Du haut de son balcon Maggie domine la gare, elle voit les trains arriver à quai, des gens sortir en masse, se disperser, s’accrocher aux enfants, aux sacs et à diverses idées qui du haut de son perchoir s’éteignent lentement.

 

Elle est arrivée ici hier, a laissé la plupart de ses affaires dans sa chambre et s’est rendue à la Gare centrale où elle a pris le premier train à destination de l’étranger : il avait Göteborg pour terminus. Elle ne peut être l’enfant de quelqu’un, ni même de la municipalité, elle ne veut rendre compte de ses actes à personne, alors autant vivre sans que personne ne lui pose de questions.

 

C’est toute une affaire, elle le sait, de se faire aimer des adultes de la municipalité. Il faut endosser le costume de la pleureuse, se montrer reconnaissante et renoncer à être qui on est, sans être non plus trop différente, afin que cela ne les touche pas excessivement et ne les fasse pas changer d’avis. Mais elle n’est pas reconnaissante de quoi que ce soit, elle refuse toute dette envers quiconque, c’est ainsi, jusqu’à ce qu’elle revienne en rampant et s’humilie pour un salaire de misère. Quoi qu’il en soit, tout cela n’est plus qu’une préoccupation lointaine désormais ; elle a de l’argent pour tenir deux ou trois jours et elle trouvera sûrement quelque chose après.

 

Comme d’habitude, elle a fait ses bagages en moins de deux, fourré dans son sac les choses les plus précieuses, avant tout sa collection de chaussures. La première chose qu’elle a faite une fois dans sa chambre d’hôtel a consisté à les aligner toutes. À la tombée de la nuit, elle est restée allongée sur le lit à les contempler, la paire argentée brillait dans la pièce bleutée.

 

Plus tard elle s’est assise sur le balcon, d’une humeur merveilleuse, les bruits de la place lui arrivaient par vagues, mais sans rien exiger d’elle.

 

Il a fallu qu’il s’éclaircisse la voix pour qu’elle remarque la présence d’un homme sur le balcon d’à côté. Il lui a tendu un paquet de cigarettes par-dessus la rambarde, elle l’a remercié et en a pris une, puis de nouveau ils sont restés silencieux.

 

Avant de rentrer dans sa chambre au bout d’un moment et d’éteindre la lumière, il lui a tenu un petit discours : huit ans qu’il habitait cet hôtel, il pouvait recommander chaudement le restaurant, il avait divorcé et devait seulement être là un moment, et puis le temps avait passé et finalement il n’avait trouvé aucune raison de vivre ailleurs.

 

Ce matin, un dossier dans chaque main, il a quitté précipitamment le buffet au moment précis où Maggie arrivait. Elle s’est retournée pour regarder son dos large, tassé, jusqu’à ce qu’il sorte de la pièce.

 

Il se dégageait de lui quelque chose d’un personnage de conte, comme s’il était sorti de terre déjà adulte et s’était attelé dare-dare à ses projets, entrant et sortant sans cesse à toute vitesse, chargé chaque fois de documents différents et incompréhensibles.

 

Sur la place, en bas, un jeune couple avec une poussette se dirige vers la gare. Plusieurs fois l’homme et la femme s’arrêtent pour s’embrasser. Maggie leur tourne le dos, gagne la salle de bain et s’assied nue dans la baignoire. Sans ouvrir le robinet ; c’est la porcelaine froide qu’elle veut sentir.

 

Elle s’imagine qu’elle écrit des chansons sur sa vie. Elle a envie de les chanter à la manière de Nico. Sa bouche est asséchée par les cigarettes, elle a pris un oreiller pour reposer sa nuque, et maintenant elle s’évanouit dans le rêve sans avoir conscience de traverser la frontière.