Mariette
– Eh bien, au moins, tu as retrouvé ton coup de fourchette, a lancé Charles alors que nous rentrions après le dîner.
Je me suis demandé si c’était encore une de ses vacheries : mon poids avait longtemps été une question récurrente entre nous. Il me bombardait d’allusions, de remarques, au restaurant en s’adressant au serveur, Mariette, la tête de veau, euh… comment dire, trois cents calories ? Ou pire encore, lorsqu’on dînait avec ses amis, Mariette, on ne se ressert pas lorsqu’on a l’I.M.C. d’un phoque, allons ne fais pas cette tête, si on ne peut plus plaisanter, qu’est-ce qu’il y a de plus mignon qu’un bébé phoque, hein ?
Une fois rentrés, il m’avait prise dans ses bras mais je m’étais détachée, je n’avais pas encore le courage de lui lancer ce qui m’agitait, que je ne voulais plus de lui, de son manège, de ses ordres, de sa dictature, que je refusais qu’il me touche, que mon corps le rejetait tout entier, alors j’ai menti et je me suis contentée de prétendre une indisposition.
J’ai passé les jours suivants à l’éviter autant qu’à éviter le sujet. Pourtant il faudrait bien lui faire face un jour, prononcer ce mot qui désormais me hantait, séparation, même si sa réaction prévisible me terrifiait d’avance, même si je n’étais pas sûre d’être de taille, mais avant d’entrer en guerre il fallait commencer par gagner une autre bataille, plus immédiate, il fallait revenir au collège, braver les provocations de Zébranski et la suspicion des collègues, y compris celle de Vinchon, reprendre les cours sur de nouvelles bases, instaurer de nouvelles règles comme l’avait préconisé Jean, sûr de ma victoire. Il avait sa théorie.