L’eau bout et la bouilloire émet son sifflement. Maggie ne peut s’empêcher de sourire en imaginant Kurt enfermé là et sifflant afin qu’elle le laisse sortir.
Il est une question – aime-t-elle Kurt – qui n’est plus une question depuis longtemps mais une cellule qui s’est divisée encore et encore sans jamais se briser. Elle la classe dans la rubrique pensées stupides. À l’époque où elle avait sans cesse des problèmes d’argent, elle n’arrêtait pas de penser à ce que l’argent qu’elle avait alors aurait pu lui acheter quelques siècles plus tôt. C’est un autre exemple de pensées stupides.
Elle s’assied avec son café et feuillette le journal. Les mineurs font grève en Angleterre, et Thatcher a déclaré qu’elle y mettrait personnellement fin. Grèves et manifestations en Pologne. Elle regarde longuement la photo d’un homme brandissant une pancarte à bout de bras, la légende explique qu’il est écrit dessus PAIN ET LIBERTÉ. Le visage de l’homme retient toute son attention. Il exhale une sérénité qu’elle attribue à la satisfaction d’avoir exprimé ce qu’il voulait à travers les mots pain et liberté. Pendant un instant, elle voit la cuisine à travers les mots assurés de l’homme et la cuisine devient étrange, on dirait qu’elle penche un peu.
Il y a également un article sur la future chaîne nationale, qui aura une couverture plus locale. S’il est quelque chose dont Maggie ne veut plus entendre parler, c’est bien l’île de Fionie. Un jour, Kurt lui a raconté avoir vu dans sa prime jeunesse une jolie fille de Kerteminde et parfois ces mots – une jolie fille de Kerteminde – lui viennent à l’esprit comme une enseigne au néon qu’elle a du mal à oublier.
Les amants qu’elle-même a eus avant Kurt se dressent devant elle comme une rangée de questions étranges. Des questions, mais à quel propos ?
Il y en avait un qui avait laissé tomber une prune et ressemblait à un singe alors qu’il traversait le salon, les bras tendus en direction du fruit qui roulait par terre. Un autre qui avait de beaux yeux tristes lorsqu’ils étaient assis ensemble sur un banc. Elle avait vu quelqu’un d’autre pendant qu’il était à Paris et s’était sentie obligée de refuser le cadeau qu’il avait rapporté. Je ne veux pas te le donner maintenant, avait-il dit alors, et à ce moment-là elle avait compris qu’il avait eu des intentions sérieuses.
Non, elle n’est absolument pas faite pour vivre avec un homme. Le matin se gorge de plus en plus de soleil et tout ce qu’elle fait, elle le fait en craignant que Kurt ne s’éveille et ne vienne vers elle, la perturbant dans sa trajectoire.