On est en plein été à présent. Ça bourdonne de mouches et d’abeilles sur les fleurs gorgées d’eau de la pelouse. Un nid d’hirondelles n’a pas résisté à la tempête d’il y a quelques semaines. Kurt était très contrarié et n’a pas desserré les lèvres pendant plusieurs jours, il rêvait de voir les petits et ne parvenait pas à accepter que pareille chose puisse se produire.

 

Maggie se sert une nouvelle tasse de café. Sofie ne veut pas lui dire ce qu’elle aimerait manger pour son anniversaire et cela l’embête. Je ne sais pas, surprends-moi, a-t-elle répondu, et cela a rendu Maggie nerveuse. Il y a quelques années, Maggie, tout excitée, avait téléphoné d’une cabine pour demander si Sofie avait vu la jolie robe en vitrine chez La Vita. Sofie l’avait vue et elle aussi la trouvait jolie, alors Maggie était entrée dans la boutique et l’avait achetée. C’est pour ma fille, avait-elle expliqué à la vendeuse aimable mais qui n’en avait rien à faire, ma fille adore le jaune. Elle se sentait très exactement comme un cornichon dans son bocal lorsque, son achat en main, elle traversa la ville pour aller à l’arrêt de l’autobus. À la maison, il s’était avéré que ce n’était pas du tout celle-là mais une autre robe jaune que Sofie avait eue en tête. Mon corps aura l’air tout bizarre dans celle-ci, avait-elle dit les larmes aux yeux ; j’aurai l’air d’un sac. Maggie avait tenté de respirer doucement et évité de se mettre elle-même à pleurer.

 

C’est un mauvais souvenir ; elle le chasse en se faisant des reproches – elle a oublié d’arroser, aujourd’hui encore –, et sort. Son unique plate-bande est complètement brûlée par le soleil. Quand elle a eu l’idée qu’il faudrait arroser plus pendant la vague de chaleur, c’était déjà trop tard de toute façon. Elle ne se rappelle pas le nom de ce qu’un jour elle a planté. Chaque printemps, quelque chose sort de terre et ça la rend heureuse.

 

D’un ongle, elle coupe les fleurs fanées. Elle est obligée de s’accroupir, mais n’ose pas se pencher en avant, au cas où Kurt serait à proximité. Les premières années qu’ils vivaient ensemble, il accourait dès qu’elle se penchait en avant, il pressait son bas-ventre contre son cul et émettait un drôle de son. Dès le départ, elle n’avait pas aimé ça mais n’avait rien dit, si ce n’est ce qu’on dit quand on se tait et qu’on se raidit. D’abord, elle avait eu peur de le blesser, puis elle avait seulement eu peur tout court, et avec le temps la peur est devenue une habitude qui lui donne des palpitations.