NOTICE
Le projet d'un livre à publier (dont dépendrait son sort) apparaît chez Rimbaud dès le mois d'avril 1873. Il n'y renoncera pas après le drame de Bruxelles. Peut-être même ces heures tragiques le décidèrent-elles plus vivement à le mener à bien. On peut s'étonner toutefois de l'imprimeur qu'en l'occurrence il choisit : un certain Jacques Poot, gérant de l'Alliance typographique sise au 37 de la rue aux Choux à Bruxelles et spécialisée dans les publications judiciaires. Ce dernier point cependant explique peut-être comment Rimbaud eut connaissance de cette maison d'édition, qui n'avait évidemment nulle vocation pour publier des textes littéraires. Mais le poète savait fort bien qu'après le départ de Verlaine qu'il avait provoqué et après l'emprisonnement de celui-ci que l'on pouvait mettre à son compte, il n'était plus question pour lui de s'adresser au milieu des Parnassiens, ni de solliciter leur éditeur, Alphonse Lemerre. Ce fut donc clandestinement qu'il publia Une saison en enfer, aidé sans doute par Mme Rimbaud qui paya une partie de l'impression de l'opuscule, tiré à cinq cents exemplaires et vendu un franc, soit environ 4,55 €. La fin du livre précise la période de rédaction de ces pages : « avril-août 1873 ». La majeure partie en fut rédigée en avril-juin (et plutôt, sans doute, de la mi-avril au 24 mai, quand Rimbaud était à Roche, au retour d'Angleterre) puis, au-delà des querelles avec Verlaine et des heures dramatiques de juillet 1873, en ce mois d'août 1873 où il vint de nouveau dans la propriété maternelle. Roche, petit village du canton d'Attigny, un véritable « trou », fut donc le lieu où provisoirement sédentaire il composa – en plusieurs étapes – son premier et unique livre.
Convoqué le 23 octobre 1873 par Jacques Poot pour venir retirer ses exemplaires d'auteur et probablement acquitter le solde de la facture, Rimbaud se rendit à Bruxelles, en prit quelques-uns, mais ne régla pas son dû – raison pour laquelle le reste de l'édition, entreposé 37, rue aux Choux, attendit presque trente années avant qu'on le découvrît. Des quelques livres qu'il emporta, nous savons qu'il dédicaça l'un à Paul Verlaine et qu'il le déposa à la conciergerie de la prison des Petits-Carmes où celui-ci devait purger sa peine. Quant aux autres, ils furent soit donnés à des amis de Charleville (Delahaye, Ernest Millot), soit, via Louis Forain, confiés à d'anciens bohèmes connus en mai 1872 à Paris : Jean Richepin, Raoul Gineste, Raoul Ponchon. En octobre 1873, d'ailleurs, Rimbaud fit une brève apparition dans la capitale, assez de temps toutefois pour constater que tout le monde lui tournait le dos. De retour à Roche, il aurait livré à un autodafé rageur les exemplaires qui lui restaient, ainsi que des pages de brouillon. Isabelle, sa sœur, témoin souvent suspect, n'hésitera pas à écrire qu'il brûla en cette circonstance la totalité du tirage►. Or tous les exemplaires, excepté ceux dont nous avons parlé, furent retrouvés en 1901 par un avocat belge, Léon Losseau►. Ils n'avaient pas quitté les locaux de l'Alliance typographique ! Ainsi devait être dissipée une légende, aujourd'hui encore couramment répandue.
L'ouvrage de Rimbaud – comme le montre sa présentation matérielle – obéit à une composition rigoureuse. On y distingue un prologue (sans titre), un épilogue (« Adieu ») et trois grands ensembles, parfois d'un seul tenant (« Nuit de l'enfer »), parfois constitués d'un certain nombre de sections (« Mauvais sang » et « Délires I » et « II »). À cela s'ajoutent trois textes plus courts : « L'Impossible », « L'Éclair » et « Matin », « L'Impossible » poursuivant, dans une certaine mesure, l'ambition des « Délires », « L'Éclair » répondant par le travail à la décision d'oisiveté de « Mauvais sang », et « Matin » faisant contrepoint à « Nuit de l'enfer ».
Sur Une saison en enfer, il n'existe que peu d'études complètes. On se reportera à l'analyse du texte proposée par Margaret Davies (Minard, « Archives des Lettres modernes », 1975) et à celle, plus récente, de Yoshikazu Nakaji (Combat spirituel ou immense dérision ?, José Corti, 1987). Une édition critique d'Une saison en enfer, établie par Pierre Brunel, a été publiée aux éditions José Corti en 1987. On pourra lire aussi le journal de lecture proposé par Jean-Luc Steinmetz sous le titre L'Autre Saison (Éditions Cécile Defaut, 2013).