On sait déjà quelles avaient été en Orient les causes de la décadence de la grande sculpture ; mal vue par l’Eglise, elle n’avait depuis longtemps qu’une existence précaire. Fut-elle cependant condamnée en termes formels au VIIIe siècle, et les pères du concile de Nicée la sacrifièrent-ils lorsqu’ils rétablirent les images ? C’est ce qu’on a souvent affirmé. Pourtant, dans la septième séance de ce concile, lorsqu’on lut les décisions de l’assemblée, il fut question des saintes images, « qu’elles soient faites avec des couleurs, ou avec la pierre, ou de quelque matière que ce soit. » L’Eglise grecque considère aujourd’hui la statuaire comme prohibée, mais elle se fonde sur la tradition plutôt que sur une règle canonique. L’influence musulmane n’est peut-être pas étrangère à ces préventions.
La querelle des iconoclastes dut pourtant être funeste à cette branche de l’art. Quand les partisans des images triomphèrent, il est vraisemblable qu’ils n’encouragèrent guère la sculpture déjà si délaissée : n’eût-ce pas été donner raison à leurs adversaires qui les avaient accusés d’idolâtrie ? Toutefois ces reproches atteignaient surtout les statues, les œuvres de ronde-bosse qui reproduisent la réalité même de la forme humaine. Le bas-relief n’offre point ce caractère, et, dans une certaine mesure, se rapproche des conditions de la peinture, puisqu’il n’exprime cette même forme qu’à l’aide d’illusions et de conventions. L’Eglise se montra donc plus facile à cet endroit : non seulement la sculpture sur ivoire se maintint dans tout son éclat, mais la sculpture sur marbre et sur pierre, ainsi restreinte, ne disparut pas entièrement.
A Ravenne, dans l’église de Santa-Maria in Porto, se trouve un bas-relief qui, dit la légende, serait arrivé miraculeusement de Grèce en Italie vers l’an 1100. Les sigles qui indiquent le nom de la Vierge, aussi bien que le style de l’œuvre, ne laissent aucun doute sur l’origine de cette sculpture : elle a dû être rapportée au temps des croisades. La Vierge a l’attitude de l’orante ; la tête est régulière, belle, et l’ensemble offre un caractère de grandeur remarquable. L’exécution est simple et assez heureuse, bien qu’elle manque parfois de souplesse dans les draperies. Cette œuvre, perdue au fond d’un sanctuaire étranger, encadrée dans une bordure moderne de mauvais goût, frappe le visiteur ; elle semble comme exilée d’un monde où se conservait le goût du beau uni au sentiment religieux. Au reste, on reconnaît ici un type que traitaient sans cesse les artistes et dont la sculpture byzantine nous a donné déjà des exemples.
Très souvent la sculpture sur marbre ou sur pierre se restreignait à la représentation d’animaux ou de motifs d’ornement. On rencontre en Orient de nombreuses dalles byzantines qui reproduisent des aigles, des lions ou des panthères terrassant des biches. Beaucoup sont de travail fort barbare et de basse époque. Elles ont ce caractère particulier qu’elles imitent fréquemment des motifs que l’art oriental répétait depuis une antiquité très reculée et qui figuraient encore sans cesse sur les étoffes fabriquées en Asie au Moyen Age.
Si on veut bien juger ce dont était capable la sculpture byzantine, c’est aux ivoires qu’il faut s’adresser. Beaucoup sont parvenus en Europe à l’époque des croisades ou dans les siècles suivants et sont conservés dans les trésors des églises, dans les musées, dans les collections particulières. Ils attestent que, du VIIIe au XIIIe siècle, le développement de cette branche de la sculpture a concordé avec le développement de la peinture des manuscrits : ce sont les mêmes qualités d’abord et plus tard les mêmes défauts.