Mariette
Charles est arrivé fulminant, mâchoire et poings serrés. Le conseiller pédagogique l’avait prévenu à son bureau.
Je me suis jetée dans ses bras, j’étais tellement désorientée, bouleversée, Charles était mon mari, n’avait-il pas juré autrefois de me protéger envers et contre tout ? Peu importait la lente décomposition de notre couple, peu importait son égoïsme, il allait tout déballer, à Vinchon, au conseiller pédagogique, aux élèves, aux collègues, il leur raconterait ma détresse, les attaques de panique, la perte d’appétit, les piles de copies sous l’oreiller, les nuits d’insomnie, le silence entre nous. Il les menacerait de poursuites judiciaires, évoquerait le harcèlement moral, les mettrait face à leurs responsabilités, rétablirait la vérité : c’était moi la victime, la laissée-pour-compte, celle qu’on piétinait depuis trop longtemps, et voilà où nous en étions par leur faute.
J’étais loin d’imaginer que Charles m’avait choisie sur des critères méticuleusement inscrits dans l’un de ses cahiers. Je faisais partie du plan. Mon physique, la blondeur, les yeux clairs, mon tempérament, discipliné et malléable, mon incapacité à me rebeller : j’étais précisément celle qu’il cherchait, la mère de famille lisse et sans surprise, ornant à la perfection un tableau familial qui ferait rêver ses électeurs – il me l’a lui-même jeté à la figure, quelques années plus tard.
Aujourd’hui encore, j’ignorais quel type de sentiments il éprouvait réellement à mon égard, et même s’il avait été ou était réellement capable de sentiments. Je crois que le simple fait d’avoir atteint son objectif – en l’occurrence, me posséder, ou plutôt me détenir – lui procurait une immense satisfaction, une jouissance même, qu’il renouvelait par jeu à intervalles réguliers, me blessant, m’amenant jusqu’au point de rupture, puis me rattrapant et s’excusant, déployant déclarations enflammées et engagements rarement tenus.
L’amoureux s’était progressivement transformé en dictateur, mais qui pouvait s’en douter ? Il était si bon comédien.