C’est pas pour rien que j’ai fini par coucher avec un ami. Je suis restée vierge assez tard, sans raison, surtout parce que je ne rencontrais pas de garçons, mais voilà c’était comme ça. Jusqu’à vingt-deux, vingt-trois ans. Ça me complexait sérieusement à cet âge-là, parce qu’on était très très rares dans ce cas. (Rires.) Et c’était pour moi une montagne de me dire : « Si je rencontre un garçon, faut que je le lui dise… J’ai pas envie qu’il pense que c’est parce que je suis coincée, que ça me dérange, que j’attends l’homme de ma vie. » Parce que c’était juste pas le cas du tout. Du coup, ça me mettait beaucoup de pression. Et j’avais une amie dans le même cas et qui, elle aussi, était terrifiée à l’idée de devoir dire à un garçon : oui, bon, en fait… Donc lui, il savait. C’était très pratique pour moi. Du coup, c’est allé très très doucement, il a vraiment pris le temps. Et je le connaissais très bien, donc j’étais très à l’aise. Et puis, il était pas mauvais, hein. (Rires.)
Si je me souviens bien, il y a eu une sorte de pénétration avant, mais tellement rapide, tellement « hop oups ah hum », que bon…, « ah ? il s’est passé un truc ? » Je l’ai senti, je me suis dit : « Tiens… », et je crois qu’on n’avait pas de capote, je lui fais : « Oh là, il faut une capote ! », et il me dit : « C’est trop tard », alors qu’il ne s’était presque rien passé, donc je ne savais pas de quoi il parlait, je n’ai pas très bien compris, j’ai pas osé, j’ai fait : « Bon, je sais pas. » Il y a donc eu un moment où j’ai dû… on était hyper chauds quoi, et j’ai dû dire : « Hummmm, t’as des capotes ? », et voilà, ça s’est fait comme ça. On n’avait pas réfléchi avant, on s’était rien dit, on sentait juste qu’on avait de plus en plus envie, c’était de plus en plus chaud entre nous, donc il y a eu un moment où il a bien fallu… En plus, c’était drôle parce que j’en avais vraiment envie. Je ne savais pas ce que c’était, je ne savais pas ce que ça allait donner, mais j’en avais vraiment envie. Comment peux-tu avoir envie d’un truc que tu connais pas ? En tout cas, j’avais l’impression que c’est ce que j’attendais. Comme quoi on est bien des animaux, nos instincts, ils sont bien là…
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J’ai un souvenir très net de ce qui s’est passé dans ma tête. Ça a changé la manière dont je regardais les gens. (Rires.) C’était vraiment flagrant. Le lendemain, je me baladais dans la rue, et je voyais les gens, et je me disais : « Ah, ils font du sexe, et eux ils font du sexe, et eux ils font du sexe, et eux ils font du sexe… » Parce que c’était comme la découverte de la partie animale. Et ça me le fait encore aujourd’hui. C’est pour ça que je suis à l’aise, que j’ai pas de malaise sur le sexe. Pour moi, c’est un truc à part. C’est nous, mais c’est plus vraiment nous. J’ai dit « partie animale », bon… je sais pas comment le décrire, mais ça m’a vraiment fait ça, je regardais les gens et : « Lui il fait genre tout va bien, il est avec son petit attaché-case, mais en fait, cette nuit, il va être à poil et il va faire des trucs de fou et tout… » Il y a des gens que ça gêne, le fait qu’on puisse avoir l’air ridicule pendant le sexe. On a des positions qui peuvent être ridicules, on peut faire des bruits ridicules, parfois il y a des choses un peu… on fait des têtes ridicules, tout ça. J’en ai parlé avec des filles qui me disent que ça les gêne, ça va pas les empêcher de faire les choses mais parfois elles y pensent. Elles se retrouvent dans une position un peu ridicule, elles sont là : « Oh là là, il est en train de voir ça ! » Moi, ça me pose aucun problème, mais je pense que c’est dû à ça. Ce sont deux choses différentes, la vraie vie et la nuit, le sexe. Bref, ça a été un peu la découverte de la face cachée de chacun, de tous les adultes que je croisais, je ne les imaginais pas en train de coucher, mais je me disais : « Ah, tu fais genre t’es sérieux et très fier, mais en fait, tu vois, tu vas faire cette tête ridicule et te fondre dans ce truc un peu sauvage, et le lendemain tu te relèves et tu te brosses les dents, et tout est normal. » Et je me le dis encore parfois, je me dis : « C’est marrant, parce que c’est un truc intime, tu peux en parler mais personne peut voir à quoi tu ressembles, ce que tu fais », etc. Et puis c’est un truc où, je sais pas, moi je me lâche un peu, je me sens plus, bon je peux pas dire que je ne suis pas la même personne parce que je reste la même personne, mais c’est une autre facette, c’est comme si je découvrais une facette cachée de toute l’humanité. Et je me marrais. Vraiment. J’étais dans la rue, et : « Ah Ah ! Et lui aussi il fait ça, et elle aussi elle le fait, et elle aussi, ah ! et les deux, là ensemble, ils vont faire ça ce soir. » Et ça me faisait marrer, parce que j’avais l’impression de découvrir un grand secret.
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Je n’ai pas l’impression d’avoir été en couple, et ce truc a tendance à me complexer un petit peu. Mais c’est la vie, ça dépend des jours. Il y a des jours où ça me complexe, il y a des jours où je me dis que c’est la vie. Ça peut me faire peur aussi. J’ai trente et un ans et, même si c’est devenu un truc moins hyper important dans ma vie, j’aimerais bien avoir des enfants un jour, j’aimerais bien avoir une famille. Du coup je me suis beaucoup posé de questions sur moi : si quelque chose clochait, si j’envoyais de mauvais signaux, si… Ce garçon dont j’ai été amoureuse très longtemps, il adorait coucher avec moi, il me trouvait fantastique, il me trouvait très belle, hyper désirable, etc., mais il n’était pas amoureux de moi. Et je lui ai dit : « Mais si toi t’es pas amoureux de moi, qui va être amoureux de moi ? Parce que tu me dis que je suis l’une des personnes que tu préfères sur la planète, tu adores coucher avec moi, je suis hyper belle, hyper désirable, mais t’es pas amoureux. » Et donc ça a forgé un truc bizarre chez moi : le « je suis pas le genre de fille dont on tombe amoureux ». Même si je sais que c’est un peu des conneries, je me dis : comment ça se fait ? qu’est-ce que je dégage pour que ça se passe comme ça ? Je sais que j’ai toujours eu un problème avec l’intimité, pas avec le sexe du tout, mais avec l’intimité. Par exemple, ça surprend parfois les gens, mais ça me fait beaucoup moins peur de coucher avec un garçon que de prendre un verre avec lui. En général, c’est l’inverse. Mais moi, le sexe, j’ai aucun problème, j’ai aucun complexe, je le prends assez légèrement, tout va bien. Par contre, être en face d’un garçon, se regarder, parler, se prendre la main, ça me terrifie. Ce qui fait que je suis souvent très mal à l’aise avant, j’ai tendance parfois à précipiter le sexe parce que c’est le moment où je suis le moins mal à l’aise. Ça peut donner une image un peu particulière… Je ne veux pas trop parler, mais je veux bien me mettre toute nue. Et je me demande parfois comment ça se fait, si ça va se résoudre, et si, à un moment, je vais trouver un garçon avec qui ça va se passer assez naturellement et avec qui ça va durer… Voilà. Quand je dis que ça me complexe, c’est que j’aime pas trop le dire, par contre. Quand je rencontre des gens et qu’on me demande : « Alors toi ? », je fais : « Oh, pfff. » Un peu comme à l’époque où j’étais vierge. Quand on commençait à parler de ça, je partais ailleurs, voir un truc au loin… Et aussi parce que les gens ne comprennent pas. Les garçons à qui je l’ai dit sont là : « Mais pourquoi ? » Le garçon avec qui je suis restée deux mois, par exemple, pensait que je ne voulais pas. On s’est reparlé une fois sur Internet et il me dit : « Ben toi, de toute façon, t’as jamais eu d’histoire sérieuse, donc ça t’intéresse pas. » Et j’étais là : « J’ai jamais dit ça ! J’ai dit que j’en ai jamais eue. C’est pas que ça m’intéresse pas, c’est que j’en ai jamais eue ! » Quand parfois je dis : « Ouais, bon, moi, j’ai jamais eu vraiment de copain », on me dit : « Mais comment ça se fait ? c’est complètement dingue ! » Bah… je sais pas… c’est comme ça. Et ça fait un peu halluciner des gens. Après, j’ai quelques amies qui sont un peu dans mon cas. Et ça peut me rassurer. Avec une copine, on se dit qu’au pire on se fera une coloc avec des chats.
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J’ai eu mon lot d’expériences de pervers dans le métro quand j’étais plus jeune. Évidemment, quand tu passes vingt-cinq ans, on t’emmerde beaucoup moins ! Moi, c’était entre mes onze et mes vingt ans. La première fois que je me suis fait emmerder, que j’ai vu une bite dans le métro, j’avais onze ans. Et je pense que la dernière fois que je me suis vraiment fait emmerder j’avais entre vingt et vingt-deux ans. Et depuis, beaucoup moins. Un petit peu, mais disons que c’est de la drague lourde. Ça, c’est très chiant aussi. Bon, je m’énerve souvent, enfin ça dépend : un mec tout seul, je m’énerve ; quand ils sont deux ou trois, je fais moins la maline. Mais je m’en suis toujours assez bien sortie parce que je fais très bien la froideur. Parfois je m’invente un copain parce que ça va plus vite. Ça m’énerve un peu de le faire, je ne devrais pas avoir à le faire. Mais parfois (soupir)…
Il n’y a pas longtemps, ça m’a fait assez rire, je rentrais la nuit, deux heures du matin, dans la rue à côté de chez moi, et j’avais pas vu qu’il y avait des mecs dans une bagnole. Ils se sont amusés à me faire peur. Bon. Donc, je marche à côté, il ouvre la fenêtre, il me fait BOUH !, comme ça, moi je fais un bond de cinq mètres. Puis je vois que c’est censé être une blague, je me marre un peu, et je continue mon chemin. Là, le mec se dit : « Voilà, j’ai très bien commencé, je vais aller la draguer maintenant qu’elle a hyper peur. » Donc il est venu me voir, et j’avais le cœur qui battait encore à cent à l’heure, et j’étais en train de me dire : « Mais à quel moment tu t’es dit que c’était le bon moment pour venir me parler : tu viens de me terrifier ! » Et donc je lui dis non, je rentre chez moi, machin. Il avait l’air chiant, donc je le lui ai dit tout de suite : « Non, j’habite avec mon copain. » Et le mec me dit : « Prouve-le-moi. » Et ça, ça m’est arrivé deux ou trois fois quand même, c’est fou. Quand tu leur dis que tu as un copain, on te dit, soit « Je suis pas jaloux » (bah oui, mais lui peut-être, et puis peu importe), soit « Je te crois pas, prouve-le-moi », et ça… Mais je le fais de plus en plus rarement, ça, parce que ça mène à rien. Ça m’énerve de dire que j’ai un copain. Bon, là j’en ai pas, mais même si j’en avais un c’est pas le problème, c’est juste que j’ai envie de leur dire : j’ai pas à me justifier de pas vouloir te parler, j’ai pas à me justifier de pas vouloir rentrer avec toi, j’ai pas à me justifier de pas avoir envie de t’inviter chez moi à trois heures du matin alors que je viens de te rencontrer – enfin, de te rencontrer… plutôt de te parler une seconde et demie. Donc j’essaye d’éviter, je le fais quand vraiment (soupir) ça m’emmerde et que j’ai pas envie de discuter trois heures pour expliquer aux gens que non, c’est pas parce que je rentre chez moi la nuit que n’importe qui peut venir me parler et que ça ne veut pas dire que je veux forcément que quelqu’un me raccompagne chez moi et rentre dans mon appartement et me fasse l’amour alors que je ne le connais pas.
Je touche du bois, je ne me fais plus emmerder physiquement. C’est très rare. Ça ne m’est pas arrivé depuis des années et des années, donc c’est déjà ça de gagné. Mais voilà, il y a toujours les dragueurs lourds. En fait, je me dis parfois que j’aimerais bien que ça me réarrive, qu’on me tripote dans le métro, juste pour avoir le plaisir de faire : « Eh ! c’est à qui cette main ? Espèce de gros porc ! » Pour me venger de toutes ces années où je faisais (petite voix) : « Oh zut, il faut que j’aille à côté, on est en train de me toucher les fesses, j’ai douze ans, qu’est-ce qui se passe ? »
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J’aime bien l’idée de m’agiter dans un lit. Même si, comment dire… Je pense que ça arrive moins aux garçons, mais les filles sont capables de se déconcentrer. Moi ça m’arrive comme à tout le monde, par contre je n’ai aucun souci pour me remettre dedans, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. J’en ai parlé avec pas mal de copines qui sont parfois à se dire : « Oh zut zut, arrête ! Ne pense pas à la semaine prochaine ! » Moi, j’ai pas trop de mal, entre autres parce que je me mets dans la tête l’idée qu’on est en train de faire l’amour et ça suffit à m’exciter, ça me remet direct dans le truc. Ou alors je me concentre sur les sensations. Ça marche très bien aussi. Je me dis : « Ne pense pas, juste les sensations », et du coup ça repart très vite. Parce que moi, au final, je m’en sors pas trop mal : sur tous les mecs avec qui j’ai couché, il y en a un seul avec qui, vraiment, c’était pas bien, avec qui c’était vraiment (soupir) sans intérêt. Lui, je l’avais vu deux ou trois fois, je crois. Trois fois peut-être. À tous les autres, j’ai toujours trouvé quelque chose. C’était pas forcément génial, mais il y avait toujours une partie du corps que j’aimais bien, ou un truc qu’ils faisaient bien.
C’est du plaisir, avec option amour. Mais ça, moi, j’ai pas trop vécu. Il me reste encore des choses à découvrir ! (Rires.) Faire l’amour avec quelqu’un dont je suis amoureuse et qui est amoureux de moi, j’ai jamais trop fait, j’ai même jamais fait d’ailleurs. Mais je pense que ça doit encore décupler les trucs. Bon, avec mon amant de longue date, on s’aimait beaucoup. Il y avait une vraie intimité entre nous, on se connaissait très très bien, et sexuellement encore plus. Mais ça n’est pas la même chose. Et puis, quand tu sais que tu n’es pas la seule à aimer, ça te donne une autre sensation. Globalement, le sexe c’est du plaisir. Quand tu n’es pas amoureux, quand c’est juste du sexe, c’est juste un plaisir léger. Ça prend une plus grande profondeur (sans mauvais jeu de mots) quand tu es vraiment amoureux. Où est-ce que j’ai lu ça ? Ah oui ! Dans Lettres à un jeune poète, à un moment Rilke parle de sexe et de sacré, et il dit qu’à chaque fois que tu fais l’amour, tu fais écho à l’humanité entière.