Ahahah, oui ! Je suis juste un monstre, quoi. Je ne ressemble plus du tout à ce que je suis. La transformation corporelle, elle est violente, mais d’une force… ! Elle est pire après l’accouchement, parce qu’alors on n’a plus la justification d’avoir le ventre avec le bébé et tout, on est juste soi et on est dégueulasse, c’est déprimant. Dans ma tête, ça tiltait pas, quoi. Je n’avais pas compris. J’avais l’impression de payer une sorte de peine pour un truc que je n’avais pas fait. C’est un peu la punition quand on a des enfants, on est forcée de changer, on est forcée de grossir. Moi, j’ai quand même passé quasiment toute ma vie à essayer d’atteindre une sorte d’idéal physique. J’étais pas une grosse bonasse non plus, mais… ne pas être trop grosse, ne pas avoir de vergetures, ne pas avoir de marques… Avoir de la belle lingerie, en tout cas faire un effort, avoir la lingerie que je voulais porter, donc être contente quand je me retrouvais en sous-vêtements devant quelqu’un. Et là je me retrouve, mais horrible ! Et en plus, après la première grossesse, je me trouve comme ça face à quelqu’un dont je ne connais pas grand-chose, en tout cas en tant que couple, il m’a connue deux semaines normales avant que je me mette à vomir partout, c’est hyper dur. Et il y a la descente d’hormones… Donc, on ne peut pas complètement dire que les femmes qui pleurent après l’accouchement sont des barjos de leur corps qui pleurent parce qu’elles n’ont plus le ventre parfait. C’est ce qui a été le plus dur. Quand on est enfermée avec son enfant, c’est facile, c’est gérable. Mais quand on ferme la porte de son appartement sans son enfant, la première sortie ou la deuxième sortie, que ça fait quinze jours qu’on n’est pas sortie de chez soi, qu’on n’a pas une fringue propre parce que c’est taché avec des marques de lait, puis qu’on prend des médicaments pour arrêter une montée de lait, ou alors qu’on est en train d’allaiter et qu’on a des seins comme des ballons et super mal. J’ai fait les deux, je sais que les deux c’est la merde pareil. Pas pareil, mais pourri pareil. On a l’impression d’être une extraterrestre, d’être vraiment différente. Personne peut comprendre ça, personne, même si tous les gens autour, tous les amis, toute la famille venaient pour faire un gros câlin à ce moment-là, au moment où on ferme la porte et qu’on se retrouve hyper moche, hyper mal et clairement un peu crade à sortir de chez soi, euh… ça suffirait pas, quoi. Non, j’ai trop changé, j’ai trop changé de façon irrémédiable, surtout. Faire un régime, perdre cinq kilos, tout le monde peut le faire, je peux le faire, je vais reprendre Weight Watchers ou je sais pas quoi, je vais le refaire. Mais les vergetures, ça reste. Le bassin, ça reste. Les seins, ça reste. On ressemble à une maman, quoi.
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C’est simple, quand on est enceinte, à un moment, vers la fin, on ne le voit plus ! Puis il y a cette espèce de libido exacerbée, un peu magique. C’est très facile d’avoir des orgasmes pendant la grossesse, c’est merveilleux. Ça fait partie des points positifs de la grossesse, il n’y en a pas beaucoup, mais ça, ça en fait partie. Mais j’ai eu de la chance, moi. Je le sais. Je n’ai pas eu de déchirure, je n’ai pas eu d’épisiotomie, et du coup, la première fois que j’ai accouché, il m’a fallu un mois avant de pouvoir me toucher à nouveau en me lavant. Je ne voulais pas y toucher, j’avais cette espèce d’impression d’avoir un trou béant tout le temps, j’y pensais pas, hein, je vivais normalement, mais quand je prenais ma douche j’y pensais, je me disais : je ne veux pas. (Rires.) Je n’avais pas peur d’être aspirée, mais j’avais peur de sentir qu’effectivement j’étais ouverte de dix centimètres tout le temps et que j’allais jamais m’en sortir. Et ça a mis du temps, mais je me suis rendu compte que non. Puis les hématomes ont disparu, je n’avais plus mal quand je m’asseyais. Et ma vie sexuelle a repris… Reprendre sa vie sexuelle, c’est un peu comme reprendre sa vie sexuelle depuis le début de sa vie. On n’a pas de plaisir, on a de la chance si on n’a pas mal. On a peur aussi. On a peur pour soi, parce qu’on a peur d’avoir mal, on a peur qu’il y ait une déchirure, un truc ou Dieu sait quoi. Et on a peur pour l’autre aussi, parce qu’on a peur que lui il découvre une sorte de caverne molle et foutue à jamais. C’est assez fou comme endroit, comme lieu. Je ne veux pas trop le désacraliser, parce que je trouve que déjà, pendant les grossesses, on désacralise beaucoup. On est au courant, on voit des schémas, on parle avec les médecins, on a quatre mille personnes qui mettent leurs doigts à l’intérieur de vous pour regarder des trucs, des inconnus le jour de l’accouchement, on les a jamais vus, ils arrivent, ils font des touchers vaginaux. Et du coup, c’est compliqué d’avoir envie à nouveau, soit de tester, soit de le voir comme un objet de plaisir. Et en fait, si. Je ne sais pas si c’est de la résilience ou si on oublie ce traumatisme physique, mais ce qui est sûr c’est que c’est magique, le fait de pouvoir passer un être humain de cinquante centimètres à cet endroit et de pouvoir ensuite ressentir autant de choses avec rien.
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Non, bien sûr que non. (Rires.) J’ai eu une vie assez tumultueuse avant. Je m’emmerdais, je crois. Et puis j’ai eu des soucis avec les hommes. Ma vie personnelle en tant que femme a commencé de façon assez conflictuelle avec les hommes.
J’ai été agressée, comme beaucoup de gens. Ça a commencé comme ça. À un moment, j’ai réussi à faire la part des choses. On ne peut pas toujours se défendre. J’étais vraiment jeune. Et ça m’a endurcie. Depuis cette période-là, j’ai l’impression parfois de pouvoir distinguer les gens mauvais et les gens pas mauvais. Il m’arrive de me sentir mal en présence de gens parce que je ressens que ce sont des gens qui ont fait la coupure avec ce qui est normalement admis. En gros, on a tous une attitude normale, et il y a d’autres gens qui se permettent beaucoup de choses. Une sorte de césure psychologique, sûrement. Et du coup, ce sont ces fameuses personnes qui peuvent mettre la main sur la cuisse de façon extrêmement agressive et aller plus loin. Faire n’importe quoi pour atteindre leur but, qui est en général sexuel. Je ne me trompe pas souvent. (Rires.) Et ça me protège. Quand on a été victime de quelque chose, on l’est toute sa vie, et du coup je me suis souvent vue comme quelqu’un qui le portait sur soi. Ça ne se voit pas toujours, hein, mais des gens qui sont des bourreaux le sentent tout de suite. C’est terrible, mais un « simple viol » ne peut plus me casser maintenant. (Rire.) À un moment, il y a une cassure et elle est dure pour tout le monde, puis la reconstruction se fait, et ensuite voilà. (Rires.) Je ne vis pas dans la phobie de l’acte sexuel, je ne vis pas dans la peur de l’homme. Je me suis reconstruite là-dessus. Moi, en m’écoutant, je savais que je ne porterais pas plainte, je savais que je ne voulais pas en parler, je savais que je voulais baiser le plus possible pour comprendre et pour prendre le pouvoir. C’était ma méthode à moi, ça n’est pas celle de tout le monde, c’est pas très très safe. (Rire.) Il faut trouver sa propre méthode, il faut se reconstruire tout seul, ça peut prendre du temps.
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Ça n’est pas la chose la plus horrible qu’on m’ait faite qui m’a le plus marquée. Donc, je préfère raconter celle-là parce qu’elle est affreusement banale. Un jour, je prenais le bus pour aller à l’école comme tout le monde. Et je faisais partie de ces filles qui n’aiment pas trop être devant, j’aimais bien être au fond, et au fond il y a les gens qui parlent fort et qui s’amusent bien, et plutôt les garçons. Ce n’était pas dans un but de séduction, hein, je me cherchais aussi, j’aimais bien les garçons parce qu’ils rigolaient plus. Et dans ma rue, on prenait le bus avec deux ou trois autres garçons de mon âge, exactement de mon âge. Et je les connaissais depuis deux ou trois ans maximum, parce que mon père étant militaire on déménageait beaucoup, donc je ne connaissais jamais les gens, c’étaient jamais des amis d’enfance, quoi. Et un mercredi, on prenait le bus, on rentrait chez nous, et on m’a demandé d’apporter une vidéo pour la regarder dans la maison d’un de ces camarades de classe. En toute bonne foi, je me disais : « Chouette, ils m’ont intégrée dans leur bande ! » J’étais un peu contente. Et puis je suis arrivée dans la maison, et puis ça avait un côté normal et pas normal, parce que c’était une famille avec plusieurs frères, et le frère qui voulait la vidéo a pris la vidéo, un autre a fermé la porte à clé, et un autre n’en avait rien à faire et jouait aux jeux vidéo. Et tout l’après-midi, celui-là, en qui j’avais une confiance absolue et qui était un an plus âgé, a joué aux jeux vidéo sans m’écouter et sans m’entendre. J’ai passé l’après-midi… en fait, l’un des frères a caché la clé dans son caleçon et a demandé à ce que j’aille la chercher. Et j’étais juste, mais effrayée d’être enfermée là, je me disais : « Aucun de nos parents ne rentre avant ce soir, donc j’ai trois ou quatre heures devant moi, je suis enfermée dans cette maison de gens en qui j’ai confiance en théorie, je ne sais pas jusqu’où ça peut aller. » Et au fur et à mesure de l’après-midi, à mesure que je refusais, c’était pas bon enfant, c’était pas juste on discutait, on ne parlait que de ça, c’était vraiment en train de se faire, c’était quelque chose d’assez pressant. Et au fur et à mesure que je refusais et que j’essayais de partir dans d’autres pièces, de m’enfermer, de m’en sortir, la colère montait chez les deux frères qui étaient concernés. Et je sentais que ça commençait à tourner mal pour moi, vraiment, très très très mal. Et j’étais, mais dans un état vraiment hystérique. Je crois qu’on a atteint une sorte d’acmé dans cette espèce d’horreur, c’était un truc de film, quand leur voisin, qui était aussi un ami à moi, a téléphoné pour savoir s’il pouvait jouer aux jeux vidéo. Donc le téléphone a sonné, cet ami appelait et je hurlais, j’ai hurlé à pleins poumons qu’il fallait qu’il vienne me chercher, qu’il y avait un problème. Et en gros ils ont eu une conversation tout à fait normale (rires) et il s’est avéré qu’au final il n’est pas venu. Mais voilà, ça s’est réglé comme ça, c’est-à-dire que le téléphone a sonné, quelqu’un a appelé et quelqu’un m’a entendue appeler à l’aide et n’est pas venu. Qui était au courant que c’était moi et qui habitait en face. Je me suis dit : « Je sais pas où ça va aller, mais je suis enfermée contre mon gré quelque part, on va me forcer à faire des choses et je sais pas quoi. » Je ne comprenais pas, c’était psychologiquement atroce. Et à un moment, j’ai atteint une sorte de point de non-retour dans ma tête, je me suis dit : « Je m’en fous, on n’est pas dans la réalité », j’ai couru à la cuisine, j’ai été chercher un couteau et j’ai braqué (rire) celui qui avait mis la clé dans son caleçon pour qu’il me rende la clé. Ça a duré assez longtemps, enfin pour moi ça a duré une éternité, mais au bout de, je pense, dix minutes ou vingt minutes de parlementations, il a compris que je devenais vraiment folle, il m’a insultée, il m’a traitée de folle et il m’a rendu la clé et j’ai pu sortir. Je suis rentrée chez moi en tremblant. J’ai traversé la rue, mais c’était une rue que je traversais tous les jours. Il y avait plein de gens. Dans leur maison et dans leur jardin, il y avait les voisins, des gens que je voyais tout le temps. Je suis rentrée chez moi, j’ai pris une douche parce que, bon, entre-temps ils m’avaient… enfin il n’y avait rien, je n’avais pas été déshabillée, mais j’avais été malmenée, j’avais les vêtements n’importe comment, on m’avait à moitié forcée à mettre la main dans son caleçon sans que je parvienne à… enfin, j’ai rien trouvé de particulier… Donc, je me sentais vraiment, mais mal, je ne me suis jamais sentie aussi mal. Quoi qu’il arrive, et il m’est arrivé des choses par la suite, il m’est arrivé d’autres choses, mais pour moi c’était juste le summum de ce qui pouvait m’arriver en termes de violence, de violence psychologique. Il y avait une sorte de violence dans le fait que dans ce que j’avais vécu, dans les cris que j’avais poussés vraiment très fort, et dans ces espèces de maisons avec ces jardins, avec ces gens qui faisaient leur jardin, c’était non sensique. (Rires.) C’était horrible.
J’habitais chez mes parents. J’étais au collège, en Touraine. Quelque part en Touraine, dans cette espèce d’immensité de la Touraine. Je crois que ça se passe partout, en fait. Je crois que j’ai commencé à me sentir vraiment mieux quand j’ai pris conscience (ce qui est assez moche, mais bon, c’est vrai) que ça se passait tout le temps partout.
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Je ne respecte pas beaucoup les hommes. (Rires.) Le fait d’avoir des besoins sexuels si forts les rend un peu pathétiques, et voilà c’est tout. C’est une faiblesse, en fait. Quand on parle d’agressions ou de choses comme ça, on a quand même affaire à quelqu’un qui est soit malade, soit triste… C’est assez terrible, quand on y réfléchit. L’homme en soi ne me fait pas rêver. Je n’ai pas peur du pénis en soi. Je me dis juste que c’est plus facile pour moi de prendre le pouvoir tout de suite dans une relation si je rencontre une personne nouvelle qui s’avère être un homme, c’est plus facile de donner l’image d’une femme plus forte, de quelqu’un un peu inaccessible, et du coup de renverser le rapport de forces pour ne pas me mettre en situation de danger. Et pourtant, je préfère la compagnie des hommes. C’est plus compliqué, un monde de femmes. Mon rapport aux femmes est extrêmement conflictuel, je ne leur fais pas confiance, j’ai extrêmement peur des femmes. C’est bizarre, hein ? (Rires.) Mes plus grandes déceptions ont été causées par des femmes, même des déceptions amoureuses ne m’ont pas fait autant de mal qu’une déception amicale. La violence du rejet d’un groupe de filles, c’est terrible. J’en ai souffert atrocement. Parce qu’à l’adolescence, du coup, j’étais un peu décomplexée par ça, le sexe, les hommes… Je ne l’affichais pas, mais je devais dégager un truc, enfin on devait comprendre des choses. Puis j’avais pas de mal à trouver des petits copains, c’est vrai, je suis désolée. Et malheureusement, il s’avérait toujours que le garçon dont une de mes amies était amoureuse finissait par me donner son numéro de téléphone, j’y peux rien, c’est arrivé deux fois. Mais c’est ma phobie, limite j’en fais plus de cauchemars que du reste. C’est ce moment, ce point de non-retour, on n’a rien fait, quelqu’un de complètement débile avec des boutons sur la gueule donne son numéro de téléphone, et je perds dix de mes copines avec qui je partage tout, en qui j’ai confiance. Parce que pour elles c’est de ma faute. Ça m’a permis de relativiser aussi. Les hommes, j’avais pas tout compris, mais je savais déjà qu’ils sont pas très intelligents, ils sont pas très fins, c’est pas grave. (Rires.) Si je mets un décolleté et du rouge à lèvres, ça va aller, je vais m’en tirer dans la vie. Les filles, par contre… c’est vachement moins simple. (Rires.) Je me suis dit : on va faire un peu plus attention. Je n’ai toujours pas trouvé la recette, je tiens à le dire, le rouge à lèvres ça marche pas, les décolletés non plus, et en fait le reste non plus.