉLECTEUR

Vieil original, je n’aurai jamais raison de toi !

Tes paroles me séduisent avec leur rhétorique rusée,

Moi qui te suis tout dévoué, tu le sais bien ;

Je vais faire appel à un avocat, pour mettre fin

À cette dispute, qui saura défendre ma cause !

Il sonne. Un serviteur entre.

Le prince von Homburg !

Qu’on aille le chercher dans sa prison !

Le serviteur sort.

Il t’apprendra, lui, tu peux en être sûr,

Ce que sont la discipline militaire et l’obéissance !

Du moins m’a-t-il adressé une lettre qui dit autre chose

Que cet argutieux concept de liberté

Que tu viens de m’exposer comme un écolier.

Il retourne à la table et se remet à lire.

LE COLONEL HENNINGS

Lui ?

LE COMTE TRUCHSS

Non, impossible !

Inquiets, les officiers se regroupent et discutent entre eux.

L’ÉLECTEUR

De qui est cette seconde lettre ?

HOHENZOLLERN

De moi, mon prince !

L’ÉLECTEUR lit.

« Preuve que le prince Électeur Friedrich

Est lui-même à l’origine » — — — Eh bien, par le ciel !

Voilà qui est hardi !

Comment ! Tu rejettes sur moi la faute

Dont il s’est rendu coupable au cours de la bataille ?

HOHENZOLLERN

Sur toi, mon prince, oui ; moi, Hohenzollern.

L’ÉLECTEUR

Par Dieu, voilà qui dépasse l’entendement !

L’un me démontre qu’il n’est pas coupable,

L’autre va jusqu’à dire que le coupable, c’est moi ! —

Comment vas-tu me prouver pareille affirmation ?

L’ÉLECTEUR

Quel gant ?

L’ÉLECTEUR

Hm ! Étrange ! — Et ce fameux gant — ?

HOHENZOLLERN

Oui, —

Ce fragment de rêve devenu réalité

Anéantit et raffermit à la fois sa conviction !

D’abord il le regarde avec de grands yeux —

Il est blanc, et à en juger par sa forme et sa façon, il semble

Provenir de la main d’une dame — : mais comme cette nuit

Dans le parc il n’a parlé à aucune à qui

Il eût pu l’enlever, dérangé dans ses rêveries par moi

Qui l’appelle au château pour la dictée des instructions,

Il oublie ce qu’il ne peut comprendre

Et glisse distraitement le gant dans son pourpoint.

L’ÉLECTEUR

Eh bien ? Ensuite ?

L’ÉLECTEUR

Était-ce le gant de la princesse ?

HOHENZOLLERN

En effet !

L’Électeur reste plongé dans ses pensées.

LE MARÉCHAL

Ce récit, seigneur, j’y souscris entièrement !

Le prince, je m’en souviens, n’a pas entendu un mot

De ce que je disais ; je l’ai souvent vu distrait,

Mais jamais à ce point absent,

Hors de lui-même, comme ce jour-là.

L’ÉLECTEUR

Et à présent, si je te comprends bien,

Tu échafaudes pour moi l’édifice suivant :

Si je n’avais pas plaisanté de manière douteuse

Avec l’état de ce jeune rêveur, il serait resté innocent :

Il n’aurait pas été distrait au moment des instructions,

Ne se serait pas montré indocile au cours de la bataille.

C’est bien ça, n’est-ce pas ? C’est bien votre avis à tous ?

HOHENZOLLERN

Mon souverain,

C’est à toi que je laisse le soin de conclure.

HOHENZOLLERN

Il suffit, mon prince ! Je suis sûr

Que le poids de mes paroles est sensible à ton cœur !

SCÈNE VI

Un officier arrive. — Les mêmes que précédemment.

L’OFFICIER

Altesse, le prince sera là dans un instant !

L’ÉLECTEUR

Fort bien ! Faites-le entrer.

L’OFFICIER

Dans deux minutes ! —

En passant, il a simplement demandé

Qu’un gardien lui ouvre le cimetière.

L’ÉLECTEUR

Le cimetière.

L’OFFICIER

Oui, mon prince et seigneur !

L’ÉLECTEUR

Pourquoi ?

L’ÉLECTEUR

Peu importe ! Dès qu’il arrive, faites-le entrer.

Il retourne à la table et regarde les papiers.

LE COMTE TRUCHSS

Voici la garde qui amène le prince.

SCÈNE VII

Le prince von Homburg, un officier et la garde arrivent.

Les mêmes que précédemment.

L’ÉLECTEUR

Mon jeune prince, c’est vous que j’appelle à l’aide !

Le colonel Kottwitz m’apporte, en votre faveur,

Ce papier, voyez-le, signé

D’une longue liste de cent gentilshommes ;

L’armée, est-il écrit, demande votre mise en liberté

Et n’accepte pas le verdict de la cour martiale. —

Lisez vous-même, je vous prie, et prenez-en connaissance !

Il lui donne le papier.

KOTTWITZ , consterné.

Non, jamais, au grand jamais, mon prince ! Que dis-tu là ?

HOHENZOLLERN

Il veut la mort — ?

LE COMTE TRUCHSS

Il ne doit et ne peut mourir !

PLUSIEURS OFFICIERS , s’avançant.

Prince, Altesse ! Mon souverain ! Écoute-nous !

KOTTWITZ , ému.

Mon fils ! Mon plus cher ami ! Quel nom te donner ?

LE COMTE TRUCHSS

Ô Dieu du ciel !

KOTTWITZ

Laisse-moi baiser ta main !

Ils se pressent autour de lui.

LE PRINCE VON HOMBURG s’adresse à l’Électeur.

Mais toi, mon prince, qui autrefois me réservais

Un nom plus doux que par ma faute, hélas, j’ai perdu :

Je me jette à tes pieds, profondément ému !

Pardonne-moi si, au jour décisif,

J’ai mis un zèle précipité à te servir :

La mort à présent me lave de toutes mes fautes.

Accorde à mon cœur qui se soumet,

Réconcilié, serein à ta sentence, la consolation

Qu’à ton tour tu renonces à toute rancœur :

Et à l’heure de l’adieu, pour me le prouver,

Accorde-moi dans ta générosité une grâce !

LE PRINCE VON HOMBURG

N’achète pas, ô mon souverain, la paix

À Gustave-Charles au prix de la main de ta nièce !

Renvoie du camp cet entremetteur

Qui t’a fait cette proposition détestable :

Réponds-lui à coups de canons !

L’ÉLECTEUR lui baise le front.

Qu’il en soit comme tu dis ! Par ce baiser, mon fils,

Je t’accorde cette ultime prière !

À quoi bon ce sacrifice

Que seuls les malheurs de la guerre m’ont arraché ?

Chacune des paroles que tu as prononcées

Fera fleurir une victoire qui le réduira en poussière !

Je lui écrirai qu’elle est la fiancée du prince von Homburg,

L’homme qui tomba sous le coup de la loi pour Fehrbellin ;

Qu’il vienne sur le champ de bataille la disputer à son fantôme,

Qui, mort, marche devant les étendards !

Il l’embrasse encore et le relève.

L’ÉLECTEUR

Gardes ! Reconduisez-le dans sa prison !

SCÈNE VIII

Natalie et l’Électrice apparaissent sur le pas de la porte.

Des dames d’honneur les suivent. — Les mêmes que précédemment.

NATALIE

Ô mère, laisse ! Que me parles-tu de bienséance ?

La plus haute en pareille heure est de l’aimer !

— Mon cher, mon malheureux ami !

LE PRINCE VON HOMBURG , sur le point de partir.

Allons, en route !

LE COMTE TRUCHSS le retient.

Non, jamais de la vie, mon prince !

Plusieurs officiers lui barrent le chemin.

LE PRINCE VON HOMBURG

Emmenez-moi !

HOHENZOLLERN

Mon prince Électeur, ton cœur peut-il — ?

NATALIE , s’appuyant contre la poitrine de sa tante.

Ô terre, accueille-moi en ton sein !

À quoi bon voir plus longtemps la lumière du soleil ?

SCÈNE IX

Les mêmes que précédemment, sans le prince von Homburg.

LE MARÉCHAL

Ô Dieu du monde ! Fallait-il en arriver là ?

L’Électeur s’entretient discrètement mais de manière pressante avec un officier.

KOTTWITZ , froidement.

Mon prince et seigneur, après tout ce qui s’est passé,

Sommes-nous congédiés ?

KOTTWITZ ET TRUCHSS , en même temps.

Comment, mon prince adoré — adulé — ?

L’ÉLECTEUR

Le voulez-vous ? Le voulez-vous ?

KOTTWITZ

Par le Dieu vivant,

Tu pourrais te trouver au bord de l’abîme de ta perte,

Il ne tirerait plus son épée pour t’aider,

Pour te sauver sans que tu lui en donnes l’ordre !

Scène : le château avec la rampe menant au jardin. — De nouveau, il fait nuit.

SCÈNE X

Par la porte inférieure du parc, le prince von Homburg est introduit, les yeux bandés, par le capitaine de cavalerie Stranz. Un officier avec des gardes. Au loin, on entend les tambours de la marche funèbre.

LE PRINCE VON HOMBURG

À présent, ô Immortalité, tu m’appartiens tout entière1 !

Rayonnante à travers le bandeau de mes yeux,

Tu m’apportes l’éclat de mille soleils !

Il me pousse des ailes sur les deux épaules,

Mon esprit s’envole à travers le silence de l’espace éthéré ;

Et comme le navire qui emporté par le souffle du vent

Voit disparaître au loin le port et son joyeux tumulte,

Pour moi toute vie sombre dans le crépuscule :

Je discerne encore les couleurs et les formes,

Et tout n’est plus à présent que brouillard sous mes pieds.

LE PRINCE VON HOMBURG

Ah ! ce doux parfum de la belle-de-nuit ! Ne le sens-tu pas ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Des giroflées ? — Comment se trouvent-elles ici ?

STRANZ

Je ne sais pas. —

Il semble qu’une jeune fille les ait plantées.

— Puis-je te donner un œillet ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Mon cher ami ! —

Je les mettrai dans l’eau, chez moi.

SCÈNE XI

Au haut de la rampe du château apparaissent l’Électeur portant la couronne de laurier à laquelle est enroulée la chaîne d’or, l’Électrice, la princesse Natalie, le maréchal Dörfling, le colonel Kottwitz, Hohenzollern, Golz, etc., des dames d’honneur, des officiers et des porteurs de flambeaux. — Tenant un mouchoir, Hohenzollern s’avance vers la balustrade et fait signe au capitaine de cavalerie Stranz ; celui-ci alors quitte le prince von Homburg et va s’entretenir avec les gardes à l’arrière-plan.

LE PRINCE VON HOMBURG

Mon ami, quel est donc cet éclat, cette lumière ?

STRANZ revient vers lui.

Mon prince, veux-tu, je t’en prie, te lever ?

LE PRINCE VON HOMBURG

Qu’y a-t-il ?

STRANZ

Rien qui doive t’effrayer ! —

Je veux simplement t’ouvrir à nouveau les yeux !

LE PRINCE VON HOMBURG

La dernière heure de mes souffrances a-t-elle sonné ?

STRANZ

Oui ! Gloire et bénédiction, tu les as méritées !

L’Électeur remet la couronne avec la chaîne à la princesse, la prend par la main et la conduit au bas de la rampe. Des messieurs et des dames de la cour les suivent. Entourée de flambeaux, la princesse s’avance vers le prince, qui se lève, stupéfait ; elle lui pose la couronne sur la tête et met la chaîne à son cou, puis elle lui prend la main et la presse contre son cœur. Le prince tombe évanoui.

HOHENZOLLERN retient le prince.

À l’aide !

L’ÉLECTEUR

Que le tonnerre des canons le réveille !

Coups de canon. Une marche militaire. Le château s’illumine.

KOTTWITZ

Vive le prince von Homburg !

LES OFFICIERS

Vivat ! Vivat ! Vivat !

TOUS ENSEMBLE

Au vainqueur de la bataille de Fehrbellin !

Silence soudain.

KOTTWITZ

Un rêve, quoi d’autre ?

PLUSIEURS OFFICIERS

Au combat ! Au combat !

LE COMTE TRUCHSS

À la bataille !

TOUS

À bas tous les ennemis du Brandebourg !

FIN