La sexualité est devenue un problème, et ça a souvent été la cause de disputes ou de séparations. Disons que le désir ne vient pas tout seul, en général. Maintenant je sais pas pourquoi, je ne suis plus un moteur du tout. Comme si ça ne m’intéressait pas, comme si ça ne m’intéressait plus. Et c’est très questionnant, parce que tu te dis à trente-sept ans en pleine force de l’âge, pas trop moche… comment se fait-il qu’il me manque cette pièce du puzzle ? Et pourquoi moi ? (Rires.) C’est vrai qu’il y a une pression pour que ça se passe bien, pour que ce soit normal, normé, un peu fou, un peu one again, un peu rock’n’roll. (Rires.) Alors que pas du tout ! Et surtout je suis très étonnée, je me dis : mais comment c’est chez les autres, ça c’est ma grande question, comment font les autres, comment sont les autres, est-ce qu’elles sont bonnes les autres, est-ce qu’elles sont douées ? Enfin moi, je suis gênée, quoi, j’ai honte. Ouais j’ai honte. J’ai honte vis-à-vis de mon partenaire, parce que de moi à moi ça ne me gêne pas, honnêtement, tu vois j’en ai pas besoin, ça ne me manque pas et à la limite le moment où ça me manque, ben je me débrouille toute seule.
J’ai de la chance, j’ai trouvé un partenaire avec qui j’ai le droit d’en parler. Parce qu’avant j’étais sous le feu des reproches : toi t’es nulle au lit, toi t’es machin, toi tu sais pas, toi… J’ai toujours démarré mes relations de manière assez passionnelle, donc ça existait, puis tout à coup je retirais ça à mon partenaire, c’est-à-dire que tout à coup ça n’existait plus. Une fois que la passion a disparu, ça ne m’intéresse plus. Je ne comprends pas « faire l’amour » comme « vouloir dire à quelqu’un comme on l’aime ». Pour moi, c’est très sexuel, c’est la satisfaction d’un instinct primaire et je n’assume pas du tout ce côté, c’est étonnant. Je me voudrais fleur bleue et romantique et passionnée, et dans le sexe ça n’est pas ça qui m’intéresse, bref, comment faire ? Oh je préférerais que ça n’existe pas ! J’ai des copines – mon Dieu, je les envie – qui te disent : « Ah là là, mais si moi ça ne marchait pas avec mon mec à ce niveau-là, je ne pourrais pas. » Ben putain t’as de la chance, toi ! (Rires.) Quand je suis dans un début de passion, oui, oui, oui, ça m’est arrivé de faire l’amour trois fois par jour, quatre fois par jour, mais ça se tasse à un moment, putain merde ! Ça se tasse grave. Le désir pour quelqu’un, je ne sais pas, ces gens ont un moteur interne puissant. Ils ont une libido dans l’absolu.
Ben c’est ça ! Comment on va faire, putain, comment je vais faire ? Oh. Tu sais, ça c’est con, hein, si tu fais pas un enfant avec une bonne baise, merde. C’est ça que tu te dis, non ? Enfin moi je sais pas, mais c’est ce que je me dis, je me dis : quitte à faire cette folie, autant que ce soit genre un surkif… Bon après, quand tu n’y arrives pas, je pense qu’au bout d’un moment c’est plus trop un kif, mais au départ au moins que ça parte dans cette idée-là, quoi. Allez hop, j’ai enlevé mon stérilet, chéri, c’est la fête, quoi ! Mais je ne sais pas comment on va faire. Je ne suis pas incapable de coucher, hein, mais… Je ne sais pas, je me mettrai de dos… (Rires.) On fera ça en une bonne levrette, et hop ! Je regarde pas, je ferme les yeux, chéri, je ne regarde pas ! Fais ton truc. (Rires.)
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Je me demande si c’est ça qui a changé les choses : il y a sept ans, à trente ans donc, j’ai subi un avortement. J’ai l’impression que ça a vachement changé le rapport à mon corps. Il y a eu un truc à ce moment-là, c’est vraiment depuis ce moment que ma sexualité m’interroge, qu’elle est en conscience alors qu’avant c’était assez naturel, je ne m’interrogeais pas. Et depuis que cette zone-là a été martyrisée par moi-même, je n’ai plus ce rapport naturel du tout. C’est un peu une zone de non-droit, elle est associée à quelque chose de plus spirituel et à la fois c’est une zone de souffrance. C’est peut-être ça, en fait, ça s’est complètement coupé de l’acte et du moment et du partage et du couple. C’est passé au niveau de la tête et je crois que c’est jamais redescendu au niveau du vagin. (Rires.) Tout simplement. Mais du coup, ça m’a obligée à aller chercher au tréfonds de moi-même, vraiment, à m’interroger sur qui j’étais, ce que je voulais, là où j’en étais dans la vie, je ne sais pas, ça a remis tellement de choses en question que finalement c’est certainement l’une des meilleures choses qui me soient arrivées. Mais sur le moment… ! (Rires.) Sur le moment, non, je ne peux pas dire que ça m’ait réjouie. Mais tu vois, ça a changé beaucoup de choses. Trop, je crois. Ça m’a enlevé une dernière couche d’insouciance, l’une des seules qui peut-être me restaient, et puis quand ça arrive à trente ans ça n’est pas comme quand ça t’arrive à vingt ans, tu vois. Ça m’était déjà arrivé une fois et pour le coup c’était hyper simple. Mais je n’ai pas de regrets, je te dis, parce que je crois que sans ça… Oh mon Dieu ! surtout que j’aurais dû me taper ce gars-là dans ma vie jusqu’au bout, au secours ! Non merci, quoi.
(Rires.) Le problème avec ce gars-là, c’est : qu’est-ce que j’ai à voir avec lui ? Je m’entichais un peu de tous ceux qui voulaient bien s’enticher de moi, à un moment. C’était montre-moi de l’amour, c’est tout ce que j’attendais d’un garçon en fait. Avec un enfant au milieu de ça, je crois que j’ai jamais été aussi à même d’exercer mon espèce de chantage affectif et de test : est-ce que tu m’aimes vraiment ? est-ce que tu veux garder cet enfant ? enfin tu vois, oh ça a été, mais l’apothéose !
Ah, moi oui. Ah, moi je ne pouvais pas me séparer de cet enfant, je me suis sentie mère dès lors que je l’ai su. J’étais bien, quoi. C’est ça le problème, si tu veux. Dès que je l’ai su, j’étais heureuse. Ça venait combler… je ne sais pas, c’était très naturel, c’était pas réfléchi, c’était instinctif, c’était là, c’était bien. J’étais très bien. Mais… (Soupir.) Tu es super bien et tu te dis : je ne peux pas garder cet enfant, donc je vais aller à l’hôpital et je vais le tuer. D’autres vont le faire pour moi, mais c’est ma décision. Et ça, ça m’a poursuivie jusqu’au bloc opératoire, jusqu’au moment où on m’a mis le masque sur le nez, et à ce moment-là je n’étais pas encore sûre, donc ça a été d’une violence inouïe. C’est vraiment la chose la plus violente qui me soit arrivée.
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Le sexe, j’ai jamais trouvé ça fabuleux non plus dans l’exécution. Quelquefois, bien sûr, il y a eu des coups géniaux, tu te dis c’est merveilleux, en plus tu as la sensation qu’il y a de l’amour, ou tu es désinhibée, ou tu as un peu bu, ou tu as fumé, ou quoi, et même à jeun, il y a des moments incroyables. Mais ils ne sont pas légion, ce n’est pas tout le temps. Je trouve globalement que les hommes ne sont pas non plus… enfin moi, je n’ai jamais eu la chance de rencontrer le mec que les meufs décrivent dans Elle : « Ouais, il m’a épanouie, j’ai découvert que j’étais une femme fontaine grâce à cet homme… » OK, super. Mais euh, moi, non. Moi, je trouve toujours que c’est un petit peu moyen, c’est vrai, je ne les trouve pas toujours très bons, les hommes. Il leur manque souvent quelque chose au niveau du bassin, quelque chose de l’ordre de la souplesse. Je ne suis jamais très en phase. Je trouve que les hommes, à un moment, basculent dans un truc un peu plus mécanique et comme je ne rentre pas particulièrement dans ce truc-là, c’est là que je me dis : « C’est moi qui ne suis pas bien. » Si seulement ça pouvait être plus mécanique pour moi aussi, je kifferais, je continuerais de kiffer ce qui est en train de se passer. Moi, si je veux arriver à jouir, je suis obligée de me mettre à fantasmer de manière complètement artificielle, de penser presque à autre chose, à des choses qui vont m’exciter, parce que sinon, si je suis ici et maintenant, le fameux ici et maintenant (rires), eh bien non, quoi. J’ai envie de te dire : je me fais chier, finis, quoi, fais quelque chose, je suis juste à passer en mode j’accélère pour que tu finisses, parce que ça ne m’est pas désagréable, mais franchement… (Si ça m’est désagréable, je jette le mec, je ne suis pas non plus là à souffrir et à accepter des choses… pas du tout. Et puis ça fait mal au vagin quand vraiment tu ne veux pas, ça m’est déjà arrivé avec un de mes premiers, c’est juste insupportable, donc non.) Donc c’est tolérable, ça me fait du bien, moi je dis toujours que même si moi j’ai pas joui ou quoi, j’ai quand même la sensation claire que ça m’a fait du bien au corps. Ça m’a désangoissée. Mais je les trouve… non les mecs… avec les mains, ils ne sont pas mal, globalement ; avec la langue, je les trouve pathétiques. C’est le pire, en fait. Si j’y pense vraiment, moi, le cunnilingus, j’en veux pas. Pourquoi ? parce que je trouve que c’est toujours de la merde. Il n’y en a aucun qui sente… ou alors je ne suis vraiment pas tombée sur les bons. C’est nul.
Si, mais ça me gêne. Et puis, au bout d’un moment, ça me pique, la salive. (Rires.) Parce qu’il y a ça aussi, j’ai la chatte fragile, madame ! Et tu vois, je pense que ce qu’aiment les hommes, c’est beaucoup plus rugueux que ce qu’on leur propose.
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Ah mais c’est clair ! (Rires.) C’est exactement ça. Faut être au top. Et puis, faut être épilée, faut être une meuf qui en veut, qui est libérée… C’est ça, faut être épilée, faut sentir bon, faut avoir une belle chatte, hein, faut le dire. Moi je sais pas, aussi je m’interroge : est-ce que c’est pas affreux, tu vois ? J’ai aussi ce problème, je n’aime pas être regardée, et surtout pas à cet endroit. J’ai l’impression que c’est atroce. Des fois, je me dis qu’il faudrait que j’aille voir quelqu’un pour en parler. (Rires.)
Ouais, je trouve ça dégueulasse. Je ne suis pas une supra-poilue, mais imaginer qu’un mec puisse me voir de face, les jambes écartées, avec un peu trop de poils à droite, à gauche – et trop de poils à droite, à gauche, ça va être rien pour certains, mais moi j’ai mes critères, je suis gênée de ça, j’ai pas envie qu’un mec se dise : « Ah putain, la meuf, elle est pas épilée ! » Si on me touche avec les mains et si on me regarde avec les yeux, c’est pas un endroit que j’ai envie qu’on regarde, alors que j’ai l’impression que lui il voudrait regarder, j’ai bien senti plusieurs fois qu’il avait envie de regarder, non mais ça va pas ou quoi ! Non mais t’es ouf ou quoi ! Tu vas regarder ça ?! Moi je trouve ça dégueulasse personnellement. La chatte, c’est dégueulasse ! J’ai un copain gai qui dit ça tout le temps : « La chatte, c’est dégueulasse. » Pendant un temps, je trouvais que le sexe d’homme était atroce, eh bien finalement je trouve ça beaucoup plus beau qu’une chatte de femme. Ou alors la chatte de femme c’est beau si c’est un peu, tu vois, asiatique, petites lèvres… J’ai peur d’avoir une vieille chatte, c’est un truc qui me fait flipper ! (Rires.) Je suis complètement stressée avec tout ça ! J’ai peur de ça, putain la vieille chatte, tu vois ce que je veux dire ! C’est ça, je ne me sens pas une femme libérée. J’ai un peu honte de ça. C’est vrai qu’aujourd’hui faut être chaude. C’est vrai ! Je pense que les gens n’imaginent pas à quel point je ne suis pas chaude. Parce que je suis plutôt à l’aise dans la vie. Quand je dois me changer devant des gens, j’en ai rien à foutre qu’on me voie à poil, j’en ai rien à foutre qu’on voie mes seins, que des mecs voient mes seins, je suis seins nus sur la plage, j’ai envie d’aller sur des plages naturistes… mais que se passe-t-il à l’étape suivante ? Qu’est-ce qui se passe dans ma putain de tête ? Dans cette proximité, je ne sais pas si j’assume si bien mon corps. J’ai toujours peur de décevoir… ma petite cellulite, j’ai trois poils en bas du dos, tu vois j’ai peur que le mec il débande. C’est pas ça qui m’arrête, mais ça fait partie de tout mon truc. J’ai peur qu’il se dise : « Oh là là, cette fille, une fois qu’on a un peu enlevé les pétales, voilà ce qui reste. »
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Je pense que je n’aime pas les filles. Je suis trop compliquée, je suis une fille, je ne veux pas avoir une fille dans les pattes, merci bien, merci le drame ! Par contre, je me dis : est-ce que sexuellement ça n’est pas plus épanouissant, une femme ? Je l’ai même dit à mon chéri, je lui ai dit : « Voilà, si j’ai envie de faire ça avec une femme, si ça se présente et si ça me dit, bien sûr, je pense que je le ferai. » Pour ne pas mourir idiote, et pour être mieux comprise, ouais, peut-être un truc comme ça.
Non non, jamais. Par contre, j’ai des amies lesbiennes. Donc je pense que je pourrais oser leur en parler, leur dire voilà, emmène-moi quelque part, allez vas-y, que je voie. Je suis déjà entrée dans un lieu lesbien pour les accompagner à une soirée et j’ai été un petit peu choquée, enfin choquée non, c’est pas vrai, je dramatise ma vie, c’est pas vrai. Je n’ai pas été choquée, mais j’ai été marquée. Je suis entrée dans le lieu, euh, j’aime autant dire que les regards de femmes qui se posent sur toi, ben t’es pas du tout habituée, et c’est comme des mecs, attention ! Elles te regardent, putain, mais ça fait flipper. Tu sais, dans la rue, t’es pas du tout habituée qu’une femme – tu peux en croiser une à l’occasion, tu vas sentir qu’elle te regarde, il y a peut-être quelque chose –, alors là, vraiment, ce sont des prédatrices. On est dans le regard appuyé, long, et je suis pas du tout habituée à ce qu’une femme me regarde de cette manière-là. Tu sens le cul. Elles sentent le cul ! Ça ne m’a pas excitée du tout, tu vois, donc je suis assez certaine de pas être lesbienne, je n’aime pas les femmes, je n’aime pas les névroses féminines, je dois déjà supporter les miennes, donc si je pouvais m’éviter de supporter celles de quelqu’un d’autre, je pense que ce serait plus sage. Mais sexuellement, c’est vrai que ça m’interroge. C’est tellement nul avec les mecs que tu finis par… Moi, il me manque quelque chose, putain merde, mais quoi ? Ou alors je n’ai pas rencontré LE dieu du cul comme certaines disent, oh là là…
La douceur, non, mais le fait qu’elle sache si tu veux… forcément, je me dis qu’une femme elle sait. Si elle sait pour elle, elle sait pour l’autre ! Plus qu’un homme. Il y a moins de mystère, quoi. Une forme d’efficacité. Arrêter d’être obligée de subir cette fameuse phase avec l’homme où lui reste mécanique et toi tu continues à chercher un kif qui n’arrivera pas de toute façon, c’est clair, qui n’arrivera plus à ce stade-là. Tu te dis qu’avec une femme, tu as peut-être une chance que ça puisse perdurer, que ce soit ça le fil rouge, en fait. Vu l’état de ma vie sexuelle, des fois je me dis que putain, ce serait quand même pas une mauvaise chose d’aller tester, quoi. Des fois, je me dis que je ne voudrais pas rater quelque chose, parce que, si ça se trouve, je suis juste en train de passer à côté de ma vie. Ah ! j’ai un doute. Si ça se passait bien avec les mecs, je n’aurais pas de doute. Et pourtant, je pense que… Non mais bien sûr que je suis complètement hétéro ! Moi, un mec, ça me va très bien, la confrontation des deux types de caractère me va très bien, donc c’est pas ça, c’est vraiment que, oui, c’est sexuel, ça m’interroge, oui.