J’attends que tout le monde soit dans la cuisine et je téléphone à mon employeur pour lui annoncer ma démission. Pas que j’en ai envie, mais si ce geste me permet de regagner la confiance de Martin et de Jeanne, c’est déjà ça. Ce n’est pas le travail du siècle, non plus. Je finirai par en trouver un autre…
Je descends dans la chambre de Jonas à la tombée de la nuit et j’attends qu’il s’éveille. Peut-être est-ce parce qu’il décèle ma présence, mais il se redresse, raide comme un piquet, et cligne plusieurs fois des yeux avant de tourner la tête vers moi.
— Qu’est-ce que tu fais là?
— Je t’attendais. Je me suis dit qu’il fallait qu’on parle. Il tend la main vers moi, me fait signe d’approcher. Ce simple geste m’aide à dénouer la tension qu’il y a dans mon ventre et je m’accroche à ses doigts de toutes mes forces. Sans attendre, je me jette à son cou et je soupire contre son oreille:
— J’ai quitté mon emploi. Je ne veux surtout pas qu’on se dispute pour ça.
— Ce n’est pas ce que je voulais. J’étais seulement inquiet pour toi. Et peut-être… un peu jaloux, aussi.
Il cherche à croiser mon regard et tente de percer ma tête en plissant les yeux devant les miens:
— Promets que tu ne feras rien de risqué.
— Tu veux dire… comme embrasser un démon?
— Par exemple, confirme-t-il en retenant son visage de s’affaisser à cette idée. À la limite, si tu l’embrasses… assure-toi au moins qu’il ne va pas te planter une dague en plein cœur.
— Cesse de t’inquiéter. Tu sais bien que Dieu veille sur moi, dis-je en essayant de plaisanter.
— Dieu veille sur des millions de gens et ça ne les empêche pas de mourir! Et je ne peux pas te protéger durant le jour!
Ses doigts me serrent à m’en faire mal et je m’empresse de le faire taire d’un baiser:
— Le seul homme que j’ai envie d’embrasser, c’est toi, Jonas. Je peux te le jurer.
— Ton rêve indique que ce ne sera pas toujours le cas.
— Peut-être qu’il indique que tu vas te lasser de moi?
Il me serre contre lui et me bascule dos contre le lit, sous son corps, avant de secouer la tête au-dessus de la mienne:
— Impossible!
Sa certitude me touche, assez pour que je sente une boule de larmes se former dans ma gorge. Notre histoire est arrivée si vite, comme un coup de vent, et ce n’est que maintenant qu’elle me paraît fragile. Je soupire, caresse son visage du bout des doigts et je fais mine de retrouver un air léger:
— Faisons en sorte que ça n’arrive pas, tu veux?
— Oui.
Son baiser est dévorant, comme la promesse qu’il tente de sceller et à laquelle je m’accroche de toutes mes forces.
* * *
C’est mon anniversaire. Pour l’occasion, Martin nous invite dans un restaurant. Pour faire preuve de bonne foi et, surtout, pour faire plaisir à Jeanne, je mets une robe, mais je m’assure que les manches soient suffisamment longues pour couvrir mes marques. Heureusement, je ne suis pas la seule à être déguisée: tout le monde est vêtu avec goût et je ne masque pas mon étonnement devant un Jonas en habit sombre, mais agréablement ajusté à son corps félin. Lui ai-je seulement déjà dit à quel point il est beau? Je n’en ai pas le moindre souvenir…
L’avantage d’être dans un restaurant, c’est que nous sommes contraints de discuter de tout et de n’importe quoi, sauf de combats, de sang ou de créatures surnaturelles. Patrick en profite pour nous raconter des films d’action à voir absolument. Nous essayons d’agir comme des gens normaux, venus festoyer et boire un peu de vin en l’honneur de mon dix-huitième anniversaire. Étrangement, je me sens plus vieille. Mais avec tout ce bruit, je regrette de ne pas passer ma soirée seule avec Jonas. Au bout de deux verres de vin, je deviens légèrement nostalgique et j’avoue que je cherche souvent sa main sous la table. Il me fixe en silence, tente de me rappeler discrètement que Patrick et Kevin ignorent que nous sommes ensemble, lui et moi, mais l’alcool fait probablement effet, parce que je m’en fiche. Après tout, ça ne regarde personne, avec qui je sors!
À la moitié du repas, je m’éclipse aux toilettes. Chez Martin, les repas durent une petite heure, mais ici, ça s’éternise! J’ai besoin de bouger et de prendre l’air. Mine de rien, essayer de suivre un tas de conversations et de répondre quelque chose d’intelligent à chaque fois qu’on vous parle, ça demande de la concentration. Sans parler qu’avec tous les plats qui défilent, je ne sais pas si je pourrai me rendre au dessert!
Alors que je traverse le bar pour me rendre au fond de l’établissement, mes pieds se figent soudain: je viens de tomber nez à nez avec le démon de l’épicerie, élégamment vêtu, avec un verre de vin dans une main. Je détourne les yeux pour éviter qu’il me remarque, mais une sorte de voile m’entoure. De toute évidence, je ne suis pas la seule à le ressentir, car il se plante devant moi, un large sourire aux lèvres:
— Wow! J’ai failli ne pas vous reconnaître, dans cette tenue…
Je feins un sourire et fais un pas de côté pour reprendre ma route, mais il poursuit, plus rapidement:
— Je ne voulais pas vous effrayer, l’autre jour. Je suis retourné à l’épicerie pour vous voir, mais…
— Ce n’est pas grave. C’est tout oublié, l’interromps-je.
À peine ai-je fait un pas supplémentaire qu’il se repositionne devant moi, essayant visiblement de bloquer mes tentatives pour m’éloigner de sa personne:
— Je vous effraie toujours?
— Non, mais je voudrais bien aller aux toilettes, dis-je en essayant tant bien que mal de lui montrer que je suis déterminée à m’y rendre.
Au lieu de s’écarter de mon chemin, il tend une main dans ma direction et je recule brusquement. Devant ma réaction un peu vive, il ramène aussitôt sa main près de son corps et recule d’un pas:
— Du calme! Je voulais seulement me présenter, dit-il en levant les paumes devant moi.
— Vous êtes un démon. Je crois que les présentations peuvent s’arrêter là.
Il hausse un sourcil en affichant une légère surprise. Peut-être est-ce parce que je l’ai identifié ou parce que j’ai osé le lui dire aussi directement. Qui sait? N’empêche, comme je suis bonne joueuse, je remonte aussitôt la manche de ma robe pour lui laisser entrevoir ma première marque:
— Si j’étais à votre place, j’éviterais de me serrer la main. Et je filerais d’ici avant que les gens qui m’accompagnent vous remarquent. Je ne pense pas que vous aimeriez les rencontrer…
Alors que je m’attendais à le voir déguerpir, il sourit et planque la seule main qu’il a de disponible dans la poche de son veston, étonnamment calme:
— Merci du conseil, me dit-il en prenant une gorgée de vin.
— Pas de quoi.
Qu’il ne tente ni de m’intimider ni de m’attaquer me surprend. Assez pour que je reste quelques secondes à le fixer sans comprendre ce qu’il cherche à prouver. Surtout qu’il ne s’est toujours pas écarté du chemin et que le bar est suffisamment bondé pour qu’il y ait de fortes chances que je le frôle si je m’aventure d’un côté ou de l’autre.
— Au cas où ça vous intéresserait, je m’appelle Sam, dit-il soudain.
— Ça ne l’intéresse pas.
La voix de Jonas me fait sursauter, surtout que je ne l’ai pas senti arriver derrière mon dos. Sa main se pose sur ma taille et me ramène contre lui dans un geste étonnamment protecteur. Si sa tentative se veut dissuasive pour le démon, il n’en est rien:
— Un vampire? Alors là… j’aurai tout vu, rigole-t-il.
Je pose ma main sur celle de Jonas, pour m’assurer qu’il ne va pas sauter sur le démon au milieu de cette foule, puis je mets aussitôt l’homme en garde:
— Faites en sorte que ce ne soit pas la dernière chose que vous verrez.
Dans un geste étrangement galant, il hoche la tête en inclinant le haut de son corps devant moi, fait un pas de côté pour libérer ma route et me fait signe de passer.
— J’ai été ravi de vous revoir, petit soldat. Monsieur le vampire…
Je m’accroche au poignet de Jonas et l’entraîne avec moi, mais je ne doute pas que le ton ironique utilisé par le démon lui a déplu. Il m’escorte jusqu’aux toilettes, où je n’ai pas le temps d’entrer que je croise son regard sombre.
— Quoi? demandé-je, encore énervée par la scène que nous venons de vivre.
— Je n’aime pas ça.
— Je n’aime pas ça non plus, mais on ne pouvait quand même pas l’attaquer devant tout le monde!
— Qu’est-ce qu’il fait ici?
— Mais je n’en sais rien! sifflé-je, non sans me sentir légèrement visée par sa question.
Son regard se perd dans le vide et il se met à réfléchir à voix haute:
— Les démons ne laissent rien au hasard. Il te cherche. Je ne vois pas d’autres explications…
— Maintenant qu’il sait ce que je suis et avec qui je suis, peut-être qu’il me laissera tranquille?
— Liz! Allons! Tu vois bien que ça l’amuse? Il n’y a qu’un démon très puissant qui peut se permettre d’agir de la sorte.
— Tu dis n’importe quoi! Les démons sont généralement idiots et imbus d’eux-mêmes. La plupart me sous-estiment… jusqu’à ce que je les expédie au purgatoire, évidemment!
J’élève la voix, en espérant que Sam entende mes paroles et comprenne que je n’entends pas jouer à son petit jeu bien longtemps. S’il compte se remettre sur ma route, je vais devoir lui faire peur une bonne fois pour toutes.
Jonas paraît anxieux et passe son temps à observer autour de nous, comme s’il craignait que nous soyons attaqués à chaque instant.
— Attends-moi ici, je reviens, annoncé-je en entrant dans les toilettes.
Je me plante devant la glace et soupire avec bruit. Encore une soirée qui se voulait normale et qui risque de se terminer en drame. Décidément, les robes me portent la poisse! Quel idiot, ce démon! Il n’a donc pas compris que je pouvais le chasser hors de ce corps en moins de deux? Est-ce qu’il me nargue ou quoi? Et pourquoi mon bras ne m’a-t-il pas avisé de sa présence?
Quand je sors, Jonas m’agrippe le poignet et m’entraîne à l’extérieur en utilisant la porte arrière, qui conduit à une terrasse. Je peste à cause de son pas rapide. Je ne suis absolument pas vêtue pour marcher à une telle vitesse.
— J’ai laissé un message à Martin. On le retrouve à l’appartement. Il vaut mieux ne pas prendre de chance et éviter qu’ils nous voient tous ensemble. Ça peut mettre les autres en danger.
— Mais rien ne dit qu’il va nous attaquer!
Il fait volte-face, si vite que je me cogne à son torse.
— J’essaie de te protéger, tu ne le vois pas? me demande-t-il en élevant la voix. Sans compter que cet homme est possiblement un rival. Les choses auraient été beaucoup plus simples si je l’avais tué.
— Un rival! Ouais! Dans quinze ans, peut-être! Quand je serai trop vieille pour toi!
Il grogne et se remet à marcher, toujours trop rapidement pour moi. Je m’énerve et retire mes chaussures pour pouvoir le suivre dans les rues achalandées du centre-ville.
— On prend un taxi? suggéré-je.
Il s’arrête brusquement et, pendant une fraction de seconde, je m’imagine que c’est pour répondre à ma question, mais je ressens un picotement le long de mon bras qui ne m’inspire aucunement confiance. L’instant d’après, Jonas me soulève et se met à courir à toute vitesse en direction d’une ruelle un peu à l’écart, mais où, de l’autre côté, deux démons nous bloquent le passage. Je retombe sur mes pieds et me place en position de combat, ce qui fait rire l’un de nos deux adversaires:
— T’as vu la petite? Elle y croit, on dirait.
À peine s’est-il élancé vers moi que Jonas l’agrippe avant qu’il m’atteigne et lui brise la nuque. Le corps inerte tombe sur le sol et je peine à voir la fumée qui s’en échappe, car Jonas revient se positionner devant moi pour me protéger de l’autre démon. Sous le choc, je bredouille:
— Tu ne devais pas…
— Ils sont quatre, Liz. On n’a pas le temps pour ça.
Aussitôt, je tourne la tête pour apercevoir deux autres adversaires qui bloquent l’autre issue et je plaque mon dos contre celui de Jonas pour que nous puissions tous les voir. Nous sommes encerclés, mais je ne compte pas me laisser faire. Histoire de les déstabiliser, je remonte ma manche pour leur faire voir mes marques.
— Oh, un soldat, t’as vu? se moque l’un de ceux qui viennent d’arriver. Dis donc, le vampire, tu dois être novice, parce que tu t’es trompé de cible. Celle-là, elle ne risque pas d’être comestible!
Les rires fusent autour de nous et même si je tente de garder mon calme, je sens néanmoins un nœud rempli de peur se former dans mon ventre.
— Je tue celui-ci, annonce Jonas à voix basse, profites-en pour filer. Je m’occuperai des deux autres par la suite.
— Je ne te laisserai certainement pas seul! grondé-je.
Son corps s’éloigne du mien, signe qu’il passe à l’attaque, mais tout ce que je vois, c’est l’espèce de vieux pistolet que sort l’un des deux démons devant moi. Le coup résonne, me perce les tympans, mais je ne sens rien. Pourtant, ma main se pose mécaniquement sur mon ventre pour vérifier que je n’ai pas été atteinte. Mon deuxième réflexe est de vérifier où se trouve Jonas, et mon sang se glace lorsque je le découvre à genoux, derrière moi.
Quelque chose de puissant se faufile dans mon bras. Pas juste une chaleur, mais un brasier. Ma voix résonne dans la ruelle et me paraît soudain plus puissante que ce coup de feu:
— Non!
Tant pis pour les démons, je me jette sur le sol, récupère Jonas dans mes bras avant qu’il s’écroule tandis qu’il tente de me repousser:
— Ce n’est rien. Sauve-toi!
Le démon qu’il s’apprêtait à attaquer bondit vers nous et il y a une telle colère en moi que je n’ai qu’à relever le bras pour qu’il s’écroule sur le sol avant même de nous atteindre. La fumée sort de sa bouche et s’envole vers le ciel.
— Comment as-tu…? me demande Jonas.
— Chut.
Les deux autres démons s’élancent à leur tour et je recommence l’opération. Mon bras est tellement en feu que j’ai la sensation que je pourrais les faire brûler vifs, mais dès qu’ils sont neutralisés, je me penche de nouveau sur Jonas:
— Est-ce que tu vas bien? Réponds!
— Ça va, dit-il faiblement, mais ça risque d’être difficile pour rentrer… la balle est toujours à l’intérieur.
Je pose rapidement ma main sur son torse, puis me mets à prier. Je soupire lorsque la chaleur revient au bout de mes doigts. Jonas gémit au moment où je sens quelque chose d’humide sortir de son corps. Je récupère la balle en bois, complètement imbibée de sang.
— Les salauds! dis-je, incapable de chasser cette colère qui résonne au fond de moi. Dire qu’ils auraient pu te tuer!
Au loin, des sirènes résonnent, signe que le coup de feu a été entendu et que les secours arrivent. Je tire sur le corps de Jonas:
— Il faut qu’on parte.
— C’est trop tôt. J’ai besoin de temps pour cicatriser.
— On n’a pas le temps d’attendre.
J’essaie de l’aider à se redresser, mais son corps est plus lourd que la pierre. Il retombe sur le sol et me fait signe de partir:
— Va. Je me débrouillerai.
— Mais t’as fini avec ça? m’emporté-je.
Sans attendre, je colle mon poignet devant sa bouche:
— Bois. Ça ira mieux après.
Il me repousse et me gronde dans un même souffle:
— Liz!
— Soit tu bois et tu reprends des forces, soit on attend tous les deux que tu puisses te relever. Qu’est-ce que tu préfères?
— Tu ne te rends pas compte que…
— Je me rends compte, oui. Allez! Dépêche! On n’a pas toute la nuit!
Je repositionne mon poignet et il s’évertue à détourner la tête tout en me jetant divers regards sombres, mais au bout de trois minutes, quand il voit que je n’ai pas changé d’avis, il cède en promettant:
— Je n’en prendrai qu’une goutte.
Mes dents se serrent lorsqu’il entaille ma chair et je retiens le cri qui se forme dans ma gorge, mais la main que Jonas pose pour retenir mon poignet contre sa bouche, puis la façon dont il se relève pour en boire davantage me confirment qu’il reprend des forces.
— Ça suffit, dis-je doucement.
Il me relâche brusquement, relève des yeux gorgés de sang vers moi et s’essuie les lèvres:
— Je ne te dis pas… comme c’est…
— On en reparlera, dis-je en me redressant.
Le bruit des sirènes est tout près, mais à peine ai-je le temps de me remettre à courir que Jonas me soulève et me bascule sur son dos, auquel je m’agrippe tant bien que mal pendant qu’il s’accroche au mur de l’immeuble avoisinant pour grimper sur le toit. Le paysage défile à toute vitesse et je ferme les yeux, en me serrant contre lui de toutes mes forces pendant qu’il effectue le chemin dans les airs plutôt que de chercher un moyen plus conventionnel de rentrer à la maison. Quand le vent cesse de soulever mes cheveux, j’ose ouvrir les yeux et la voix de Jonas se fait entendre:
— Ça va. Tu peux me lâcher, maintenant.
Par réflexe, je m’étais si fermement agrippée à son cou que j’ai du mal à ordonner à mes muscles de le relâcher. Je retombe sur mes pieds, mais je me sens un peu nauséeuse. Jonas me prend dans ses bras et m’embrasse sur le dessus de la tête, puis son rire résonne:
— Oh Liz! Si tu savais ce que ton sang me fait…
— Je préfère ne rien savoir.
Une main sur la poitrine, je tente de me calmer pour ne pas régurgiter mon dernier repas, mais mon geste ne fait que bonifier son rire:
— Je ne me suis jamais senti aussi fort… ni aussi bien.
— T’as de la chance, ironisé-je.
Il m’aide à m’asseoir et me frotte doucement le dos pendant que je respire à pleins poumons. C’est long, mais mon malaise finit par se dissiper. Enfin, je tourne la tête vers lui et remarque son sourire, le plus grand que son visage puisse afficher:
— T’as fini de faire le malin?
Son bras glisse sur ma taille, me ramène prestement vers lui et son baiser me cloue sur place. Je fonds littéralement devant sa fougue.
— On rentre, suggère-t-il avec un sourire à me transformer en flaque d’eau. Les autres doivent s’inquiéter…
Qu’il parle des autres me ramène mollement à la réalité, mais je hoche néanmoins la tête. Après un baiser pareil, j’aurais probablement répondu la même chose à tout ce qu’il m’aurait demandé. Il se lève le premier, m’aide à me redresser et je me retrouve à nouveau juchée sur son dos. En moins de deux minutes, nous retournons sur le sol et il ne me dépose que devant la porte d’entrée. Tout le monde cesse de parler et se retourne lorsque nous entrons à l’intérieur, mais c’est la peur que je perçois dans la voix de Martin qui me donne un électrochoc:
— Jonas, mon Dieu! Que s’est-il passé? Pourquoi tout ce sang?
— J’ai été touché par une balle en bois. Liz m’a sauvé.
La nouvelle paraît faire sensation, car un brouhaha s’élève dans la pièce, mais je les calme en levant la main:
— C’est Dieu qui a tout fait, comme d’habitude. De toute façon, je t’en devais une.
Je lance un regard réprobateur en direction de Jonas, car je crains de l’entendre avouer qu’il a bu mon sang. Connaissant Martin, je risque de passer un sale quart d’heure s’il le dit, mais le prêtre se positionne devant le vampire et le secoue par les épaules, visiblement ému de le savoir sain et sauf.
— Que s’est-il passé? Combien étaient-ils? le questionne-t-il.
— Et pourquoi on n’est jamais invités quand y’a de la bagarre? se plaint Patrick.
— Je t’aurais volontiers laissé ma place, lui rétorqué-je.
— Ils étaient quatre et Liz… si vous l’aviez vue…
Les mots de Jonas ne masquent en rien l’admiration qu’il éprouve pour ma récente performance. Il parle d’une aura qui se serait mise à briller autour de moi, orange comme le feu, mais à peine a-t-il terminé son récit que Kevin répète, estomaqué:
— Elle les a expulsés des corps sans avoir à les toucher?
— Je le jure, certifie le vampire en levant une main devant lui.
— C’est incroyable!
— Mais arrêtez! Je n’ai rien fait, moi! dis-je en essayant de calmer les questions qui fusent de partout dans la pièce.
Martin relâche Jonas et se tourne face à moi:
— Élisabeth, que s’est-il passé?
— Je ne sais pas, réponds-je en toute sincérité.
— Essaie de réfléchir. C’est important. Tu ne te rends pas compte! Tu es parvenue à neutraliser trois démons sans même avoir à les approcher!
Maintenant qu’il le dit, je réalise avec étonnement ce qui s’est réellement produit, là-bas, et j’affiche une première expression de surprise. Je leur raconte ce que j’ai ressenti, le fait que j’étais tellement obnubilée par la blessure de Jonas que je n’ai pas réfléchi.
— Tout s’est passé très vite, admis-je.
— Étais-tu triste ou… en colère?
— En colère, bien sûr! J’ai cru qu’ils venaient de le tuer! Je rugis juste à me remémorer mon sentiment d’alors et Martin affiche une drôle d’expression:
— La colère amplifie peut-être tes pouvoirs?
— Ça pourrait marcher pour moi aussi? demande Kevin.
— Qui sait, mon petit? répond le prêtre en haussant les épaules. Et je ne suis pas sûr que la colère soit le sentiment le plus sain pour se battre contre ceux qui en sont remplis.
— Ne faut-il pas combattre le feu par le feu? questionne Patrick.
— Qui sait? répète Martin en reposant les yeux sur moi. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il vaut mieux faire attention lorsque l’on joue à ce jeu. N’oublions pas que les démons ont une longueur d’avance sur nous dans ce domaine.
Je ne dis rien, mais s’il essaie de me faire regretter mon geste, c’est inutile. J’ai sauvé Jonas. C’est tout ce qui compte.
— Et c’est quand même étrange que vous ayez été attaqués par des démons, juste après que tu as revu celui qui était dans ton rêve, ajoute Martin.
J’ai envie de protester, de lui dire que c’est peut-être seulement une coïncidence, mais comment en être certaine? Et puis, à part sous-entendre que c’est possible, il n’accuse personne, ce qui a vite fait de me calmer. Sans compter que Patrick bondit de sa chaise et gronde:
— Quoi? Quel démon? Quel rêve?
Le rire de Martin résonne dans la pièce et il me lance un regard moqueur:
— Je crois qu’il est temps que nos amis soient dans la confidence, tu ne penses pas?
Je grimace, non sans admettre qu’il a raison. En vérité, je n’ai aucune envie de leur parler de ce rêve pour lequel je n’ai aucune interprétation et encore moins de ma relation avec Jonas qu’il va me falloir, je le crains, défendre bec et ongles.
Pour ma soirée d’anniversaire, l’an prochain, je promets de rester sagement à la maison!