MONACANTHE IV

Rares sont les traités qui relatent de la reine Monacanthe l’ascension puis la chute. Selon d’aucuns, l’absence d’événements spectaculaires justifie ce silence des hagiologues ; nous y voyons, pour notre part, l’influence d’une idéologie du vedettariat, le désintérêt des clercs pour l’obscur. Il faut pourtant parler des reines inconnues, des reines qui furent épouses furtivissimes. Monacanthe vécut d’abord parmi les épaves, dans la fosse Neuf ; elle fut enfantée par une dénommée Maryse Laperle, morte en couches, qui en rauquant sa dernière bulle la confia à une voisine, Babaïa Damdjane, dont la beauté orientale avait moult amateur en les abysses ; par dizaines se comptent les passions et les divorces dont les vagues bercèrent les premières années de Monacanthe ; durant une querelle amoureuse, Babaïa Damdjane reçut une morsure au ventre et, de la perte de substance qui suivit, elle mourut. Monacanthe fut confiée à l’orphelinat de la fosse Neuf, de réputation piètre. La discipline s’y relâchait ; les camarades de Monacanthe allaient et venaient à travers les murs, et, dans les périodes de ressac administratif, on mentionnait sur les registres le patronyme des absentes, le sobriquet des perdues, des croquées ; on rencontrait, à deux ou trois encablures de l’institution, des bandes requines qui écumaient. Monacanthe n’est pas inscrite sur ces listes de jeunes mortes ; on aperçoit son nom en 949, elle vient de se présenter au Certificat d’Études, et les résultats sont là, non ambigus : elle a échoué. Sa trace ensuite se dissout. On peut imaginer qu’elle a rejoint une branche industrielle quelconque, ou qu’elle se prostitue dans le quartier des pieuvres, et qu’elle rêve de gravir lentement, époux après époux, les degrés de l’ascension sociale. En 957, à la faveur d’un Carnaval, elle rencontre le roi ; n’ayant que ses propres cheveux sur l’écaille, elle se dépouille aussitôt ; il l’insémine dans l’instant, entre deux bals, et, quand elle se relève, le Nettoyeur du Palais s’approche, lui entaille le flanc et la vide.

Concernant la reine Monacanthe IV, 949 et 957 sont les seules dates que l’histoire se flatte de pouvoir fournir.