NOTICE

En 1886, dans La Vogue, revue symboliste, Félix Fénéon présenta sous le titre unique d'Illuminations un ensemble de poésies en vers et de poèmes en prose qu'il répartit sur plusieurs livraisons de la revue. Les éditions suivantes, notamment celle de 1892 (chez Vanier), Poèmes, Illuminations, Une saison en enfer, et celle de 1895 (également chez Vanier), Poésies complètes, conservèrent une telle présentation. Et ce ne fut qu'en 1912, dans l'édition des Œuvres de Rimbaud donnée au Mercure de France et préfacée par Paul Claudel, que Paterne Berrichon, tout en persistant à croire que les Illuminations étaient constituées de vers et de proses, se décida à séparer les uns des autres et à présenter une première partie sous le titre « Vers nouveaux et chansons ». Il se révéla par la suite que ces vers étaient très certainement indépendants des Illuminations, dont le modèle formel relève du poème en prose ou du fragment. Le titre « Vers nouveaux » a donc prévalu (le mot « chansons » ne s'imposant pas) à côté d'un autre titre, « Derniers vers », que l'on trouve encore dans certaines éditions. Il a le mérite de souligner un choix d'écriture sans toutefois affirmer une évolution chronologique : on ne peut savoir s'il s'agit bien des derniers vers de Rimbaud, mais on peut dire qu'ils répondent à une expérience neuve. Deux textes cependant ont parfois posé problème : « Marine » et « Mouvement », dont la disposition rappelle, à première vue, celle des poésies versifiées. Et certes, Berrichon, lors du regroupement qu'il fit des « Vers nouveaux et chansons » en 1912, n'avait pas hésité à les inclure sous cette rubrique. On s'aperçoit toutefois que la rime ou l'assonance n'y sont pas utilisées, ce qui, outre des raisons papyrologiques, explique leur présence dans les Illuminations.

Certains des « Vers nouveaux » sont datés ; mais, comme il s'agit à chaque fois de copies, cette indication ne suffit pas pour connaître le moment exact de leur composition. Ils semblent occuper une période qui s'étend de février-mars à juillet 1872. Plusieurs toutefois peuvent échapper à ces marges chronologiques et l'on ignore la date de composition de « Qu'est-ce pour nous, mon Cœur », « Michel et Christine », « Fêtes de la faim », « Ô saisons, ô châteaux », « Entends comme brame » et « Honte ». « Fêtes de la faim » et « Ô saisons, ô châteaux » sont considérés par Rimbaud lui-même dans Une saison en enfer comme appartenant aux expériences d'une même période (mai ou juin 1872 ?). Les autres textes sont d'une répartition plus délicate, et celle à laquelle nous nous sommes rallié est évidemment sujette à caution. « Qu'est-ce pour nous, mon Cœur », que nous avons placé en tête de cette section, rappelle certains poèmes d'inspiration communarde (mais Rimbaud vivra aussi au contact des Communards quand il sera à Bruxelles et à Londres). Il n'est pas, non plus, sans rapport avec « Barbare », l'une des Illuminations. On observe surtout qu'il obéit à des principes assez stricts de versification. Si des pluriels y riment avec des singuliers, on y voit également utilisé l'alexandrin démembré comme dans « Mémoire ». L'allusion aux « romanesques amis » reste ambiguë. « Michel et Christine » utilise l'hendécasyllabe, comme « Larme », « La Rivière de Cassis », « Est-elle almée ?… ». La mention d'une « cour d'honneur » pourrait désigner celle du lycée Saint-Louis que Rimbaud voyait de sa chambre rue Monsieur-le-Prince, en mai 1872. « Entends comme brame » porte une référence au mois d'avril « Honte » présente Rimbaud comme un Chat-des-Monts-Rocheux, évocation dissimulée de Roche, prétendent quelques critiques. Or, selon certains, Rimbaud n'aurait connu Roche qu'en avril 1873 ! On le voit, tous ces éléments ne permettent pas de dire avec certitude quand ces poèmes furent rédigés.

Les « Vers nouveaux », qui valent comme expérience d'écriture et de vie, peuvent d'ailleurs être lus en dehors de tout souci chronologique qui nous mènerait d'une saison à l'autre.

Le trajet que suivirent ces « Vers nouveaux » pour nous parvenir est relativement compliqué. Souvent, en effet, ils existent en plusieurs versions. Il semble que Rimbaud, à la demande de Verlaine, en ait recopié un certain nombre durant l'été où les deux hommes vécurent en Belgique. Mais furent retrouvés par la suite des manuscrits donnés par Rimbaud, à Louis Forain et à Jean Richepin notamment. Dans Le Mercure de France du 1er mai 1911 (p. 28-35), Paterne Berrichon, sous le titre « Versions inédites d'Illuminations » (or, ce sont des « Vers nouveaux »), présente les « Fêtes de la patience » (« Bannières de mai », « Chanson de la plus haute Tour », « L'Éternité », « Âge d'or ») telles que les révèlent des feuillets copiés de la main de Rimbaud et communiqués par J. Richepin.

De nombreuses études ont paru au sujet du rapport de ces textes avec les poésies de Verlaine. On lira notamment les pages qui leur sont consacrées dans l'ouvrage de Jacques Robichez, Verlaine entre Rimbaud et Dieu, SEDES, 1982, et dans celui d'Eleonore M. Zimmermann, Magies de Verlaine, José Corti, 1967, ainsi que dans l'article de Pierre Brunel, « Romances sans paroles et “Études néantes” », dans La Petite Musique de Verlaine, collectif, SEDES, 1982, p. 17-30.

Sur la reprise de certains « Vers nouveaux » dans Une saison en enfer, on se reportera aux articles d'André Guyaux, « Alchimie du vers, anachronie du verbe », L'Information littéraire, janvier-février 1984, p. 17-27, et de Danièle Bandelier, « Les poèmes de Délires II, Alchimie du verbe », Lectures de Rimbaud, Revue de l'université de Bruxelles, 1982, 1-2, p. 103-116.