CHAPITRE 15
— Flam, oh, mon Flam !
Je glissai au sol, où je me pressai contre lui, et couvris son visage de baisers pendant que ses cheveux m’enlaçaient délicatement. Je tressaillis lorsque surgit dans ma mémoire le souvenir des mèches cruelles d’Hyto, mais je me forçai à me détendre et me laissai aller à l’étreinte de mon amant. Il m’embrassa le front, effleura des lèvres les marques de coups sur mes joues, murmura mon nom contre ma bouche. Il posa les mains sur mes épaules afin de m’écarter légèrement et me contempler. Des larmes coulaient de ses yeux couleur de glace.
— Camille, mon amour, mon seul amour. Que t’a fait mon père ? Je n’étais pas là pour te protéger, comment pourras-tu me le pardonner ? Comment puis-je même te demander de me pardonner ? (Il s’interrompit, le regard rivé sur le collier.) Non… Non… Il n’a pas osé… (Il s’écarta d’un bond et se leva.) Je le détruirai. Je le taillerai en pièces. Je lui attacherai les ailes jusqu’à ce qu’il crie grâce, puis je l’écartèlerai ! Hyto mourra après une longue et douloureuse agonie.
Lorsqu’il se tut, haletant, une odeur musquée, possessive, émana de lui, telle une aura de glace. Il tremblait et je sentais l’énergie qu’il déployait pour maîtriser sa rage.
Son mouvement de recul me fit plus mal que tout ce qu’Hyto m’avait fait subir. Je me relevai lentement et, une fois debout, plantai mon regard dans le sien.
— Mon amour, te détournerais-tu de moi à cause de ce que m’a fait ton père ?
Flam se figea, fronça les sourcils, puis la compréhension s’imprima sur son visage.
— Oh, ma douce, mon amour. Je ne me détourne pas de toi. Ne pense jamais une chose pareille. Je suis simplement hors de moi.
Il ouvrit les bras. J’avançai péniblement vers lui et me mordis la lèvre quand il m’enveloppa dans son étreinte, exerçant une pression sur mes contusions. Je n’avais aucune idée de la manière dont les dragons considéraient les femmes violées, mais je n’allais pas tarder à le découvrir.
— Il faut que tu saches… Je dois te dire… et à Trillian aussi… ce qu’il m’a fait. Et je dois enlever ce collier. (Je tirai dessus.) Je le hais. Je déteste le sentir sur ma peau. Je ne supporte pas de savoir qu’Hyto me tient encore en son pouvoir.
— Maudit soit-il, grommela Flam en examinant le collier. Il a utilisé un sort puissant. Je ne peux pas le briser, mais peut-être que… Je connais quelqu’un qui devrait en être capable. (C’est alors que mon peignoir glissa de mes épaules, attirant l’attention de Flam.) Camille, que t’a-t-il fait ?
Je reculai d’un pas en rajustant ma robe d’un geste.
— Je te le dirai, mais tu dois me promettre de garder ton calme. Je ne me sens pas en mesure de gérer davantage de stress maintenant. J’ai l’impression de marcher sur une corde raide. Je peux affronter ce qui s’est passé, mais uniquement avec votre soutien.
— Assieds-toi, déclara Trillian à Flam en tapotant le canapé à côté de lui.
Trillian me comprendrait. Durant la guerre civile dans ma cité natale, il avait été capturé et violé par des soldats ennemis. Il avait réussi à s’échapper, non sans les avoir au préalable éviscérés. Mais il avait eu affaire à des Fae. Mon agresseur était un dragon.
Tandis que Flam se dirigeait vers le sofa, la porte de la chambre s’ouvrit et Hanna jeta un coup d’œil par l’entrebâillement. Quand son regard se posa sur Flam, elle hurla et s’effondra au sol en se couvrant la tête.
Je me précipitai vers elle, maudissant chacun des pas que j’avais à effectuer.
— Tout va bien, Hanna, ce n’est pas Hyto. (M’agenouillant à son côté, je la pris dans mes bras.) C’est Flam, le fils d’Hyto. Mon mari. Il ne vous fera pas de mal.
En nous regardant nous blottir l’une contre l’autre à terre, Flam laissa échapper un grognement furieux, le visage empreint de culpabilité.
— Mon père… C’est mon père la cause d’une telle terreur.
— Hyto a capturé Hanna après avoir tué son mari et a enfermé son fils dans une cage pendant cinq ans. Dans ce laps de temps, il a assassiné plus d’une vingtaine de femmes. Hanna devait nettoyer ensuite. Il la forçait à baigner ses victimes puis les conduire à leur propre mort en faisant peser sur elle la menace de torturer son fils.
— Raconte-nous ce qu’il t’a fait, déclara Flam en m’invitant à me relever d’un geste. Montre-moi ce que mon père t’a fait subir.
Son regard exprimait une profonde gravité.
Pendant que je me redressais lentement, Delilah aida Hanna à s’installer sur un fauteuil. Ravalant ma honte, je laissai tomber mon peignoir, puis fis glisser les bretelles de ma chemise de nuit sur mes épaules.
Flam et Trillian avaient les yeux rivés sur mon corps nu. Je savais qu’ils contemplaient les marques de coups sur mon estomac, mes cuisses meurtries couvertes d’hématomes violacés, ma peau écorchée, à vif. Je pivotai lentement et écartai mes cheveux afin d’exposer les morsures de fouet profondément imprimées dans ma chair et l’empreinte de botte qu’avait laissée le coup de pied d’Hyto sur mon flanc.
Le dos tourné, mon regard fixé sur le mur, je commençai à parler :
— Hyto m’a violée… en me faisant aussi mal qu’il le pouvait, de toutes les manières possibles. Il cherchait à me faire souffrir. Il m’a frappée, m’a utilisée comme un objet, m’a forcée à lui faire une fellation, à ramper au sol comme un ver en l’appelant « maître ». Et il m’a traînée derrière lui comme un chien.
J’énumérai ses crimes comme les éléments d’une liste de courses. Me détacher de ce qui s’était passé m’aidait à supporter les souvenirs qui ne cessaient de se bousculer dans mon esprit. En me tournant pour leur faire face, j’ajoutai :
— Hyto m’a appris ce qu’était la peur. Je veux qu’il meure.
Soutenant leurs regards, je m’efforçai de me tenir droite et de refouler les émotions qui déferlaient en moi. En voyant les larmes ruisseler sur les joues de Delilah, je me rendis compte que les miennes avaient tari. J’avais trop pleuré. Je ne ressentais plus à présent qu’une rage incandescente qui enflait en moi.
— Je veux qu’il meure, et je veux qu’il souffre, autant que ce qu’il m’a fait souffrir. Autant qu’il a fait souffrir Hanna et ses autres victimes.
Trillian se glissa à ma gauche, Flam à ma droite. Ils se mirent à genoux et me prirent chacun une main.
— Oh, mon amour, nous nous en chargerons, murmura Trillian. Je te jure que je ne connaîtrai pas le repos tant que ce monstre ne sera pas détruit.
Flam se contenta de hocher la tête.
— Trillian a raison, affirma-t-il d’un ton abrupt. Je te donne ma parole, mon amour. Mon père paiera ses crimes de sa vie, et sa mort n’aura rien d’agréable.
— Dans ce cas, mieux vaut commencer à élaborer un plan, car nous devons aussi secourir Chase, affirmai-je. Je refuse qu’il erre seul dans l’astral alors que je suis capable de l’aider. Je ne veux pas qu’Hyto m’empêche d’accomplir mon devoir. Et si ce que m’a dit Hurle est vrai, Hyto me retrouvera grâce à ce collier. Il faut que je l’enlève. Si je dois pour cela arracher son cœur encore palpitant de mes propres mains, je le ferai.
Sur ces paroles, mes époux – bénis soient-ils – s’inclinèrent pour déposer un baiser sur mes paumes. Et je sus qu’ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour détruire notre ennemi.
Sharah nous emmena dans la chambre, Hanna et moi, afin de nous examiner et soigner nos plaies.
— Tu sais ce qu’il y a d’intéressant là-dedans ? demanda-t-elle en inspectant mon dos.
— Je ne vois rien d’intéressant, personnellement.
Je ne me sentais pas d’humeur particulièrement bavarde.
— Tu vas changer d’avis. Tes tatouages sont alignés avec plusieurs marques de coups, mais aucun n’a été touché. Il paraît évident que le fouet s’est abattu sur eux, mais ils ne portent aucune trace, aucune plaie.
Je levai la tête.
— Vraiment ?
— Je t’assure, affirma-t-elle en suivant du bout du doigt l’entrelacs de lignes imprimées dans mon dos. Ces blessures guériront. Tu garderas des cicatrices, mais je crois que je pourrai minimiser la plupart d’entre elles. Par contre, tu auras besoin de repos.
— Je me reposerai quand Hyto pourrira en enfer. Nous avons un dragon à tuer, et il nous faut aussi retrouver Chase.
Je lui rapportai ensuite ce dont je me souvenais de ma rencontre avec l’inspecteur dans l’astral. Elle eut beau s’efforcer de conserver une attitude professionnelle, je remarquai le soulagement qui traversa son regard.
— Il me manque tellement… Mais Camille, tu dois vraiment te reposer. Je peux protéger tes plaies avec des pansements, mais si tu les sollicites trop, elles risquent de se rouvrir et de laisser des marques…
— Bon, eh bien, allons-y pour les marques, alors. Si Menolly peut vivre avec ses cicatrices, moi aussi. Et si je garde vraiment des balafres, elles me rappelleront qu’aucun homme ne me touchera plus jamais comme ça, qu’il soit dragon, démon ou autre. Il faut que je sorte à nouveau. Je dois voir Hyto mourir. Si je commence à me cacher dans la maison, je ne serai plus jamais capable d’affronter l’extérieur. Tu me comprends ? (Me tournant vers elle, je lui agrippai le poignet.) Hyto m’a appris à avoir peur comme jamais, jamais ça ne m’était arrivé. Si je ne surmonte pas cette terreur, il ne me restera rien. Je n’ai pas la force de Menolly ni les capacités d’athlète de Delilah. Tout ce que j’ai, c’est une poignée de sorts dont certains ne fonctionnent que quand ils en ont envie. Je ne peux pas me laisser abattre. Si je me terre dans ma chambre, Hyto aura gagné. Je dois exorciser ce monstre de mon esprit, le faire sortir de ma tête.
— Laissez-la faire selon sa volonté, déclara Hanna en se levant. Camille est une jeune femme courageuse. J’étais persuadée qu’Hyto la tuerait la première nuit, mais elle a résisté à son traitement et a même réussi à le mettre dans un état de rage dans lequel je ne l’avais encore jamais vu. Si elle est parvenue à descendre de la montagne avec toutes ces blessures, elle supportera un nouveau combat. (Elle se tourna vers moi.) Vous rendriez notre peuple fier si vous faisiez partie des nôtres. Vous êtes une guerrière, sinon de corps, du moins d’esprit. Et l’esprit s’avère souvent plus fort que les muscles.
— Tu feras comme tu voudras, bien sûr, soupira Sharah. De toute façon, c’est toujours comme ça, avec vous trois. Très bien, mais laisse-moi au moins te donner un antalgique. J’en ai conçu un que ton organisme acceptera.
— Ça ne me mettra pas KO ? la défiai-je en la regardant droit dans les yeux.
Entourée de ma famille, de Trillian et de Flam, je sentais mon courage revenir et j’avais envie de les rendre fiers de moi, de me rendre moi-même fière de moi. Je voulais prouver qu’aucun pervers ne pouvait me soumettre à sa domination. Le souvenir d’avoir rampé aux pieds d’Hyto était bien plus douloureux que les coups de fouet dans le dos ou tout ce qu’il avait pu me faire subir.
— Il faut que je sois alerte.
Sharah hocha la tête. Quelque chose me disait qu’elle savait ce que je pensais et me comprenait.
— Ce médicament te permettra de conserver tous tes réflexes tout en en atténuant la douleur, comme les onguents que j’ai passés sur tes plaies.
— Alors, je l’accepte avec gratitude. (Je lui adressai un sourire et elle se pencha pour m’étreindre comme l’aurait fait une sœur.) Tu crois qu’Hyto aurait pu me transmettre une maladie en…
— Tu as beaucoup de contusions, commenta Sharah d’un air soucieux. Je peux te donner une potion qui traitera toutes les infections éventuelles. Je n’ai jamais eu l’occasion de soigner un dragon pour des blessures, encore moins pour une MST, alors je ne saurais pas vraiment te répondre.
— Je préfère ne pas poser la question à Flam, ça ne ferait que lui rappeler ce que son père m’a fait. Nous a fait. Mais je ferais mieux de prendre cette potion, au cas où. (Je donnai un coup de pied au sol et grimaçai quand le choc se répercuta dans les muscles de ma jambe.) Saleté de démon.
— Nous avons tous nos démons, le tien est juste particulièrement gros, murmura-t-elle tandis que je buvais le liquide rose contenu dans la bouteille qu’elle venait de me confier. Ça apaisera la douleur. Et si tu as besoin de parler, je suis là. Tu le sais, n’est-ce pas ?
— Si Hyto est mon démon, il va avoir la surprise de se retrouver du mauvais côté de la fourche, dis-je doucement.
Quand Sharah m’eut soignée, elle s’occupa d’Hanna, et je rejoignis les autres dans le salon. Delilah me fit signe de l’accompagner dans la cuisine. Après avoir réussi à convaincre Flam et Trillian que je m’en sortirais sans eux, je la suivis dans la pièce agréable et chaleureuse.
Lorsque je m’assis en grimaçant sur l’une des chaises patinées, elle déposa un sandwich devant moi.
— Tu dois reprendre des forces. Mange encore un peu.
— D’accord, chef, répliquai-je en m’emparant du sandwich.
Beurre de cacahouète et confiture ? Depuis quand Flam aimait-il le beurre de cacahouète ?
Elle s’installa en face de moi et, sous son regard appuyé, je sentis ma réserve s’effriter.
— Camille, de quoi as-tu besoin ? Tu as toujours été là pour nous, maintenant c’est notre tour. Demande tout ce que tu veux.
Elle se pencha sur mes chips et en porta une à mes lèvres. J’ouvris docilement la bouche et réfléchis à sa question en mâchant. De quoi avais-je besoin ? J’étais tiraillée entre abattement et fureur.
Je poussai un soupir et reposai le sandwich tandis que Delilah se levait pour me verser un verre de lait.
— De quoi j’ai besoin ? Ce dont j’aurais besoin, c’est que rien de tout cela ne soit arrivé, mais c’est arrivé, et il faut que je trouve le moyen de le surmonter. Mes émotions font le grand huit. Je n’ai pas eu le temps d’analyser ce qui s’est passé. Hyto… Il m’a humiliée, Delilah. Je suis capable de supporter beaucoup de choses, mais ça, non. Il m’a privée de ma dignité et m’a blessée.
— Comment vas-tu gérer ce que… ce qu’il t’a…
Je haussai les épaules.
— Dans le viol, le rapport de domination est plus important que le sexe. Je le sais, et je refuse de le laisser détruire ma passion. Il ne me prendra pas ça. Mais la douleur, les coups… Je n’avais jamais expérimenté de telles souffrances, et tu sais pourtant que j’en ai eu mon compte depuis que nous sommes arrivées sur Terre. Je ne suis pas aussi rapide ni aussi forte que toi et Menolly. La douleur m’a terrorisée.
Delilah garda le silence quelques instants puis se pencha en avant.
— Tu t’en sortiras. C’est ta nature, Camille. Mais chaque fois que tu auras envie de vider ton cœur, nous serons là pour toi. Si tu as besoin d’aller crier dans la forêt ou tabasser un stupide troll, on trouvera ce qu’il te faut pour que tu puisses te défouler.
Je pris une grande inspiration puis relâchai mon souffle en frissonnant.
— Je croyais avoir déjà rencontré le mal, mais il est aussi cruel que l’était Karvanak, en moins raisonnable et bien plus dangereux. C’est un sadique. Il se repaît de la souffrance des autres. Et il est profondément jaloux de Flam.
— C’est triste qu’un père ne soit pas capable de se réjouir du bonheur de ses enfants, soupira Delilah avant de marquer une pause, les sourcils froncés. Au moins, Flam n’a pas tué Vanzir. On pensait vraiment qu’il allait le réduire en miettes mais, quand on a découvert que tu avais été capturée, il est devenu fou. Il se sent totalement responsable de ce qui s’est passé. S’il ne t’avait pas crié dessus et demandé de sortir de la maison, tu ne serais pas allée dans les bois et n’aurais pas été enlevée.
— J’ai déjà eu une discussion à ce sujet avec Vanzir. Flam devra dépasser sa culpabilité. Je n’ai pas l’énergie d’apaiser ses craintes et nous ne pouvons de toute manière rien changer. L’important, c’est que nous restions unis. J’ai remarqué qu’ils se trouvaient tous les deux dans la même pièce et, pour l’instant, il n’y a pas eu d’effusion de sang. C’est plutôt bon signe.
Je terminai mon sandwich et fis jouer les articulations de mes doigts à l’exception de celles de mon auriculaire maintenu par une attelle. Hormis ma phalange fracturée, mes mains constituaient l’unique partie de mon corps qui ne me faisait pas souffrir. Cela dit, le médicament de Sharah avait accompli des merveilles et la douleur avait presque disparu, tout comme la fatigue et la sensation de nausée. J’ignorais ce que contenait au juste cette petite fiole, mais pour moi, c’était un produit miracle.
— Nous devons partir à la recherche de Chase dans l’astral. Apparemment, il est capable de repérer mon champ d’énergie. Nos auras vibrent de la même manière. Je crois qu’il finira par avoir des pouvoirs magiques intéressants.
— Tu es sûre d’avoir la force d’y aller ? questionna Delilah avec un regard sceptique.
— Il faut que je m’occupe si je ne veux pas devenir folle. Je ne peux pas rester assise là indéfiniment à me morfondre en attendant qu’Hyto vienne me trouver. Allons demander à Flam s’il peut nous y emmener. (Repoussant ma chaise, je baissai les yeux sur ma chemise de nuit et mon peignoir.) Je ferais peut-être mieux d’aller m’habiller d’abord, hein ?
Delilah éclata d’un rire qui résonna agréablement à mes oreilles.
— Effectivement, je crois que ce n’est pas vraiment une tenue de combat.
— C’est toi qui le dis. (Plaquant un sourire sur mes lèvres, je la suivis dans le salon.) Je garde toujours quelques vêtements ici au cas où on viendrait y passer la nuit. Attends-moi, je reviens tout de suite.
En entrant dans la chambre, je découvris Hanna dans le lit, profondément endormie. Sharah m’invita à approcher d’un geste.
— Elle est sous-alimentée, épuisée, et souffre d’asthme aigu. Je lui ai donné des médicaments, mais elle devra se reposer pendant au moins deux semaines.
Je hochai la tête avant de fouiller en silence dans mon placard, d’où je sortis une jupe, un bustier et une veste. Je regrettais de ne pas avoir la corne de la licorne avec moi. C’était l’unique obstacle qui permettrait de tenir Hyto à distance jusqu’à ce que nous l’ayons tué.
Quand je retournai dans le salon, les autres discutaient de l’endroit le plus approprié pour approcher Hyto. D’un signe, je demandai à Delilah de lacer mon corset.
— Tu es sûre que c’est bien raisonnable ? Ce bustier est serré.
À l’instant où elle tira sur les lacets, je laissai échapper un cri de douleur.
— Ça me fera du bien, j’en ai parlé avec Sharah. Ça permettra de maintenir ma cage thoracique, même si ça frotte un peu contre les marques de fouet dans mon dos. (Je lui montrai mon auriculaire.) En revanche, seul le temps pourra arranger l’état de ce petit bonhomme.
Vêtue de mes propres habits, entourée par ma famille, je commençai à me détendre un peu. Il me faudrait du temps pour guérir mais, en regardant les visages de mes proches présents dans la pièce, je sus qu’avec leur aide, je me remettrais vite.
— Chase me semblait plus fort que jamais. Il n’avait aucune idée de la manière dont il avait atterri dans l’astral, mais il était bien là, en chair et en os.
Delilah poussa un profond soupir.
— Flam est le seul parmi nous capable de se rendre dans l’astral. Il ne peut pas tous nous emmener. Si seulement Roz était là…
— Je peux prendre trois personnes, déclara Flam. Soit Delilah, Camille et Trillian. Vanzir…
Il s’interrompit en dardant sur le démon des yeux d’une froideur glaciale. Celui-ci soutint son regard, sans toutefois le défier.
— La trêve est-elle encore valable ?
Fini les conneries. Je me levai.
— Bon, tous les deux, écoutez-moi. Je ne veux pas avoir à le répéter. J’en ai assez de me sentir responsable de l’hostilité qui règne entre vous. Alors, arrêtez ça tout de suite. Terminé. Plus de bagarre. Ce qui s’est passé entre Vanzir et moi s’est passé, point. Ça n’aurait pas dû, mais c’est comme ça. Nous en avons tous les deux subi les conséquences. Ça suffit. Il a été privé de ses pouvoirs et j’ai dû servir de jouet à Hyto. Nous avons tous les deux souffert, alors Flam, tu dois arrêter ça. Tu dois arrêter. (Flam crachota quelque chose, mais je secouai la tête.) Non, non, non. Je veux que vous vous serriez la main et que vous vous présentiez des excuses.
Vanzir poussa un profond soupir.
— Les excuses ne me viennent pas facilement, mais je suis désolé pour tout ce qui est arrivé. Je suis surtout désolé pour Camille. C’est elle que j’ai blessée. Cela dit, Flam, je te demande pardon également. Je suis prêt à faire tout ce qu’il faudra pour que nous soyons de nouveau du même côté.
Je me tournai vers mon dragon.
— J’attends, dis-je en tapant du pied.
J’en avais vraiment assez de ces disputes mesquines.
Flam leva les yeux au ciel.
— Tout ce que tu voudras, mon amour. Vanzir, je retire mes menaces ; je ne te démembrerai pas. Mais rappelle-toi bien : une fois, c’était un accident. La deuxième fois…
— Oui, oui, je sais, le grand méchant dragon me mettra en pièces, rétorqua Vanzir en balayant ses avertissements d’un geste, mais ensuite, son regard se posa sur moi et son expression se fit plus grave. Je suis désolé. Je viens de me rendre compte…
Je me mordis la lèvre. Je devais faire un choix. Soit je laissais toute cette histoire m’entraîner vers l’abîme, soit je me battais. Et indépendamment des sentiments que mon père nourrissait à mon égard à présent, j’étais née fille de soldat et avais été élevée comme telle. Ce sens de l’honneur ne m’avait pas quittée. Je n’avais pas le temps de me complaire dans mon malheur. Il faudrait que j’attende une pause si je voulais revisiter l’enfer.
— Bon, bougeons-nous, maintenant. Jusqu’à ce que nous ayons déterminé quoi faire au sujet d’Hyto, ne changeons rien à nos habitudes, à part que je devrai rester ici. Avec ce collier, le père de Flam pourra me retrouver dès qu’il aura décidé de venir m’achever, et je refuse de mettre notre maison en danger.
— Autant diriger toutes les opérations depuis le tumulus pour le moment, proposa Delilah. Menolly peut dormir ici la journée. Aucune chance que le soleil pénètre jusqu’au fond de la caverne. Nous n’avons qu’à demander aux squelettes d’Asteria de monter la garde devant chez nous. Il vaudrait mieux que tout le monde emménage ici entre-temps, au cas où Hyto voudrait détruire notre maison par dépit.
— Si tu penses que c’est mieux ainsi, cédai-je en fronçant les sourcils.
Flam approuva d’un hochement de tête.
— Il y a des galeries en bas où Menolly et Maggie peuvent se cacher. En fait, je dispose d’une zone aménagée bien éclairée dans les étages inférieurs de la grotte que les rayons du soleil n’atteignent jamais. Elle ne se voit pas d’ici.
— Alors, il faut tout de suite appeler Iris pour qu’elle se mette en mouvement. (Un souci de moins sur ma liste.) Pendant ce temps, Flam, Trillian, Delilah et moi partons à la recherche de Chase dans l’astral. Vanzir, rentre avec Shamas à la maison et aidez Iris à tout préparer. (Me levant, je me tournai vers Sharah.) Est-ce que tu peux rester avec Hanna ? Je ne voudrais pas qu’elle panique en se découvrant toute seule ici à son réveil.
— Pas de problème. C’est plutôt calme au QG, en ce moment.
Après une courte pause, elle murmura :
— Quand vous trouverez Chase… Dites-lui que… je l’attends.
Delilah poussa un léger soupir.
— Je le lui dirai, Sharah. Je sais que ça lui fera plaisir.
Et voilà. J’étais repartie, avec mon doigt cassé et mon corps meurtri. Mais cela faisait du bien de reprendre l’action. J’avais reçu assez de coups ; à mon tour d’en donner, à présent.