J’ai un côté bien libertin, j’aime ça séduire, j’aime le jeu de séduction, peut-être même plus que la concrétisation de la chose. Moi je dis toujours que Montréal, c’est trop petit pour faire l’amour… C’est vrai. Je pense que les gens se tiennent un peu dans le même genre de clique aussi, mais c’est difficile de ne pas rencontrer des gens avec qui vous avez ou peut-être eu une aventure commune ou ce genre de choses. Tu as fait le tour, à un moment donné ! (Rires.) Tu sais, je sortais énormément, je rencontrais tout le temps plein de gens, des gens d’horizons super variés, c’était le fun, et en plus j’étais super jeune, donc avec les gens avec qui on se tenait, moi et mes amis on était les plus jeunes, donc il y avait un attrait à ça aussi.
On avait dix-huit, dix-neuf, vingt ans. J’ai vraiment plein de beaux souvenirs de cette époque-là, tu sais, des histoires qui ont aucun bon sens. Tu te réveilles le matin, un 23 janvier, il fait –75, t’es chez un gars, tu sais pas vraiment ce que tu fais là, t’as perdu ton pantalon for some reason, puis tu sors avec ton manteau sur Saint-Denis et t’es comme : « Ah non… (Rires.) Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » Autant j’y repense je trouve ça super drôle, mais tu me dirais « refais ça maintenant », je pense que ce serait la chose qui me déprimerait le plus au monde.
Non, parce que j’ai toujours refusé de me forcer. Si ça ne me tentait plus à 2 h 30 du matin, ça ne me tentait plus à 2 h 30 du matin. Je prenais un taxi et je m’en allais chez moi. J’aime vraiment mieux passer pour une niaiseuse de faire ça que d’avoir après le sentiment d’avoir un peu cédé à quelque chose que je ne voulais pas vraiment. Malheureusement, je pense qu’il y a beaucoup de filles qui se laissent marcher sur les pieds en ce sens-là. C’est dommage, parce que c’est ça qu’on dit aux filles souvent, c’est ça qu’on enseigne aux filles, c’est : « Tu l’as cherché », tu l’as cherché parce que tu t’es habillée sexy, OK, mais il y a aussi : « Tu l’as cherché en cruisant activement. » C’est sûr qu’il y a une petite notion d’éthique interpersonnelle là-dedans, indépendamment des genres. Si tu donnes beaucoup d’attention à quelqu’un et qu’à un moment donné tu te mets à l’ignorer, là il y a juste une question de manque de respect, à mon avis. Mais de dire que tu peux avoir été très flirt et décider que non, tu ne donneras pas accès à ton corps à cette personne-là… Je pense qu’il y a un tabou autour de ça. Beaucoup de filles n’osent pas mettre leur culotte en ce sens-là, parce qu’après c’est tellement facile pour les gars de les dénigrer et de les humilier. Mais faut le faire (rires). Faut le faire : t’as le droit de n’avoir plus envie à 2 h 45 le matin (rires). Ça m’est déjà arrivé ! Et c’est tellement arrivé à moi et à des amies qu’on sorte ensemble, qu’on finisse par aller chez des garçons séparément, puis de juste se ramasser ensemble à cinq heures du matin à faire comme : « On mange-tu de la crème glacée en écoutant du Céline Dion ? » (Rires.) Humm ! Vraiment shameless !
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Souvent, ce qui séduit les garçons, c’est que j’essaie pas de leur plaire. Mais toujours un peu. Mais ils ne s’en rendent pas compte. C’est vrai que je ne suis pas le genre de fille qui est au bar comme ça, puis que le gars vient comme « Hé ! »… vraiment pas. C’est vraiment plus un processus actif, je te dirais même que si c’est un gars qui vient vers moi, je vais avoir tendance à être beaucoup moins intéressée. Mais en faisant la conversation, je pense… je ne suis pas une fille à yeux doux, vraiment pas. Je suis toujours comme ça, je suis habillée comme strictement en noir, tout le temps. Et je pense qu’il y a des gars que ça intrigue aussi. « Pourquoi toi t’essaies pas de me plaire ? Pourquoi t’es pas maquillée comme toutes tes amies ? Pourquoi… es-tu aux hommes… ? » (Rires.) Mais non, non. Là j’ai les cheveux courts, mais jusqu’à il n’y a pas si longtemps j’avais de grands, grands cheveux. Et j’ai quand même des manières féminines. Mon approche vraiment sincère – je suis zéro dans le jeu de séduction –, je pense que ça plaît. Il y a des gars à qui ça fait peur, ah ça oui, tu sais, des garçons qui, au début, trouvent ça cute, le petit côté clumsy et très opiniâtre, et ma manière de m’imposer comme un homme, mais qui, dès qu’ils se rendent compte que c’est pas juste un front et que je suis vraiment comme ça, ça les repousse et ils sont comme : « Une fille c’est pas comme ça d’habitude ; c’est plus tranquille, une fille. »
Plus qu’en France, en tout cas. Vraiment. J’ai passé un peu de temps en France et tu sais, à Montréal, il y a énormément de Français. Les hommes français qui arrivent à Montréal sont choqués par les filles québécoises. Il m’est déjà arrivé d’avoir de bonnes chicanes avec des gars français qui avaient juste l’air de rien comprendre comme : « D’où tu sors ? tu es désagréable ! » (Rires.) Culturellement, les filles sont plus go-getter ici (rires). Peut-être même plus que les Américaines, je dirais. Et que les Canadiennes anglaises. Mais les Québécois, en général, on est un peu hystériques partout où on va ! (Rires.)
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J’ai été très chanceuse qu’il ne m’arrive jamais de malchance… Ah, je me suis quand même déjà fait bien réprimander par la police à Paris. Ah ça c’était drôle ! Je ne me rappelle pas où on était, mais tu sais, dans les auberges de jeunesse, tu n’as pas vraiment d’endroit pour avoir une intimité… (Rires.) Et j’avais rencontré un Néo-Zélandais, et il était cute, et il était le fun. On avait bien bu un soir. Et on restait dans une auberge de jeunesse près de la gare du Nord, mais je n’en suis pas certaine parce qu’on en avait fait trois ou quatre et je ne sais plus laquelle était laquelle. Bref, on était bien bien saouls, et on sort dans la rue, et on décide que hé ! c’est maintenant qu’on a une libido. Il nous fallait un endroit. Et on s’est ramassés dans une espèce de jardin aménagé sur une espèce de terrasse en surplomb de la rue. On s’était infiltrés là-dedans la nuit, mais tu sais c’était fermé, t’as pas le droit d’aller là, à ce que j’ai cru comprendre, parce qu’il y avait des grosses barricades. On s’est dit ici on va avoir la paix. Nous faisons ce que doit. Mais ce qu’on n’avait pas réalisé, c’est que tout autour du jardin il y avait des immeubles avec des appartements qui donnaient sur cet endroit-là… Et c’était pas silencieux ! (Rires.) Des gens ont appelé la police. On n’avait pas le droit d’être là. Des espèces d’agents qui sortaient de je sais pas où sont venus nous chercher, ils nous ont bien sévèrement chicanés. Lui parlait pas un mot de français (rires), il était juste comme : « Oh shit, oh shit », il se rhabillait, et moi il fallait que j’explique, la Québécoise complètement torchée qui essaye de se justifier, mais il n’y avait vraiment rien à justifier. Ils ont vu qu’on était juste des touristes et qu’on était cons et que c’était comme : « Oh, encore des stupides touristes à Paris qui se gèrent pas… » (Rires.) Donc ils nous ont laissés partir.
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À la faculté où j’étudie, tous les jeudis il y a des cinq à sept. Tout le monde a sa semaine dans le corps et ils servent de l’alcool machin, tous les étudiants sont là et un gars vient me voir (rires), je lui avais jamais parlé, il me dit (j’étais en train d’avoir une discussion avec quelqu’un, puis il me prend comme ça, il me met à part, j’étais comme : « Je peux t’aider ? », mais en anglais il dit :) « J’aime vraiment pas les féministes d’habitude, elles me mettent mal à l’aise, mais toi je t’aime vraiment. » Là j’étais comme : « OK… » (soupir). Il me disait : « Tu sais, moi, c’est juste que j’ai pas été souvent entouré de femmes intelligentes dans ma vie. » (Rires.) Moi j’étais là : il n’a pas de mauvaises intentions, je peux comme pas vraiment être fâchée, en ce moment je trouve que c’est probablement l’une des choses les plus connes que j’ai entendues cette semaine, mais t’es pas méchant, tu veux pas qu’on se chicane… Je savais tellement pas comment réagir, et il élaborait : « Tu sais, moi, dans ma famille… » Il me disait : « Ma blonde, c’est pas une lumière, et je suis pas avec elle pour ça non plus, je suis avec elle pour d’autres raisons… » OK… Qu’est-ce que tu t’attends à ce que je te dise ? (Rires.) « Mais non, je sais pas, c’est juste que je suis intéressé par la cause féministe, c’est comme si j’attendais juste qu’on me prouve que les femmes sont vraiment à la hauteur de ces prétentions-là… » Je me disais : « Oh là là, c’est l’incarnation de tout ce qui fonctionne mal dans le mouvement féministe et de pourquoi ça lève pas. »
Mais je pense qu’il faut faire attention aussi, faut pas se fâcher trop vite par rapport à ça, parce qu’il y a des gens qui n’ont jamais eu à revêtir leurs lunettes genrées. Faut juste les amener à le faire, et là ils font : « Ah ouais, OK. » Parce que c’est vrai que si, disons, tu es un jeune homme blanc hétérosexuel issu d’une classe aisée au Québec, il y a beaucoup de chances que pour toi l’expérience de la discrimination ne soit vraiment pas quelque chose qui t’interpelle, et c’est très facile, à mon avis, de croire que ça n’existe pas. C’est pas de ta faute, et je ne pense pas qu’il faut blâmer ces gens-là, sauf qu’il faut juste les amener à prendre conscience que c’est pas parce que toi tu ressens ou que tu ne vois pas dans la rue de la discrimination éclatante que ça n’existe pas et que l’égalité des hommes et des femmes est chose réglée.
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Assez récemment, j’ai eu une très longue période où je n’avais aucune libido. Ça ne me posait aucun problème. J’étais comme : « Je sais pas, ces temps-ci je suis peut-être dans une phase vraiment plus cérébrale. » Mais oui j’ai mon copain, et évidemment on a travaillé là-dessus bien franchement, et là c’est correct. Sauf que j’ai vraiment eu une grande passe où je me disais que peut-être c’était juste fini pour moi. Et quand je vais vouloir des enfants, bon je m’adonnerai à une activité sexuelle pour concevoir un enfant… Tout autour de moi pointait sur : « Peut-être que t’as un problème, veux-tu qu’on en parle ? » (Rires.)
Dans mon couple, c’était un peu problématique. Si j’avais été célibataire, je n’aurais pas fait le travail, je me serais dit : « Ben écoute, j’ai pas du tout envie d’avoir de relations sexuelles, surtout pas avec des gens que je vais devoir rencontrer pour ce faire… » Mais oui, j’ai fait un travail parce que la survie de mon couple en dépendait un peu (rires). Je suis chanceuse, je suis avec un garçon qui m’aime énormément et qui a été patient, mais il accorde une place particulièrement importante à sa vie sexuelle dans un couple. C’est pas le besoin de fourrer, c’est pas ça du tout. C’est juste que pour lui, dans un couple, la sexualité est centrale. Tandis que pour moi, beaucoup moins. C’est pas la privation du sexe qu’il trouvait difficile, mon copain. « C’est pas de me retenir d’aller voir d’autres filles qui est difficile, c’est que toi tu ne me laisses pas accès à toi. » En ce sens-là, le « va te soulager ailleurs » ne réglerait même pas le problème.
Force-toi pas. (Rires.) Tout sauf force-toi. C’est correct que tu prennes un temps pour y penser et ce n’est pas nécessairement vrai que ça va venir en le faisant. Se forcer à avoir une relation sexuelle, surtout quand t’es une fille, c’est tellement se faire violence que tout sauf ça, parce que si tu veux bousiller encore plus ton rapport au sexe, c’est la meilleure façon. Attends. Réfléchis. Tire les constats et vas-y tranquillement. Parles-en, mais ne t’impose pas ça. Essaie vraiment de rester autonome de cette pression, de cette culpabilité que tu peux ressentir.