Nous jouons une comédie. Nous sommes tous les bouffons d'un roi qui fait exemplairement acte d'absence, on pourrait même lui reprocher un excès de discrétion. Dans cette pièce énorme que nous interprétons avec plus ou moins de bonheur, il y a les grands rôles, que voile généralement leur esprit même. Les comparses. Les confidents. Les silhouettes. Les figurants. Les « utilités », terme horrible, très employé dans l'horrible Comédie-Française. Tout le monde est concerné par le TEXTE, puisque tout le monde a, devrait avoir, la parole. Peu parviennent à en donner une version originale, par paresse ou par superstition. Max Jacob a été de ceux qui, par leur ferveur, leur goût d'être, nous ont signalé le court-circuit essentiel, qui fait sauter les plombs d'une conscience ménagée, au profit d'un dérèglement absolu et salutaire des sens, pour reprendre l'inusable Rimbaud. Silhouette géniale, Max Jacob a traversé la scène de ce temps qui nous est imparti, sans jamais perdre de vue, mais il s'agit d'une vue démentielle, le point exclusif d'où l'impossibilité d'être se confond avec la multitude de masques qu'implique ce néant qui nous caractérise. Il a mimé le geste humain, qui est de pitié, autant par dérision que par curiosité, en clown parfois sublime, en homme désespéré de corps et d'âme, mais nerveusement incapable de ne pas assumer tous les travers électriques d'une condition qu'on a pris l'habitude d'appeler humaine, et qui, trop souvent, n'est que l'horrifiante caricature d'une existence dont nous gardons la nostalgie, sans pouvoir autre chose, pour en récupérer le diamant perdu, qu'en chanter l'absence et l'espoir. Max Jacob avait le langage à sa disposition. Comme tout le monde, mais avec, en pourboire, la sensibilité aiguë de ce matériau. Je veux dire : le sens de la magie incluse dans les mots. Qu'il n'en ait pas toujours usé aux fins les plus valables n'a que peu d'importance eu égard à son calvaire final, à ce qui, ici et là, dans son œuvre, permet l'ouverture sur le pays même du rêve, le seul qui vaille la peine que nous prenons à respirer en mesure du matin au soir, dans cet autre pays, martyrisant, qui est notre chair et nos os. Sortir de ce sac, faire un pied de nez au geôlier qui nous regarde dans la glace et nous ressemble comme un faux frère, n'est-ce pas ce qu'a voulu, cherché, le gentil Jacob ?
Il est plus que probable que la Bretagne a fait fonction de souffleur dans l'expérience du poète. Il y a trouvé de quoi nourrir ses exigences mentales, sans pour autant, comme nous tous, en profiter. Mais ce ciel, cette mer, cette terre en quête d'horizon définitif, ne sont que l'anecdote d'un phénomène magique avec lequel le tourisme n'a que de très lointains rapports. Ne faisons pas de tourisme avec Max Jacob, dont la démarche, le pittoresque, la verve, le monocle, bref le costume, ne sont que l'anecdote de son âme solitaire, recluse, impatiemment penchée vers le rai de lumière qui donne au visage humain la courbe du mystère : le sourire.
Le mystère subsiste. Max Jacob n'aura pas tout dit. Personne ne dira tout tant qu'il y aura des hommes pour se relayer dans un manège que l'enfer ne désavouerait pas. Mais les anges, parfois, meuvent. Max Jacob avait des anges dans son cœur. Qui ont bien résisté. Qui se sont bien battus. Pour que nous n'entrions pas dans la nuit totale, ici et maintenant.