NOTICE

De lecture délicate, les brouillons d'Une saison en enfer constituent un document capital. Rappelons d'ailleurs que deux de ces feuillets portent à leur verso des fragments des Proses évangéliques (voir p. 191). On peut supposer qu'ils figuraient parmi les papiers que Verlaine tenait de Rimbaud. Pierre Petit-fils n'hésite pas à dire que Verlaine les retrouva à Arras en janvier 1875, à sa sortie de prison. Sa mère les lui aurait restitués avec les manuscrits et les effets qu'il avait rapportés de Londres ou qu'on lui aurait renvoyés. Cela laisserait supposer que Rimbaud avait écrit une partie d'Une saison en enfer avant l'événement de Bruxelles, ce qui est plus que probable, et qu'il détenait par-devers lui une copie des textes alors rédigés. Vers 1891, Verlaine aurait confié ces brouillons à son ami Cazals pour qu'il les portât chez l'éditeur Léon Vanier. Ils furent retrouvés plus tard dans les papiers de cet éditeur ou de son successeur, Albert Messein.

Ces brouillons nous font accéder à la genèse de l'écriture rimbaldienne. Certaines directions, d'abord indiquées, ont parfois été abandonnées dans la version définitive. Tantôt sont évacués des éléments affectifs (un « mon ami » est supprimé) ; tantôt Rimbaud choisit de passer sous silence des notions dont le texte primitif était cependant porteur : ainsi les mots « mysticisme » et « élans mystiques » sont absents du texte publié. À en juger par ces pages, les corrections furent considérables. Il n'est pas question, en ce cas, de parler d'une quelconque facilité de Rimbaud ni d'une possible écriture automatique avant la lettre, même si l'on peut retenir le terme de « vivacité immédiate » proposé par Jacques Rivière.

Les brouillons d'Une saison en enfer révèlent, en outre, un sens précis de la composition. « Mauvais sang », par exemple, a subi des modifications importantes. Le fragment qui nous est parvenu est d'un seul tenant. Or, dans la version imprimée, il est scindé en deux parties et trois « histoires » nouvelles sont placées dans l'intervalle. Ainsi pourrait-on penser que « Mauvais sang » devait être d'abord une narration continue, puis que l'idée vint à Rimbaud de le répartir en un certain nombre de séquences. Nous constatons, d'autre part, qu'« Alchimie du verbe » envisageait probablement une rétrospection plus complète de quelques-uns des Vers nouveaux, et que Rimbaud souhaitait y présenter aussi « Âge d'or », « Mémoire » et « Confins du monde » (d'identification problématique), autant de poèmes qu'il n'a pas donnés en fin de compte, pour des raisons qui restent à découvrir.