Hortense (19 ans)

C’était un 14 juillet, en Bretagne, j’allais avoir seize ans. Depuis que je suis toute petite, je passe tous les étés là-bas et il se trouve que ma cousine était là. Elle a deux ans de moins que moi, mais on est très proches. Il était presque minuit. Comme il ne faisait pas très beau ce soir-là, il n’allait pas y avoir de feu d’artifice. On se promenait sur la plage et une bande de garçons nous interpelle et nous demande quel âge on a, etc. Elle avait treize ou quatorze ans à l’époque et je crois qu’elle a menti en disant qu’elle avait le même âge que moi. Moi, j’ai dit que j’avais seize ans. On n’a pas dit qu’on était cousines. Ensuite, on a commencé à parler avec deux garçons, il y en avait un assez mignon et l’autre beaucoup moins, le très mignon a très vite parlé avec ma cousine et moi j’ai écopé du beaucoup moins mignon. En fait, ce n’était pas vraiment le physique qui comptait pour moi… (Soupir.) Ce n’était pas seulement le fait qu’il n’était pas très mignon, c’était le fait qu’il n’avait pas l’air très intelligent ou très intéressant. On a parlé, et puis je ne devais pas rentrer trop tard, donc on est rentrés, et ma cousine n’habitait pas au même endroit que moi, donc le garçon mignon l’a raccompagnée et moi je me suis fait raccompagner par l’autre garçon. Au moment de se dire au revoir, près du portail, je savais que ça allait arriver et j’en avais moyennement envie, mais je me suis dit : « Ben (soupir), si ça se trouve ça vaut la peine d’essayer, et bon, on ne sait jamais… » En plus, j’avais quinze ans et la plupart de mes amies avaient déjà embrassé des garçons, donc j’étais un peu complexée là-dessus, donc je me suis dit : « Allez, laisse-le t’embrasser », donc on s’est embrassés. Je n’ai pas vraiment aimé et je me souviens qu’en fait j’ai regardé les étoiles, et puis je m’ennuyais un petit peu, donc je suis rentrée, et je crois que je l’ai revu le lendemain parce que ma cousine appréciait beaucoup le garçon mignon, elle voulait qu’on se revoie tous les quatre, donc on s’est revus le lendemain et le garçon qui m’avait embrassée a réessayé de m’embrasser, sauf que moi, en fait, je tournais la tête parce que je n’avais pas envie. Après ça, ouais, je n’ai embrassé personne pendant deux ans, j’avais un peu peur de recommencer. Mais mon deuxième baiser s’est plutôt bien passé, vu que c’était avec ma première copine. D’ailleurs, à mon sens, le premier baiser est celui qui compte le plus, donc si le premier n’a pas vraiment compté, ce peut être le deuxième. C’est pas le chiffre qui compte, c’est le moment partagé avec une personne qu’on apprécie ou même qu’on aime. Ce qui fait que, dans ma tête, c’était pas vraiment ce garçon mon premier baiser, enfin sur le papier ça l’est, mais en vérité c’était beaucoup mieux après.

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En fait, j’étais plutôt amoureuse de l’idée d’être amoureuse. Un peu comme les relations au collège : les personnes se disent « je t’aime », mais elles pensent qu’elles le pensent. Moi, en sortant avec ma première copine, je me suis rendu compte que je n’avais jamais été amoureuse avant, enfin je ne sais pas comment dire, mais… l’amour, on le sait quand on le ressent, et une fois qu’on l’a ressenti, on peut dire et on sait qu’avant ça n’en était pas.

On s’était rencontrées sur Internet, sur Twitter, et on s’était mises ensemble avant de se rencontrer, parce qu’elle habite pas trop loin de Paris mais c’était compliqué pour elle de venir, vu que c’était pendant la période du bac. Donc on s’est rencontrées au bout d’un mois, plus ou moins, et je me souviens qu’en allant la retrouver j’avais le cœur qui battait vraiment super vite. J’étais à la fois très contente et très stressée de rencontrer la personne dont j’étais amoureuse, et j’avais peur qu’elle ne me trouve pas assez bien. J’ai marché vers l’endroit où elle était et je l’ai vue, je l’ai retrouvée. Ce qui me stressait aussi, c’était que je ne savais pas si, en arrivant, on était censées s’embrasser ou se faire la bise ou se faire un câlin. Donc je me suis avancée comme pour lui faire la bise et je ne sais plus trop ce qu’il s’est passé, on s’est peut-être embrassées sur le coin de la bouche. Après, on a marché dans Paris, ça j’ai un bon souvenir de ça : on s’est pris la main et moi j’osais pas, enfin je ne savais pas trop comment on faisait, parce que c’était ma première vraie relation, et à un moment on s’est tenu la main, et du coup on a marché en se tenant la main, c’était bien. On s’est vraiment embrassées un peu plus tard dans la soirée.

Je garde vraiment un bon souvenir de cette relation, on ne s’est jamais disputées, on ne s’est vues que quelques fois mais c’était bien, et puis c’est vraiment quelqu’un de super. Ce n’est pas qu’elle a tout changé, avant elle j’avais eu plusieurs attirances pour des filles mais je ne savais pas si j’étais capable de sortir avec une fille. Enfin, surtout, je ne savais pas comment on sortait avec quelqu’un.

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Avec cette première copine, as-tu échangé de l’intimité sexuelle ?

Non, parce que moi, c’est pas un truc qui me met très à l’aise, et j’ai mis beaucoup de temps à… je sais pas comment dire ça… ce n’est pas que j’avais un blocage par rapport au sexe, mais je pense que j’avais un blocage par rapport à l’intimité. En plus, comme c’était ma première relation, je n’étais déjà pas très à l’aise quand on s’embrassait… enfin, c’était pas que j’étais pas à l’aise, mais j’étais complexée, je me disais : « Elle, elle a déjà eu d’autres personnes avant, elle a déjà embrassé d’autres personnes. Moi, c’est que la deuxième personne que j’embrasse, et si ça se trouve je le fais pas bien. » En fait, je ne pensais pas plus que ça à ce qui se passait… D’ailleurs, j’ai découvert le terme il n’y a pas très longtemps : « demi-sexuel ». Être demi-sexuel, c’est n’avoir du désir que pour des personnes qu’on connaît bien, que ce soient des amis ou la personne avec qui on sort. Parce qu’il y a des personnes, enfin je suppose qu’il y a des personnes comme ça, qui, si elles viennent de rencontrer quelqu’un, sont parfois très attirées ou ont tout de suite très envie qu’il se passe quelque chose de plus, alors que moi, ça me l’a fait que très rarement dans ma vie, et puis même, je sais pas, je n’ai pas vraiment besoin de sexe. C’est surtout le côté amoureux de la relation que j’aime bien. Je suis très contente quand on s’embrasse, parfois ça me suffit. Après, moi, j’ai jamais… ce que j’ai fait en sexe, je ne l’ai pas vraiment apprécié, mais je ne suis pas non plus assez expérimentée pour dire que j’aime pas ça. Mais pour moi c’est pas vraiment le truc le plus important, moi quand je vois quelqu’un, l’important c’est ce que la personne dégage, et ce qu’elle me fait ressentir au niveau du cœur et du cerveau. Je suis peut-être une grande romantique. Certaines personnes, si ça fait longtemps qu’elles n’ont pas couché avec quelqu’un, elles sont « en manque », alors que moi je suis très bien sans. Ça changera peut-être dans le futur, je sais pas, mais pour moi c’est pas LE truc essentiel. Pourtant, la société est basée là-dessus et les femmes, surtout, sont très sexualisées. Je trouve dommage qu’on fasse passer ça avant tout, parce qu’en plus (soupir) ça marginalise, ça met de côté les personnes asexuelles ou qui n’ont pas beaucoup de désir, ça les fait passer pour anormales. L’éducation qu’on reçoit fait qu’une fille ça va épouser un garçon et qu’un garçon ça va épouser une fille. Comme si les autres personnes n’existaient pas. Les personnes comme moi, par exemple. Je ne sais pas de quoi le futur sera fait, mais si j’épouse quelqu’un, il y a de grandes chances que ce soit une fille. Donc, je trouve dommage cette marginalisation et qu’on fasse comme s’il n’existait que des relations hétéros, alors qu’il y a tellement d’autres orientations sexuelles dont on devrait parler plus.

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J’ai déjà dit non et la personne a quand même continué. (Soupir.) Et ça je… je ne m’en suis rendu compte que récemment, ça date de l’année dernière, mais j’ai refoulé (d’ailleurs, je ne sais pas si c’était vraiment du refoulement). Je m’étais dit que je l’avais fait pour faire plaisir à la personne, ou quelque chose comme ça, alors qu’à partir du moment où on se dit qu’on fait ça pour l’autre personne, ça équivaut à se forcer. Sur le moment, c’est juste en train d’arriver, et puis, ben t’es impuissante en fait. Tu laisses le truc se faire, et après, juste après, tu te dis que tu as fait ça et qu’il a été content, donc c’est le principal, parce qu’en plus c’est ce que la société apprend aux filles : le principal, c’est que l’homme ressente du plaisir ; le plaisir des femmes, il passe au second plan. Ce n’est pas que j’en avais pas envie sur le moment, c’est que je n’avais pas envie qu’on ne m’écoute pas, qu’on fasse comme si mon consentement, mon mot à dire, n’était pas important. En matière de sexe, il y a deux personnes, on n’est pas tout seul. Bon, mais je n’y pense pas trop ; parfois j’y pense et ça me fait un peu de mal, mais c’était surtout sur le moment, quand j’ai compris que ça m’était arrivé à moi, que ça m’a fait vraiment très bizarre, parce que dans l’imaginaire collectif le viol c’est l’image de la fille qui se fait agresser dans la rue par un inconnu quand elle est jeune, alors que la plupart du temps ça n’est pas du tout comme ça, c’est quelqu’un qu’on connaissait qui l’a fait alors qu’on ne voulait pas du tout. Il y a beaucoup de cas de figure et c’est pour ça que le fait qu’on dise que si une fille vient dormir dans le lit d’un garçon c’est forcément pour ça, et qu’elle n’a qu’à pas se plaindre après si elle s’est fait violer, ça me fait sortir de mes gonds, on a le droit de dire non, on a le droit de changer d’avis, on a le droit de ne pas vouloir, on a le droit, vraiment, de changer d’avis au dernier moment ou de ne pas vouloir continuer. À partir du moment où la personne ne consent pas explicitement, à partir du moment où elle dit « non », ou qu’elle ne dit rien, ou qu’elle dit « arrête », et que l’autre continue quand même, c’est du viol. C’est dommage que la ligne soit trop floue, parce que beaucoup de personnes ont des histoires comme ça, et ne savent pas, et n’arrivent pas à dire le mot. Je n’arrive pas non plus à l’accepter. Ou bien je l’accepte un peu en me disant que c’est arrivé à la personne que j’étais et que j’ai changé depuis. On vit dans une société où le viol, c’est grave, mais où on ne fait rien pour arranger ça. On apprend aux filles à ne pas se faire violer, mais on n’apprend pas aux garçons à ne pas violer.

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Donc, je l’ai fait avec des garçons. Ça me faisait beaucoup moins peur que de le faire avec une fille. Il y avait beaucoup moins d’« enjeux », et puis le garçon c’est le « dominant ». Je n’aime pas trop ce mot, mais la plupart du temps on n’a pas grand-chose à faire (rires), et moi, c’est ça qui me faisait moins peur, je me disais : « Au moins, il y a quelqu’un qui va prendre les rênes, même si je ne sais rien faire. » Avec une fille, ça me fait plus peur d’abord parce que je préfère les filles aux garçons, il y a plus d’« enjeux ». En plus, je n’ai pas vraiment eu l’opportunité, ou plutôt c’est juste que, quand j’étais en couple avec des filles, l’envie ne s’est pas manifestée, ou bien l’envie s’est manifestée mais je n’étais pas prête, ou je n’avais pas assez confiance en moi. J’ai mis beaucoup de temps à arrêter d’avoir l’impression d’être une enfant – enfin, j’ai quand même encore cette impression parfois –, et j’ai mis beaucoup de temps à me sentir désirable ; je pense que c’est d’ailleurs venu après ma première fois… Avant cet été, avant de faire ma première fois, j’étais persuadée que je ne pourrais jamais plaire. Et puis j’en ai parlé avec des amis. Ce n’est pas que j’avais envie de faire ma première fois, mais j’avais envie de savoir comment c’était, parce que j’étais un peu la seule à n’avoir jamais testé. Surtout, je voulais plaire, je voulais pouvoir me dire : « Ouais, je peux plaire. » Ce n’était pas forcément le fait d’être désirée, parce que les garçons avec qui il s’était passé des choses, avec du recul, ça n’était pas par moi qu’ils étaient attirés, c’était par le fait de juste coucher avec quelqu’un. Cela ne m’avait pas non plus totalement dérangée, parce que je le faisais pour le faire, et ça n’était pas pour le garçon, pas parce qu’il me plaisait. C’était, allez, pourquoi pas, c’était comme pour mon premier baiser… Je ne sais même pas si c’était de la curiosité. C’était pour me convaincre moi-même que je pouvais plaire. Oui, du coup, maintenant je me sens un peu mieux dans ma peau, ce que je fais, la façon dont je m’habille, etc., je le fais pour moi. Sauf exception, si je veux plaire à une personne dont je sais, par exemple, qu’elle va être à la soirée à laquelle je vais. Mais je ne le fais pas pour le regard masculin, comme la société le voudrait. (Rires.) Ou comme la société l’imagine.