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Martin paraît heureux de me voir revenir et il m’accueille à la maison comme si j’avais été absente pendant des semaines. Quand je lui demande si je peux encore rester dans son appartement, il répète que je suis ici chez moi. Il suggère même de m’installer plus confortablement dans ma chambre et de la décorer un peu. Ça fait du bien de se sentir normale, pour une fois. Et je suis déterminée à m’intégrer à cette nouvelle vie.

Nous ne sommes pas encore assis au salon que Kevin s’empresse de lui raconter ce qui s’est produit chez mes parents. Il a la chair de poule quand il parle des rafales qui ont soulevé mes cheveux. Étais-je vraiment si terrifiante? À l’écouter, on dirait bien que oui. Pour sa part, Martin ne paraît ni étonné ni effrayé, il se frotte le menton en répétant que c’est très intéressant.

— Vous croyez que c’est elle? Le soldat? demande Kevin.

— Qui sait, mon petit?

— Mais arrêtez, avec ça! les disputé-je. Kev, si tu t’entraînais un peu plus, je suis sûre que tu pourrais faire la même chose que moi.

Il fait mine de ne rien entendre et poursuit son raisonnement:

— Si c’est elle, les autres ne risquent-ils pas de la chercher pour la tuer?

Les paroles de Kevin m’effraient, d’abord parce que je n’aime pas beaucoup qu’on évoque ma mort, mais surtout à cause de l’idée que ma présence ici pourrait mettre tout le groupe en danger. Je ne veux pas faire courir de risques à ma famille, mais à mes amis non plus.

— Encore faudrait-il qu’ils croient que c’est elle, le rassure le prêtre. Les démons éliminent tous les soldats de Dieu, sans exception. Crois-tu qu’ils puissent s’imaginer qu’une jeune femme comme Élisabeth soit aussi puissante?

Martin tourne les yeux vers moi et retrouve un air sérieux.

— Crois-tu être ce soldat annoncé par la prophétie?

J’affiche une expression confuse.

— Comment je le saurais?

— Évidemment. À quoi bon y songer pour le moment? Dieu a son plan, qu’il nous communiquera en temps et lieu. Tout ce qu’Élisabeth peut faire, c’est avoir confiance en lui. Il finira bien par la mettre sur la piste. D’ici là, essayons plutôt de lui trouver un emploi. Ah, et il serait sage que tu reprennes ton entraînement, aussi. À ce sujet, Kevin, tu serais gentil de planifier un horaire et de vérifier qu’il convient à Patrick.

Le principal intéressé hoche la tête et jette un coup d’œil du côté de Jeanne:

— Tu veux t’entraîner avec nous?

— Alors là, pas question! siffle-t-elle. Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, les sorcières savent très bien se défendre contre les démons.

— Et contre les prêtres, alors? renchérit Martin. Parce qu’aux dernières nouvelles, Élisabeth t’a évité le bûcher.

— Et tu n’es pas tout à fait au point pour le maquillage des marques, ajouté-je sur un ton moqueur.

Elle grimace, prise au piège, puis reprend:

— J’ai quelques ajustements à faire, c’est vrai, mais je n’ai pas besoin de courir pour ça. Il suffit que je mette quelques formules à l’essai. Jonas pourrait même me servir de cobaye.

Malgré moi, je me braque sur ma chaise et la foudroie du regard.

— Hé! Jonas n’est pas un rat de laboratoire!

— Mais je ne vais pas lui faire de mal! se défend-elle. C’est juste pour faire des tests!

C’est plus fort que moi, je suis agacée de la voir banaliser ses expérimentations sur Jonas, mais Martin lève la main et nous ramène rapidement à l’ordre:

— Lorsque tu auras suffisamment d’éléments à tester, Jeanne, nous te capturerons un démon, mais Élisabeth a raison: Jonas est l’un des nôtres. À ce titre, il est hors de question que tu l’utilises pour tes petites formules.

Jeanne affiche une moue boudeuse, mais elle promet néanmoins qu’elle ne fera rien de répréhensible. Elle a intérêt, sinon elle aura affaire à moi!

* * *

Il est tard, mais je ne dors pas. J’attends que Jonas se pointe, assise sur le bout de mon lit, comme chaque soir. Je sursaute lorsque Jeanne ouvre la porte et m’aperçoit:

— T’as une minute?

— Euh. J’allais me coucher, mens-je.

— Ça ne sera pas long, insiste-t-elle.

Sans attendre mon aval, elle entre et s’installe de l’autre côté du matelas, emmitouflée dans un peignoir rose.

— T’es fâchée de ce que j’ai dit? me questionne-t-elle aussitôt. Je ne pensais pas à mal, tu sais? C’est que… les vampires reprennent vite des forces. Pour tester, c’est l’idéal.

Je la toise du regard.

— Jonas n’est pas une bête de foire! Tu te rends compte qu’il passe sa vie à nous surveiller? Et si je décidais de tester mes pouvoirs sur toi?

— Hé! J’ai dit que je ne le ferai pas, OK? Je ne pensais pas que ça te fâcherait autant!

Je me tais, mais je sens encore la colère qui me vrille les tripes. J’essaie de me calmer avant de rétorquer, en détachant chaque syllabe pour être sûre qu’elle me comprenne bien:

— Jonas fait partie de notre équipe, Jeanne. D’ailleurs, à partir de demain, je vais lui demander de venir manger avec nous, le soir. Alors si tu veux continuer à habiter sous ce toit, il faudra que tu t’habitues à sa présence.

Jeanne sursaute et fronce les sourcils:

— Attends, tu veux dire qu’il va boire du sang… devant nous? À table?

— Oui. Avant notre arrivée, c’est ce qu’il faisait. Il a été assez gentil pour prendre ses distances afin de ne pas t’effrayer, mais comme je compte rester ici plus longtemps… soit tu acceptes les règles, soit il faudra que tu t’en ailles.

Mon ultimatum ne lui plaît pas et, dans les faits, ce serait plutôt à Martin de lui faire ce genre de proposition, mais je trouve dommage que Jonas soit relégué au sous-sol alors qu’il habite ici depuis plus longtemps que nous. Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas cohabiter, tout simplement?

— C’est parce que tes parents ne veulent pas de moi que tu veux rester ici?

— Ça n’a aucun rapport, la contredis-je. Ils ont simplement refait leur vie sans moi et… je ne sais pas… je sens que ma place est ici.

— C’est Dieu qui te l’a dit?

Je hausse les épaules, incertaine.

— Dieu ne me dit rien, mais je le sais, c’est tout.

Elle paraît étonnée, mais hoche la tête, comme si ma réponse avait un sens quelconque. Je ressens bien une certitude face à l’endroit où je dois vivre, mais est-ce le désir de Dieu? Comment savoir? En général, il intervient sur mes gestes, pas sur mes envies, mais je présume qu’il sait le faire aussi.

Croyant que notre conversation est terminée, je tire sur mes draps pour les défaire, en espérant lui montrer que j’ai envie de rester seule, mais elle fait mine de ne pas le remarquer et tente de poursuivre la conversation:

— Dis, t’as revu Patrick depuis l’autre jour?

— Hein? Euh… non.

— Ah. Mais vous n’êtes pas ensemble, tous les deux? Parce que je me souviens qu’à la danse…

— On n’est pas ensemble, la coupé-je très vite. Son baiser m’a surprise, c’est tout. C’était une erreur.

— Oh. Dommage.

Je soupire et je la toise du regard, étonnée:

— Pourquoi «dommage»?

— Bien… parce que si c’est Kevin qui t’intéresse…

— Oh! Je ne m’intéresse pas du tout à Kevin!

— Ah non?

Ses mots laissent filtrer un certain soulagement et son sourire redevient lumineux. Il est facile d’imaginer pourquoi. Je scrute son visage en silence: est-ce à cela que l’on ressemble lorsqu’on est amoureux?

— T’es avec lui? Je veux dire… est-ce que vous êtes ensemble?

Mes questions rendent les joues de Jeanne aussi rouges qu’une pivoine et elle se met à bredouiller, gênée:

— Bien… je ne sais pas. C’est un peu tôt pour le dire. On est seulement sortis ensemble deux fois.

— Mais tu l’as embrassé?

Elle émet un rire avant de me jeter un regard de travers.

— Qu’est-ce que t’es curieuse!

— Quoi? Je demande, c’est tout! T’es pas obligée de me le dire…

Jeanne sourit, mais je vois bien qu’elle meurt d’envie d’en parler avec quelqu’un.

— On s’est embrassés trois fois, admet-elle soudain. Tu crois que ça veut dire qu’on sort ensemble?

— C’est à moi que tu demandes ça? pouffé-je. Mais qu’est-ce que j’en sais? Je ne suis jamais sortie avec personne, moi!

Et pourtant, au moment où les mots franchissent mes lèvres, j’ai la sensation de mentir. Jonas n’est-il pas mon petit ami? Après tout, je passe mes nuits avec lui sur le toit. Dans ses bras, surtout. Et je l’ai embrassé bien plus souvent que trois fois…

— J’aimerais bien sortir avec lui, m’avoue Jeanne. Il me fait sentir… vraiment bien.

Je hoche la tête avec conviction. Pour une fois, je comprends son sentiment. S’il y a une chose dont je suis sûre, c’est que j’aime être près de Jonas. Sa présence me rassure et m’apaise. Avec lui, j’ai la sensation de pouvoir parler ou rester silencieuse sans que cela crée le moindre malaise. L’impression d’être normale, même si nous ne le sommes ni l’un ni l’autre.

— Et il est beau, Kevin, tu ne trouves pas? me demande-t-elle en soupirant bêtement.

— Ouais, enfin… disons que ce n’est pas mon genre, lâché-je dans un rire.

Avec un air curieux, elle me questionne aussitôt:

— Alors c’est quoi, ton genre? Parce que si ce n’est ni Kevin ni Patrick…

Pendant que je cherche une réponse, elle me scrute avec un air trouble:

— T’es gaie, peut-être? Tu préfères les filles?

— Hein? Euh… non.

— Oh, mais ça ne me dérange pas, hein.

Je lui fais de gros yeux.

— Jeanne, je ne suis pas gaie!

— OK, je ne voulais pas te froisser!

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai la sensation qu’elle n’est toujours pas convaincue de mon orientation. Sans réfléchir, je lâche:

— Mon genre, c’est Jonas.

Alors qu’elle s’était mise à rire, voilà qu’elle redevient silencieuse. Les yeux écarquillés, elle rétorque:

— Tu me fais marcher, là?

— Non. D’ailleurs, il doit probablement attendre que tu partes pour venir me rejoindre.

Jeanne me dévisage, visiblement sous le choc, puis bafouille:

— Mais… c’est que… tu ne l’embrasses quand même pas?

Malgré moi, je ris.

— Évidemment que je l’embrasse! Quelle question!

— Mais… Liz! C’est un vampire! Si ça se trouve, tout ce qu’il veut, c’est… te manger! Enfin… ton sang, quoi!

Je lève les yeux au ciel avant de parler plus fort:

— Jonas, viens ici!

Moins de dix secondes après mon appel, le vampire apparaît, perché sur le rebord de ma fenêtre, sur laquelle il s’assoit sans oser entrer à l’intérieur.

— Rassure Jeanne, tu veux? T’as envie de boire mon sang?

— Eh bien… je… pas vraiment, non.

— Parce que tu crois qu’il te dirait la vérité? s’emporte ma copine. C’est un vampire!

— Je n’ai jamais bu sur un humain, ajoute Jonas. L’odeur du sang m’attire, c’est vrai, mais il m’effraie aussi, parce que… à part la fois où tu t’es coupée dans cette maison, je n’ai senti de sang frais qu’à l’hôpital, ou alors les quelques fois où Martin s’est blessé. Et dans ces moments-là… mon inquiétude est plus grande que ma soif, probablement parce que je bois dès mon réveil. Ça m’évite peut-être de ressentir un manque quelconque.

Même si j’essaie de le masquer, je ne peux m’empêcher de sourire. Je suis tellement fière de sa réponse!

— Tu vois? Jonas est super! lâché-je.

— Ça reste un vampire.

Elle lève une main en direction du principal intéressé avant d’ajouter:

— Sans vouloir t’offenser.

— Il n’y a pas de mal, dit-il simplement.

— Je ne suis pas d’accord, sifflé-je. Jeanne, t’es une sorcière! Pour un prêtre, tu es sur le même pied d’égalité que lui! Bonne à brûler vive! Ce que tu fais, c’est… raciste!

— Raciste? Mais non! Ce gars-là boit du sang! Et regarde-moi un peu: je ne suis quand même pas un monstre! La preuve: je peux sortir au soleil!

— Jonas n’a rien d’un monstre! rugis-je.

— Liz, ce n’est pas grave, tente-t-il de me rassurer.

— Si, c’est grave, me buté-je.

Reportant mon attention sur Jeanne, j’annonce:

— À partir de demain soir, Jonas prendra son repas du soir avec nous. Si ça te cause un problème, il faudra que tu songes à partir d’ici. Je veux que cette maison soit inclusive, mais pour ce faire, il faut que cette règle soit respectée par tous. Toi y compris.

Jeanne ne dit rien, la bouche pincée, visiblement contrariée par mes propos, mais s’il y a une chose dont je suis certaine, c’est que je n’ai pas l’intention de revenir sur ma décision. Ma sœur a peut-être raison, au fond: pas pour l’armée que je forme, mais pour les gens que j’ai envie d’avoir autour de moi. J’ai côtoyé des prêtres intolérants pendant longtemps, il est hors de question que cela se reproduise dans la maison où j’ai choisi de vivre. Je ne fléchirai pas sur ce point.

— Tu dis ça parce que t’es avec lui, mais le jour où il va te mordre…

— Il pourrait en mourir, dis-je sèchement. N’oublie pas qui je suis, tu veux? Et toi, prends le temps d’y réfléchir. Personne ne te force à vivre ici, Jeanne. Les gens dans cette maison sont ouverts aux autres. Si tu veux rester parmi nous, il faudra que tu fasses preuve de cette même ouverture. Autrement, tu ne vaux pas mieux que ces prêtres qui étaient prêts à te livrer au bûcher.

— Et Patrick, alors?

— Patrick a perdu quelqu’un à cause d’un vampire. Je comprends donc ses réserves, mais il devra s’y faire aussi.

Elle se lève de mon lit, replace son peignoir en nous regardant à tour de rôle, puis elle reporte son attention sur moi.

— Et Martin? Il sait, pour vous deux, ou…?

— Pour l’instant, il n’y a que toi qui le sais. Te voilà libre de trahir ma confiance. Au moins, je saurai à quoi m’en tenir.

— Hé! Je n’ai jamais trahi qui que ce soit, annonce-t-elle avec agacement. J’ai peur pour toi, c’est très différent.

— Je ne crains rien, dis-je pour la rassurer. Jonas m’a déjà sauvé la vie. Il a toute ma confiance.

Même si Jeanne ne partage pas mes convictions, elle hoche la tête et sort de ma chambre avant de claquer la porte. Alors seulement, Jonas ose passer les jambes à l’intérieur de la pièce, mais il reste toutefois assis sur le rebord de ma fenêtre.

— Pourquoi tu le lui as dit? me demande-t-il.

— Je ne sais pas. Autant je déteste parler, autant il m’arrive que les choses sortent de ma bouche toutes seules.

— Je crois qu’elle essaie de devenir ton amie…

Je plonge un regard déterminé dans celui Jonas.

— Une amie digne de ce nom devrait être en mesure d’accepter l’homme que j’ai choisi.

Il soupire et vient s’installer près moi, sur mon lit.

— Une amie, c’est aussi fait pour s’inquiéter, me rappelle-t-il. Il n’en reste pas moins que je suis un vampire.

— Tu es un gentil vampire, rectifié-je en essayant de tourner la discussion à la plaisanterie.

Nullement rassuré, il fait mine de me rabrouer du regard.

— Liz, qui sait si je ne vais pas finir par retrouver ma véritable nature? Peut-être que tout serait différent si j’avais déjà bu sur un humain?

— Tu n’en sais rien.

Il soupire:

— Effectivement, je n’en sais rien.

Son bras me ramène contre lui et il embrasse le dessus de la tête avant de chuchoter:

— Et je n’ai pas la moindre envie de le savoir. Surtout maintenant.

— À cause de moi? deviné-je.

— Oui. Il y a des années que je ne m’étais pas senti aussi heureux… ni aussi bien en présence de quelqu’un.

— Je comprends, soufflé-je. Moi aussi, je me sens bien avec toi.

Nos bouches se cherchent et se trouvent. Nos baisers sont parfaitement au point, maintenant. Je ne me sens plus maladroite, mais plus femme que je ne l’ai jamais été. Jonas me serre contre lui et sa force me rassure. Il rugit quand je lèche sa bouche ou que je l’embrasse dans le cou. Pour ma part, je frissonne quand il dévore mes lèvres jusqu’à ce que mon souffle se fasse bruyant. Ce n’est pas mon bras qui chauffe, c’est mon corps tout entier.

Sans réfléchir, je m’étends sur le lit en entraînant son corps sur le mien. Je ferme les yeux quand il lèche mon cou et je laisse mes doigts s’enfoncer dans ses cheveux. Soudain, Jonas se détache brusquement de moi et m’observe, la bouche ouverte et les yeux luisants d’une façon que je ne reconnais pas.

— Ça ne va pas? demandé-je.

Je me relève mollement et je me remémore où était sa bouche lorsqu’il s’est redressé aussi rapidement.

— C’est parce que tu m’embrassais dans le cou? C’est le sang qui…

Il secoue la tête avant d’avouer, visiblement gêné:

— Non, c’est juste que… les vampires n’ont pas seulement envie de sang…

Quand je comprends le sens de ses paroles, je me sens rougir et je bafouille:

— Oh… c’est que… je n’avais pas compris que…

— Ce n’est pas grave, m’arrête-t-il. Je suis le premier surpris de… de ce qui se passe entre nous.

Je glisse ma main contre la sienne et Jonas la guide vers ses lèvres pour y déposer un baiser.

— Pardon. Je ne voulais pas te gêner, dit-il tout bas. La plupart du temps, je ne comprends même pas ce qui m’arrive quand tu es près de moi.

— Mais ça te plaît? vérifié-je.

Le visage de Jonas s’illumine quand ses yeux replongent dans les miens. C’est si beau et si rare que j’en oublie de respirer pendant quelques secondes.

— J’ai la sensation de revivre, quand tu es là, m’avoue-t-il en serrant mes doigts entre les siens.

J’ai envie de lui dire que je ressens la même chose, mais ce serait faux. Moi, je suis vivante. Ressuscitée. Mais ai-je seulement vécu avant d’avoir partagé mon premier baiser avec Jonas? Je n’en suis pas certaine. C’est comme si je flottais dans ce monde et dans ma propre vie jusqu’à ce que je trouve le réconfort de ses bras…

Lentement, je m’agenouille sur mon lit et je viens poser mon front contre le sien. Mes bras se nouent autour de son cou et les siens m’enserrent la taille.

— Je ne connais aucune sensation plus agréable que tes baisers, avoué-je.

Comme pour répondre à mes paroles, Jonas relève la tête et me laisse dévorer sa bouche. Quand ma peau se hérisse de plaisir, je reporte mon attention sur lui.

— J’aime quand tu m’embrasses. Et quand tu me touches, aussi.

Je guide ses mains sur ma peau, sous mon chandail. Jonas secoue doucement la tête:

— Liz… tu n’es pas forcée de…

— Je ne me sens pas forcée.

Sur le point d’atteindre mon sein, Jonas retire ses doigts, visiblement nerveux.

— Rien ne presse, insiste-t-il. Tu es encore… tellement jeune, alors que moi…

— Je ne suis pas si jeune, le contredis-je, et tu n’as que vingt-six ans!

— Mon corps a vingt-six ans, rectifie-t-il, mais je suis mort il y a dix ans. À cette époque, tu n’étais encore qu’une enfant!

— D’accord, admettons que tu en aies trente-six. As-tu seulement vécu, pendant ces dix ans?

Ma question l’attriste, mais il se voit forcé de secouer la tête.

— Pas vraiment, tu as raison, mais ce n’est pas une raison pour tout précipiter! C’est juste qu’avec toi…

Il ramène ses yeux vers moi et, pendant quelques secondes, j’ai la sensation d’être la plus belle femme de la terre.

— Avec toi, j’oublie que je ne suis pas humain, chu-chote-t-il.

Ma respiration s’emballe et j’emprisonne son visage entre mes mains.

— Moi aussi, je me sens normale avec toi, lui confié-je.

Jonas étouffe un rire, mais je le sens ému. Notre prochain baiser me bouleverse. Quand je m’installe sur ses cuisses et que je retire prestement mon chandail, Jonas observe mon corps, et son désir me trouble. Dans un soupir, il me serre contre lui avec force.

— Cette fois, c’est sûr… je suis toujours un homme, constate-t-il.

Malgré moi, je ris, mais je suis surtout soulagée. Malgré ces marques sur ma peau, Jonas me voit comme une femme désirable. Jamais on ne m’a regardée ainsi. Et quand nos lèvres se retrouvent et que ses mains se décident enfin à me toucher, je ne ressens ni peur ni inconfort, juste la sensation d’être enfin là où je dois être.

Timidement, je fais tomber mon soutien-gorge et Jonas s’empresse de m’étendre à nouveau sur mon lit. Sa bouche m’enivre et je chuchote, lorsqu’il défait le devant de mon jean.

— Tu te souviens comment ça fonctionne, j’espère, parce que… moi, je ne sais rien du tout.

Ses yeux fiévreux remontent vers les miens. Je suis émue de le voir ainsi. On dirait qu’il est totalement sous mon charme. Depuis quand ai-je ce pouvoir?

— Ce n’est pas forcé qu’on aille plus loin, dit-il simplement.

— Je ne savais pas que les vampires pouvaient avoir peur, le taquiné-je.

Un sourire revient sur son visage.

— Nous avons tout notre temps, m’assure-t-il.

Malgré moi, je fronce les sourcils.

— Ne présume jamais du temps que nous offre Dieu, Jonas.

Il hoche la tête. J’entreprends de lui retirer son chandail et je reviens l’étreindre de façon à ce que nos peaux se touchent.

— Cette nuit est la nôtre, soufflé-je. Ne la gaspillons pas, tu veux?

Jonas me caresse la joue, puis reprend ma bouche avec délicatesse jusqu’à ce que le désir s’empare à nouveau de son corps. Lentement, nos vêtements disparaissent et alors que je devrais être nerveuse, tous mes doutes s’évaporent au profit du plaisir.