CHAPITRE 5
Trillian se plaça derrière moi, m’enlaçant la taille, et fit courir sa main sur ma peau, provoquant des frissons sous ses longs doigts fins. Je poussai un profond soupir et reposai la tête contre sa poitrine, me laissant aller au plaisir de ses caresses.
Je comprenais parfaitement Trillian, comme tous mes maris, grâce au rituel de symbiose de l’âme. Nous étions tous les quatre unis par des liens qui dureraient éternellement, au-delà du temps, au-delà de la mort. Mais Trillian était mon mâle dominant, le premier homme que j’avais vraiment aimé. Pas le premier avec qui j’avais couché, mais le premier dont j’étais tombée amoureuse. Nous étions attirés l’un vers l’autre comme des aimants depuis le premier jour et avions défié nos familles et coutumes pour être ensemble.
Il souffla tout doucement dans mon oreille pour me chatouiller, jusqu’à ce que j’éclate de rire et tente de le repousser.
— Arrête. (Il n’avait fait que murmurer, mais son intonation autoritaire m’incita à laisser retomber ma main.) Ce soir, je veux te posséder. Je veux être ton maître.
— Tu es mon alpha, acquiesçai-je d’une voix grave et voluptueuse trahissant la passion qui s’insinuait en moi à la manière d’un vin sucré ou d’un cognac brûlant.
Alors que je m’abandonnais à Trillian, le désir se mêla peu à peu à la fatigue pour former une sensation délicieuse.
— Danse pour moi, mon amour, m’intima-t-il.
Il desserra son étreinte avant de se diriger vers le lit où il s’assit penché en arrière, jambes croisées, pour me regarder.
Je mis la musique et attendis que mon cœur batte en rythme avec les puissantes pulsations. Je commençai lentement à onduler des hanches au son des percussions et remontai mes mains le long de mon corps, puis pris mes seins dans le creux de mes paumes. Cédant totalement à la mélodie, je tournoyai, faisant voler ma jupe autour de moi, tout en me caressant le buste, les seins, avant de lever les bras vers les étoiles.
Continuant à balancer légèrement le bassin, je penchai la tête en arrière afin de laisser mes cheveux retomber en cascade dans mon dos. Je fusionnais avec la musique, bougeais en cadence avec elle, épousant son rythme qui m’emportait sur un chemin ténébreux bordé de roses rouge sang et de jasmin de nuit. L’instant d’après, j’étais en soutien-gorge. Mes seins oscillèrent doucement quand je les libérai.
Quand Trillian poussa un petit soupir, je plongeai mon regard dans le sien, attirée vers lui comme un papillon de nuit vers la lumière.
— Je veux te baiser, te prendre vite et fort, murmura-t-il. Je veux sentir ma bite dans ta bouche. Je veux te dévorer, t’entendre crier, frotter mon visage contre tes seins.
Ces mots, crus sans être vulgaires, me firent frémir. J’adorais que mes hommes me disent ce qu’ils avaient envie de me faire.
À cet instant, la porte s’ouvrit, et Flam pénétra dans la pièce. Je pivotai aussitôt vers lui, prête à les laisser jouer avec moi comme avec une harpe, un tambour, un instrument de plaisir.
Il jeta un coup d’œil à Trillian, puis reporta son regard sur moi tandis que des mèches de sa chevelure venaient s’enrouler autour de mon poignet, serrant si fort que je n’aurais pas pu me libérer, même si je l’avais voulu. Il esquissa un léger sourire, relevant juste assez le coin de ses lèvres pour me rappeler qu’en dépit de son apparence humaine, c’était un véritable dragon, avide et possessif.
De ses cheveux, il m’écarta les bras puis guida mes mains derrière ma tête, où il les maintint avec fermeté. Mes hanches ondulaient toujours au son langoureux de la musique qui résonnait dans la chambre.
Un nouveau morceau débuta, m’entraînant cette fois dans une clairière où les mèches de Flam, entortillées autour de mes pieds, me firent tourbillonner. Puis je fus de nouveau libre et suivis le chemin semé de miettes de pain que les notes jouaient pour moi. Flam alluma des bougies avant d’éteindre la lumière, plongeant la pièce dans une semi-pénombre.
Sans m’en rendre compte, je descendis la fermeture Éclair de ma jupe, que je laissai glisser au sol. Nue, les yeux fermés, je continuai à danser, oubliant mes soucis, mes angoisses, autorisant le feu de la musique à nettoyer et purifier mon corps.
Quand je sentis un bras m’enlacer la taille, j’ouvris brusquement les yeux et rencontrai le regard de Trillian. Il virevolta avec moi à travers la pièce, à son tour porté par la mélodie et, alors que les accords se faisaient plus sensuels, il laissa échapper un grondement rauque et arracha sa chemise.
Sa peau d’un noir de jais scintillait sous la lumière. Son extraordinaire beauté parvint une nouvelle fois à me couper le souffle. Il était mince mais bien bâti, avec une taille parfaitement dessinée. Une fine couche de transpiration luisait sur ses muscles. Me plaquant lascivement contre lui, je lui léchai le cou, puis lentement, très lentement, je descendis, me délectant de la saveur salée de sa peau et des gouttelettes qui fondaient sur ma langue à proximité de son bas-ventre.
Je m’agenouillai devant lui et, d’un geste précis, j’ouvris sa ceinture et l’ôtai sans me hâter avant de la jeter. Lorsqu’il baissa la fermeture Éclair de son jean, je glissai le pantalon le long de ses jambes, dévoilant son sexe dressé, palpitant de désir.
Sentant Flam se presser contre mon dos, je me tournai vers lui. Il s’était déshabillé et ses longs cheveux voletaient autour de lui, comme balayés par le vent. Les mèches argentées flottaient dans une direction, puis dans une autre, dansant en rythme avec la musique. Prise entre le feu et la glace, je fermai la main sur le membre bandé de Flam et me penchai pour semer des baisers sur toute sa longueur.
Flam rejeta la tête en arrière et poussa un gémissement tandis que ses cheveux s’agitaient en tous sens. Le maintenant toujours fermement dans ma paume, je me tournai vers Trillian et fis glisser mes lèvres sur son gland, dont les sécrétions salées me chatouillèrent la langue. Je connaissais mes amants de manière intime, intérieurement comme extérieurement. J’adorais le goût de leurs corps, le contact de leur peau, sentir leur virilité s’enfoncer en moi, me combler, me faire oublier jusqu’aux démons qui hantaient mes pensées.
Quand je me mis à sucer l’extrémité enflée de son sexe, Trillian frémit. Je me baissai peu à peu jusqu’à me retrouver à quatre pattes devant lui tout en faisant serpenter ma langue sur son érection, ouvrant la bouche de manière à le prendre plus profondément en moi. Je l’avalai lentement, millimètre après millimètre. Inspirant par le nez, j’accordai le rythme de ma respiration à celui des pulsations langoureuses de la musique pendant que Trillian commençait à donner de légers coups de reins, allant et venant entre mes lèvres.
Soudain, je sentis Flam s’agenouiller derrière moi et m’effleurer la taille du bout des doigts avant de descendre vers mon intimité, qu’il titilla, caressa, m’emportant sur ses ailes de dragon dans un tourbillon de délices. Je laissai échapper un gémissement étouffé quand mon pâle chevalier plongea en moi son membre gorgé de vie et de désir.
Alors que Flam s’enfonçait davantage en moi, les accords enjoués d’un nouveau morceau résonnèrent à nos oreilles et, envoûtée par les notes de flûte, je fermai les yeux et promenai ma langue sur le sexe de Trillian, l’éclatante noirceur de sa peau formant un contraste saisissant avec mon teint diaphane.
Une lueur flamboyante embrasa sa cuisse, révélant l’espace d’un très bref instant l’un des tatouages en spirale gravés dans sa chair – comme dans la mienne – depuis notre mariage. Même si les volutes argentées n’avaient brillé que le temps d’une vision fugace, je savais qu’elles n’avaient pas disparu. Le lien que nous avions forgé cette nuit-là dans le temple ne se romprait jamais ; nous étions unis non seulement par le rituel de symbiose de l’âme, mais également par le rituel d’Eleshinar.
Flam m’agrippa par la taille pendant que ses cheveux prenaient le relais de ses mains. Quelques mèches argentées s’insinuèrent entre mes seins avant de s’entortiller autour de mes tétons, tandis qu’une autre entreprenait d’agacer mon clitoris en cadence avec la musique, me plongeant dans une voluptueuse torpeur.
Oubliant toute fatigue, je m’abandonnai aux mouvements de notre trio qui ne formait à présent plus qu’un seul être bougeant au rythme de la mélodie, nimbé d’une aura de plus en plus brillante à mesure que la passion s’intensifiait.
Trillian se retira doucement de ma bouche avant de s’allonger au sol, et je commençai à me frotter contre lui pendant que Flam enserrait mes seins de ses cheveux, ménageant un creux parfait pour l’érection de Trillian. Mes tétons glissaient sur le corps du Svartan à chacune des poussées que m’imprimait Flam tandis que nos ébats emplissaient la pièce d’une odeur musquée.
Sur ma peau perlaient des gouttelettes de transpiration qui formaient un filet avant de s’écraser sur le ventre de Trillian. S’accordant au tempo de la musique, le rythme de nos mouvements s’accéléra. Les va-et-vient de Flam s’intensifièrent en même temps que les caresses de ses cheveux, m’arrachant des gémissements haletants. Les yeux fermés, je me pressai davantage contre le sexe de Trillian, qui glissait entre mes seins à une cadence effrénée. Une légère brume commença à se former au sol tandis que se mêlaient la froideur glaciale de Flam, mes rayons de lune et le feu sombre de Trillian.
Regrettant l’absence de Morio, je tendis mon esprit vers lui, vers le lien qui nous rattachait les uns aux autres, et je le sentis là, en limite de notre union. Quand il m’entendit, il me répondit en envoyant son énergie tournoyer avec la mienne, jouant avec elle. Je m’enroulai autour de lui, touchai son essence, caressai son aura. Flam et Trillian se joignirent bientôt à notre tourbillon, nous soutenant tous les deux et guidant Morio.
À cet instant, je remarquai à quel point il était fatigué, vidé de sa force vitale. Et le changement opéré par le sang de Menolly était également apparent. Son côté Yokai, son démon intérieur, flamboyait d’une vigueur nouvelle.
Aidée de Flam et Trillian, je me concentrai sur Morio afin de l’entraîner dans les flammes de notre passion. Je sentis le rythme de sa respiration s’accélérer quand je me lovai contre lui pour fusionner avec son esprit puis, alors que l’orgasme montait en moi, je m’agrippai à mes trois amants, qui m’emportèrent à toute allure, comme des étalons enlevant leur reine.
Mon corps ruisselait de sueur. Embrasée par les coups de reins de Flam et les caresses musquées de Trillian entre mes seins, je tins fermement contre moi les esprits de mes maris et plongeai dans l’abîme, dans ce gouffre noir qu’est la petite mort *1.
Cette nuit-là, je dormis comme une morte. Ou, du moins, comme les morts que Morio et moi ne chassions pas de leur tombe. Quand je me réveillai, Flam et Trillian avaient déjà quitté ma chambre. Ma chemise de nuit et mon peignoir étaient étendus au pied de mon lit, trois roses rouges délicatement posées sur la soie. J’esquissai un sourire. Ils me témoignaient souvent ce genre de tendres attentions – en général des fleurs ou du parfum –, et je me sentais vraiment aimée.
Je me glissai hors du lit et, toujours incapable de me réchauffer, je pris une longue douche brûlante, puis enfilai une jupe chaude en rayonne et un bustier jacquard vert foncé, par-dessus lequel je choisis de passer un chemisier transparent en soie en pied de nez au temps hivernal. Après avoir mis des talons aiguilles, je me brossai les cheveux et disposai les roses dans un vase élancé rempli d’eau que je plaçai sur ma table de nuit. Je m’imprégnai une dernière fois de leur parfum capiteux avant d’aller rendre visite à Morio.
Il était plongé dans un profond sommeil, aussi ressortis-je de sa chambre sur la pointe des pieds et descendis-je l’escalier.
Je trouvai Delilah et Iris assises dans la cuisine.
— Où sont les autres ? demandai-je.
Menolly dormait, bien entendu, mais la maison me semblait étrangement silencieuse.
— Flam et Trillian sont dehors, en train de réparer une fuite sur le toit, répondit Iris en me tendant une assiette garnie de gaufres, de bacon et d’œufs brouillés. Morio dort. Il a l’air de bien se reposer aujourd’hui, ça lui fait du bien.
— Il dort toujours, je suis passée le voir avant de descendre.
Je pris une chaise et arrosai les gaufres de sirop d’érable. Je recueillis les dernières gouttes au goulot à l’aide de mon doigt, que je léchai avec gourmandise.
— Et Shade ? Et Roz ? (Je marquai une courte pause.) Et Vanzir ?
Delilah se racla la gorge.
— Shade est sorti. Pour être honnête, je ne sais même pas où il est. Il est parti tôt ce matin.
— Rozurial est dehors, en train de jouer dans la neige avec Maggie, déclara Iris avant de se mordre la lèvre. Apparemment, Vanzir a décidé de passer un peu de temps dans le réseau démonique pour tenter de recueillir des informations sur les sceaux spirituels restants. (Elle m’adressa un regard appuyé.) Il faudra bien que tu gères ce problème à un moment ou à un autre. Quand comptes-tu raconter à tes maris ce qui est arrivé ?
— Je ne sais pas, jamais ? marmonnai-je.
Je n’avais vraiment pas envie d’avoir cette conversation. Trillian et Morio encaisseraient le choc, mais Flam… Je ne voyais pas comment je parviendrais à l’empêcher de sauter sur Vanzir.
Vanzir, un démon chasseur de rêves, avait fini par se nourrir de ma force vitale lors de la dernière crise que nous avions dû affronter. Contraint par sa nature, il n’avait pas réussi à se maîtriser, en dépit de tous ses efforts.
Je n’avais pas eu d’autre option pour l’arrêter que le baiser. C’était une issue que je n’avais vraiment pas prévue, mais c’était toujours mieux que le laisser siphonner mon énergie, ce qui se révélait extrêmement douloureux et constituait une agression encore plus intime que le viol.
Mais allez essayer de faire comprendre ça à Flam… Je savais qu’il ne dirigerait pas sa colère contre moi, mais j’étais moins sûre qu’il laisse Vanzir en vie. La Mère Lune avait déjà puni le démon en le privant de ses pouvoirs. Elle lui avait également retiré le lieur d’âmes qui faisait de lui notre esclave. Il avait donc recouvré la liberté, mais ne bénéficiait plus d’aucune protection, un châtiment bien pire que tout ce que j’aurais pu imaginer.
— Je leur parlerai dans un jour ou deux, déclarai-je finalement en repoussant mon assiette. Mais d’abord, nous devons retrouver Aeval et percer le mystère de ce portail. (Je regardai ma gaufre à demi mangée, puis l’empalai sur ma fourchette.) Je suis affamée, ce matin. Je pourrais avoir une autre gaufre, s’il te plaît ?
En riant, Iris en déposa une sur mon assiette, ainsi qu’un nouvel œuf brouillé.
Alors que j’avalais la nourriture avec appétit, la sonnerie du téléphone retentit. Delilah alla répondre.
— C’était l’un des assistants d’Aeval, m’apprit-elle une fois qu’elle eut raccroché. Dépêche-toi de terminer de manger. Elle a perdu patience et nous attend déjà au parc. On doit la retrouver là-bas et non pas à Talamh Lonrach Oll. Qu’est-ce qu’on devrait emporter ? Est-ce que tu comptes prendre le bâton qu’elle t’a donné ?
Je secouai la tête.
— C’est plutôt destiné aux rituels ou aux voyages. Je ne sais toujours pas m’en servir ; je préfère le laisser ici. Non, elle me l’a très clairement dit hier : il vaut mieux se munir de fer que d’argent. J’ai encore quelques pièces de mon vieil attirail quelque part par là.
Quelques années auparavant, alors jeune recrue de l’OIA – sauf qu’en ce temps-là nous faisions partie de l’YIA, l’Y’Elestrial Intelligence Agency –, j’utilisais souvent le fer. C’était considéré comme illégal par les membres du gouvernement, ou plutôt immoral, mais je m’en fichais. C’était efficace.
À cette époque, je portais d’épais gants en cuir pour me protéger les mains et accomplissais le nécessaire pour appréhender nos suspects. Ça ne m’avait posé de problème qu’avec un seul de mes supérieurs, Lathe, qui s’était fixé comme objectif de me mettre dans son lit. Comme je persistais à l’envoyer paître, il avait fait de ma vie un enfer.
— Tu as encore ces trucs en fer ? s’étonna Delilah en clignant des yeux.
— Oui, mais même si je ne les avais pas gardés, ce serait bien plus facile de s’en procurer ici que ça ne l’était en Outremonde. (Je haussai les épaules quand Delilah me dévisagea avec incrédulité.) Je n’ai jamais réussi à respecter les règles, et puis, après tout, ça m’a sauvée le jour où je me suis retrouvée en face de Roche.
Roche était un redoutable tueur en série que j’avais épinglé en Outremonde. En fait, Trillian avait joué un grand rôle dans sa capture. Je lui devais la vie, et il avait gagné mon cœur. L’alchimie entre nous avait immédiatement œuvré ; nous nous étions enflammés comme de l’essence en présence d’une allumette. Mais personne d’autre ne connaissait l’intégralité de l’histoire, et je préférais qu’il en soit ainsi. La vérité resterait entre mon mâle dominant et moi. Je voulais lui allouer le mérite de la victoire mais, au final, il m’avait convaincue qu’il valait mieux taire les détails de l’arrestation de Roche.
— Oui, c’est vrai, concéda Delilah.
Ma sœur avait toujours tendance à se plier à l’autorité, même si elle avait perdu beaucoup de sa naïveté au cours de l’année qui venait de s’écouler et était en train de s’affirmer. J’étais fière de la manière dont elle avait mûri.
— On ne doit pas tarder, alors si tu veux aller chercher tes instruments de torture, dépêche-toi, déclara-t-elle avec une grimace atténuée d’un sourire.
— Nous n’avons plus le choix, dis-je avec un haussement d’épaules. Fini le combat à la loyale. Tous les coups sont permis, car la défaite n’est pas envisageable.
— Il semblerait que ce soit notre nouvelle vie, en effet. Je dois mettre mes bottes avant de partir. Tu ferais mieux d’enlever ces talons aiguilles si on doit franchir ce portail. Si tu as senti une odeur de tourbe, ça signifie qu’il faut s’attendre à des marécages.
Je pris le temps de l’observer. Vêtue d’un jean épais et d’un pull orné d’un chat tigré sur le devant, elle portait des ballerines à bride en toile. Ses cheveux courts étaient savamment ébouriffés, une coiffure branchée qui reflétait sa nouvelle assurance.
Grande et mince, elle mesurait un mètre quatre-vingt-cinq, soit une bonne trentaine de centimètres de plus que Menolly, qui était petite et menue. Quant à moi, du haut de mon mètre soixante-dix, je me situais entre les deux et surclassais de loin Marilyn Monroe question formes, avec ma silhouette pulpeuse susceptible de nourrir les fantasmes les plus érotiques. Mes seins et mes hanches faisaient chavirer les hommes.
Ce qui signifiait que, pour obtenir une tenue ajustée à ma taille, je devais disposer de nombreuses pièces de vêtements à coordonner. Mais ça ne me posait pas de problème. Ma penderie aurait pu fournir un bar fétichiste, compte tenu de mon penchant pour le cuir, la dentelle, les bustiers et les jupes en mousseline.
Accompagnée de Delilah, je montai dans mon bureau, où ma malle était entreposée dans un coin. Prenant garde à ne pas réveiller Morio, j’agrippai sans bruit l’une des poignées, Delilah saisissant la deuxième pour m’aider à transporter le coffre jusque dans ma chambre. Ma mère avait commandé une malle pour chacune d’entre nous quand nous étions petites. La mienne était faite de feu d’étoile, un bois noir semblable à l’ébène et chargé d’une puissante magie que l’on ne trouvait qu’en Outremonde.
Je soulevai le couvercle pour la deuxième fois depuis notre arrivée sur Terre. Toutes sortes de trésors, la plupart de nature sentimentale, étaient entassés à l’intérieur. Je sortis une vieille photographie de notre mère, datant de l’époque où elle étudiait en Espagne. Durant quelques instants, j’observai en silence la jolie jeune femme blonde qui semblait me regarder. Passant un bras autour de mon cou, Delilah la contempla avec moi.
— Elle était si belle, murmurai-je. Tu lui ressembles vraiment, sauf que tu es beaucoup plus grande.
— Elle me manque. Pourtant, mes souvenirs d’elle sont flous. J’étais petite quand elle est morte. Mais je me rappelle son parfum particulier… Je ne sais pas ce que c’était, mais ça sentait bon.
— Moi, je sais, annonçai-je avec un sourire avant de prendre un flacon dans le coffre.
Quand je le débouchai, une agréable fragrance se répandit dans la pièce. No5 de Chanel.
— Tu devrais en acheter. Ça existe toujours, tu sais.
Avec une expression nostalgique, Delilah secoua la tête.
— Ça me rappelle tellement Mère… Je me souviens de ce parfum. Mais je ne crois pas que je le porterais aussi bien qu’elle. Je vais peut-être quand même m’en offrir une bouteille que je garderai sur ma commode, pour les moments où elle me manque.
Je revissai lentement le bouchon et déposai un léger baiser sur le flacon, submergée par une vague de mélancolie. Après le départ de Mère, je m’étais raccrochée à Père et, à présent, je l’avais perdu, lui aussi. Au moins, Delilah et Menolly bénéficiaient encore de son amour. Chassant ces pensées, je rangeai le parfum et la photographie dans la malle avant de sortir un sac, que j’ouvris avec précaution.
Lorsqu’une araignée s’en échappa, je l’écrasai d’un geste machinal. Depuis nos démêlés avec les araignées-garous de Kyoka, nous éliminions toutes celles que nous trouvions dans la maison, de peur que les membres survivants du culte nous aient envoyé des espions.
Après avoir vidé le contenu du sac au sol, j’examinai notre butin. Deux paires de menottes en fer. Une dague à lame de fer que j’avais moi-même complétée d’une poignée en corne. Et, cadeau de Trillian, un fléau en argent pourvu de neuf chaînes fines en fer. Leur longueur m’imposerait de viser avec précision pour ne pas me blesser, mais elles feraient subir un véritable supplice à n’importe quel Fae osant se dresser sur mon chemin.
— Parfois, je regrette le temps où on poursuivait des criminels ordinaires, pas toi ? demandai-je à Delilah.
Je me sentais d’humeur morose. Nos vies étaient devenues bien plus complexes, et nous affrontions à présent des enjeux autrement plus importants qu’avant.
— Si. Je vois ce que tu veux dire. (Avec un soupir, elle s’agenouilla à côté de moi.) Tu comptes vraiment emporter ces trucs ?
Je confirmai d’un hochement de tête.
— Vu que l’ogre des tourbières traîne par là-bas avec on ne sait quelles autres créatures, mieux vaut mettre toutes les chances de notre côté pour sauver Chase, non ? Une arme comme ce fléau peut représenter une différence cruciale. Ta dague est en argent et, aussi efficace Lysanthra soit-elle, elle n’est pas en mesure de lutter contre un ancien Fae.
— Je comprends. OK, on les prend. C’est juste que… les coups bas n’ont jamais été mon fort. (Elle fouilla la malle à la recherche de deux paires de gants.) Tiens, ils sont fins, mais ils fourniront une protection suffisante.
Même si nous ne craignions pas autant le fer que les Fae au sang pur, il nous brûlait assez pour laisser des marques. Si le métal restait trop longtemps au contact de notre peau, il rongeait notre chair comme de l’acide et pouvait finir par nous tuer.
— Coups bas ou pas, quand on a affaire à des fous, des meurtriers ou des monstres, je suis prête à utiliser tout ce qui peut me donner l’avantage. (J’enfilai les gants avant de soulever avec précaution une paire de menottes.) J’hésite à emporter la corne de la licorne noire. J’ai des doutes. On va affronter des Fae et je me demande si elle ne les aiderait pas plus qu’elle ne les blesserait.
— Prends-la, s’il te plaît. On risque d’en avoir besoin, et tu ne sauras pas comment elle affecte les Anciens avant d’avoir essayé.
— Tu as raison. (Je m’emparai des menottes et du fléau tandis que Delilah saisissait l’autre paire de menottes et la dague en fer.) Je vais la chercher, et ensuite, on y va.
Alors qu’elle descendait l’escalier pour enfiler son manteau, je changeai de chaussures, puis sortis la corne de la cachette que je lui avais ménagée sous une trappe dissimulée par un tapis.
Je la levai à hauteur de mes yeux. Faite de cristal scintillant orné de filigranes d’or et d’argent, c’était l’une des neuf cornes existantes au monde, perdues par la licorne à chacune de ses réincarnations.
Grâce à elle, j’avais vaincu la Bête et l’avais envoyée vers sa prochaine vie. Elle galopait à présent en toute liberté sous la forme d’un jeune étalon, parti pour un nouveau millier d’années. Quant à moi, meurtrie et ensanglantée, j’avais gagné ma place de prêtresse de la Mère Lune pour avoir contribué à son sacrifice.
J’utilisais encore la corne avec une grande méfiance. Je n’en avais parlé à personne, mais j’éprouvais chaque fois l’impression qu’elle cherchait à accaparer davantage de pouvoir à travers moi. À l’intérieur vivait Eriskel, le jindasel par l’intermédiaire duquel les élémentaires canalisaient leur énergie et me transmettaient leur magie.
Après avoir glissé la corne au fond de la poche de ma jupe, je fixai la fermeture rapide en Velcro. J’avais demandé à Iris de retoucher la plupart de mes vêtements de manière à pouvoir porter la corne en toute sécurité sans avoir à m’équiper du manteau de la licorne, qui avait été cousu dans la peau même de la Bête.
Tout en me demandant dans quel guêpier nous allions encore nous fourrer, je m’assurai que les lacets de mes bottes étaient bien serrés et enfilai une veste chaude de couleur noire en microfibre. Je passai ensuite à la taille une ceinture aux maillons d’argent à laquelle j’accrochai le sac contenant les menottes et le fléau en fer. Delilah m’attendait dehors près de ma voiture. Un seul véhicule nous suffirait et ma Lexus, équipée de pneus neige, tiendrait mieux que sa Jeep sur la route.
Une fois nos ceintures de sécurité bouclées, je démarrai en murmurant une courte prière implorant la Mère Lune de nous protéger. J’espérais juste qu’elle m’entendrait.
1* En français dans le texte. (NdT)