VI.
SOUS LES FANGES D’UN SOUS-RÊVE
Sur les murs dressés devant les maisons encore vivantes, il te sera strictement interdit de peindre des slogans hostiles à ce qui gouverne le monde ou de coller des affiches qui clameraient ton indignation. En revanche, sur les murs édifiés devant les maisons déjà mortes, on t’encouragera à dessiner un ciel clair sans nuages, et ensuite à y brosser des taches qui ressembleront à des nuages. Dans la rue qui organisera la morne absence de toute issue, devant les maisons où survivent les restes des hommes et des femmes, on ne t’autorisera pas à courir, tu ne ressentiras pas l’envie de hurler ou de bouger. En revanche, quand tu longeras les ruines habitées par des hôtes moins respectables encore que des hommes, peuplées par des spectres inactifs et par des rats, on t’accordera le droit de contempler un ersatz de ciel abaissé à la hauteur de tes yeux, et on te fera répéter le commentaire obligatoire, on te conseillera de dire que rien n’empêche jamais la poésie, même quand elle accompagne l’abandon de tout espoir, et on te poussera à déclarer que le ciel est magnifique quelle que soit sa place dans le paysage et quel que soit le peintre. Tu seras plantée là, sous les fanges d’un sous-rêve, répétant la leçon, ânonnant la bien-pensante leçon, et tu auras l’esprit exsangue, la volonté comme après un cataclysme et après la gesticulation des sauveteurs autour des cadavres. Tu essaieras pourtant de désobéir, tu ne prétendras pas que les ruines ont été joliment camouflées, tu chuchoteras des critiques contre ce qui gouverne le monde, tu éviteras d’apprécier les angles pittoresques dans le ciel, dans la rue, dans le désert, dans tes souvenirs. Il y eut un temps où sur les surfaces de brique la peinture blanche servait à construire une histoire et à appeler à l’aide ou à la révolte, il y eut un temps où des hommes et des femmes niaient l’idée de la défaite, il y eut un temps où même les animaux savaient établir la différence entre l’envers et l’endroit du décor.