Millie
Les débuts chez Robertson ont été compliqués. Autant l’accueil de Papa Dieu avait été sympathique, autant celui de mes collègues fut glacial. J’avais rejoint en tant qu’assistante une équipe de quatre jeunes femmes – l’une d’elles, prénommée Sandra, supervisant les trois autres, Violette, Sarah et Léandrie.
Jusque-là, mes missions s’étaient toujours parfaitement déroulées : je savais mieux que quiconque m’intégrer dans un décor et me faire oublier tout en donnant satisfaction. Mais cela, c’était avant. Désormais j’avais l’intention d’exister – et c’était un euphémisme. Je les étudiais, trois blondes – dont au moins une fausse –, maquillage sophistiqué, ongles manucurés, qui chuchotaient en vérifiant d’un coup d’œil que j’étais trop loin pour les entendre (sur ce point, elles se trompaient).
Le matin suivant, j’ai consulté malgré moi ma montre à plusieurs reprises. À douze heures quarante-cinq tapantes, je descendais.
– Tu prends tes aises, a fait remarquer Sandra. Je te préviens, si tu rates un appel important, tu en supporteras les conséquences.
Monsieur Mike était déjà installé au comptoir, un sandwich à la main. Il a eu un large sourire, Quel plaisir de vous voir Zelda, je viens d’avaler une sacrée soupe à la grimace, si vous saviez, c’est ce temps aussi, l’humidité, les rhumatismes, ça n’arrange pas le caractère, ah ce n’est pas simple de vieillir, alors pensez si je suis content, un peu de douceur après la tornade maternelle !
– Devinez quoi, ai-je répondu, je ressens exactement la même chose : je n’ai pas de mère tyrannique et handicapée à supporter, mais mes collègues de bureau sont des plaies, elles me jalousent, cherchent toutes les occasions de me freiner, m’attaquent même, vraiment vous trouvez ça normal ? Croyez-vous qu’elles auraient aimé se réveiller au milieu des flammes ? Même si je mesure ma chance d’avoir obtenu cet emploi dans ma condition, j’ai parfois envie de tout plaquer.
– Je croyais que vous étiez heureuse, là-bas, s’est étonné Monsieur Mike. Monsieur Hart – je veux dire Jean – était content pour vous, il dit que Robertson est un homme bien.