Le lendemain, la crise était passée : les Turcs avaient clairement échoué. Les Juheina étaient actifs sur leur aile, à partir de Wadi Yenbo. Les efforts architecturaux de Garland autour de la ville devenaient impressionnants. Sir Archibald Murray, à qui Fayçal avait demandé une démonstration au Sinaï pour empêcher les Turcs de retirer de nouvelles troupes qu'ils enverraient servir à Médine, fit une réponse encourageante, et tout le monde respirait d'aise. Quelques jours plus tard, Boyle dispersa ses navires, promettant une nouvelle concentration éclair sur un autre avertissement, et je saisis l'occasion de descendre à Rabegh, où je rencontrai le Colonel Brémond, le grand chef barbu de la Mission militaire française, et le seul véritable soldat du Hedjaz. Il continuait à utiliser son détachement français de Suez comme levier pour déplacer une brigade britannique à Rabegh et, comme il me soupçonnait de ne pas être entièrement de son parti, il fit un effort pour me convertir.
Au cours de la discussion qui suivit, je fis allusion à la nécessité d'attaquer bientôt Médine ; car, avec tous les Britanniques, je pensais que la chute de Médine était un préliminaire nécessaire à tout nouveau progrès de la Révolte arabe. Il me reprit de façon tranchante, disant qu'il ne convenait en aucune façon que les Arabes prissent Médine. De son point de vue, le mouvement arabe avait atteint son utilité maximum avec la simple rébellion de La Mecque, et les opérations militaires contre la Turquie se trouvaient mieux entre les seules mains de la Grande-Bretagne et de la France. Il souhaitait débarquer des troupes alliées à Rabegh, parce que cela refroidirait l'ardeur des tribus en rendant le Chérif suspect à leurs yeux. Les troupes étrangères seraient alors sa défense principale, et sa protection serait notre travail et notre option, jusqu'à ce que, à la fin de la guerre, quand la Turquie serait vaincue, les Puissances victorieuses pussent par traité arracher Médine au Sultan et la conférer à Hussein, avec la souveraineté légale sur le Hedjaz, comme récompense pour service loyal.
Je n'arrivais pas à croire, comme lui, que nous fussions assez forts pour nous dispenser de petits alliés ; aussi dis-je brièvement que mes opinions étaient opposées aux siennes. Je faisais porter le plus grand poids sur la conquête immédiate de Médine, et si je conseillais à Fayçal de s'emparer de Wedjh, c'était pour renforcer sa menace contre le chemin de fer. En somme, dans mon esprit, le Mouvement arabe ne justifiait pas sa création si l'enthousiasme qu'il suscitait ne menait pas les Arabes à Damas.
Cela lui était inopportun, car le traité Sykes-Picot de 1916 entre la France et l'Angleterre avait été rédigé par Sykes dans cette éventualité même et, pour la couronner, stipulait l'établissement d'États arabes indépendants à Damas, Alep et Mosoul, districts qui passeraient autrement sous le contrôle absolu de la France. Ni Sykes ni Picot n'avaient cru la chose réellement possible, mais je savais qu'elle l'était, et je pensais que, dès lors, la vigueur du Mouvement arabe préviendrait l'établissement – par nous ou par d'autres – de schémas d'exploitation « coloniaux » déplacés en Asie occidentale.
Brémond se réfugia dans sa sphère technique, et m'assura, sur son honneur d'officier d'État-major, que quitter Yenbo et aller à Wedjh était, pour Fayçal, un suicide militaire ; mais je ne voyais aucune force aux arguments qu'il me lançait avec volubilité, et je le lui dis. C'était une entrevue curieuse, celle-là, entre un vieux soldat et un jeune homme déguisé ; et elle me laissa un mauvais goût dans la bouche. Le Colonel, comme ses compatriotes, était un réaliste en amour, et à la guerre. Même dans des situations de poésie, les Français restaient d'incorrigibles prosateurs, voyant grâce à la lumière directe de la raison et de l'entendement, et non pas avec l'œil mi-clos, brumeusement, par la radiance essentielle des choses, à la façon des Britanniques imaginatifs : aussi les deux races travaillaient-elles mal ensemble dans une grande entreprise. Cependant, je me contrôlai assez pour ne rapporter la conversation à aucun Arabe, mais j'envoyai un rapport complet au Colonel Wilson, qui allait bientôt venir voir Fayçal et discuter avec lui de l'affaire de Wedjh sous tous ses aspects.
Avant l'arrivée de Wilson, le centre de gravité turc changea brusquement. Fakhri Pacha avait vu qu'il était sans espoir d'attaquer Yenbo, ou de poursuivre les insaisissables Juheina dans Kheif Hussein. De plus, il était violemment bombardé à Nakhl Moubarak même, par une paire d'hydravions britanniques qui effectuaient des vols audacieux au-dessus du désert et touchèrent durement l'ennemi en deux occasions, malgré ses shrapnells.
Il décida donc de se replier précipitamment sur Bir Saïd, en y laissant une petite force pour contenir les Juheina, et de descendre la route Sultani vers Rabegh avec le gros de ses hommes. Ces changements étaient sans doute partiellement causés par la vigueur inhabituelle d'Ali à Rabegh. Dès qu'Ali avait reçu la nouvelle de la défaite de Zeid, il lui avait envoyé des renforts et des canons ; et quand Fayçal lui-même s'effondra, il décida d'aller au nord avec toute son armée, pour attaquer les Turcs à Wadi Safra et les écarter de Yenbo. Ali avait presque sept mille hommes, et Fayçal pensait que, si ce mouvement était synchronisé avec le sien, la force de Fakhri pourrait être écrasée entre eux dans les collines. Il télégraphia, faisant cette suggestion et demandant un délai de quelques jours jusqu'à ce que ses hommes ébranlés fussent prêts.
Ali était bien remonté et ne voulait pas attendre. Fayçal dépêcha donc Zeid à Masahali, dans le Wadi Yenbo, pour faire des préparatifs. Quand ceux-ci furent accomplis, il envoya Zeid occuper Bir Saïd, et ce fut fait avec succès. Il ordonna alors aux Juheina d'avancer en soutien. Ils renaclèrent ; car Ibn Bedawi était jaloux du pouvoir croissant de Fayçal parmi ses tribus, et voulait rester indispensable. Fayçal chevaucha sans escorte jusqu'à Nakhl Moubarak, et en une nuit convainquit les Juheina qu'il était leur chef. Le lendemain matin, ils avançaient tous, pendant qu'il continuait son chemin pour réunir les Harb du Nord sur Tasha Pass et briser la retraite turque dans Wadi Safra. Il avait presque six mille hommes et, si Ali s'emparait de la rive sud de la vallée, les Turcs en position de faiblesse seraient pris entre deux feux.
Malheureusement, cela ne se produisit pas. Alors qu'il était déjà en route, il reçut des nouvelles d'Ali : après la reprise pacifique de Bir ibn Hassani, les hommes avaient été ébranlés par de faux rapports faisant état d'infidélité parmi les Subh, et s'étaient repliés en un désordre précipité sur Rabegh.
Dans cette pause de mauvais augure, le Colonel Wilson arriva à Yenbo pour nous persuader de la nécessité d'une opération immédiate contre Wedjh. Un plan amendé avait été préparé, selon lequel Fayçal réunirait les forces entières des Juheina, et ses bataillons permanents, contre Wedjh, avec le maximum d'appui naval. L'ensemble aurait une puissance qui rendrait le succès raisonnablement certain, mais laisserait Yenbo vide et sans défense. Pour le moment, Fayçal redoutait de courir un tel risque. Il souligna, non sans raison, que les Turcs de son voisinage étaient encore mobiles ; que la force d'Ali s'était montrée creuse, probablement peu capable de défendre même Rabegh contre une attaque sérieuse ; et que, comme Rabegh était le rempart de La Mecque, plutôt que de la voir perdue il devrait renoncer à Yenbo, et faire transporter par mer ses hommes et lui-même là-bas pour mourir en combattant sur la plage.
Pour le rassurer, Wilson dépeignit la force de Rabegh en couleurs chaudes. Fayçal vérifia sa sincérité en lui demandant sa parole personnelle que la garnison de Rabegh, avec un appui naval britannique, résisterait à l'attaque ennemie jusqu'à la chute de Wedjh. Wilson chercha du soutien sur le pont silencieux du Dufferin (où nous tenions conférence), et donna noblement l'assurance demandée : un sage pari, car sans cela Fayçal n'eût pas bougé, et cette diversion contre Wedjh, la seule offensive au pouvoir des Arabes, était leur dernière chance non pas tant d'assurer un siège vraisemblable de Médine, que de prévenir la capture de La Mecque par les Turcs. Quelques jours plus tard, il renforça sa position en envoyant à Fayçal l'ordre direct de son père, le Chérif, de se rendre à Wedjh immédiatement, avec toutes ses troupes disponibles.
Cependant, la situation de Rabegh empirait. Les forces ennemies dans Wadi Safra et sur la route Sultani étaient estimées à presque cinq mille hommes. Les Harb du Nord se montraient implorants à leur égard, pour la préservation de leurs palmeraies. Les Harb du Sud, ceux de Hussein Mabeirig, attendaient ostensiblement leur avance pour attaquer les Chérifiens sur leurs arrières. Lors d'une conférence de Wilson, Brémond, Joyce, Ross et d'autres, tenue à Rabegh la veille de Noël, il fut décidé de dresser sur la plage près de l'aérodrome une petite position, capable d'être tenue sous la protection des canons du vaisseau par les Égyptiens, le Flying Corps et un détachement de marins du Minerva, pendant les quelques heures nécessaires pour embarquer ou détruire les munitions. Les Turcs avançaient pas à pas, et la place n'était pas en état de résister à un bataillon bien manié, soutenu par de l'artillerie de campagne.
Quoi qu'il en fût, Fakhri se montra trop lent. Il ne franchit pas Bir el-Sheikh en quelque force que ce fût avant la fin de la première semaine de janvier ou presque et, sept jours plus tard, n'était pas encore prêt à attaquer Khoreiba, où Ali avait un avant-poste de quelques centaines d'hommes. Les patrouilles venaient au contact, on attendait un assaut chaque jour, et il était aussi régulièrement différé.
En vérité, les Turcs rencontraient des difficultés que nous ne devinions pas. Leur quartier général affrontait un taux élevé de maladie parmi les hommes, et une faiblesse croissante des animaux : tous deux symptômes de surmenage et de manque de nourriture décente. L'activité des tribus derrière leur dos les embarrassait en permanence. Des clans pouvaient parfois s'écarter de la cause arabe, mais ne devenaient pas pour autant des partisans de confiance des Turcs, qui se trouvèrent bientôt dans un pays d'hostilité omniprésente. Les raids tribaux de la première quizaine de janvier leur causèrent des pertes quotidiennes moyennes de quarante chameaux et quelque vingt hommes tués ou blessés, avec une dépense correspondante de munitions.
Ces raids pouvaient avoir lieu en tout point, de dix milles vers la mer depuis Médine elle-même jusqu'aux soixante-dix milles suivants à travers les collines. Ils illustraient les obstacles sur le chemin de la nouvelle armée turque, avec un équipement d'une complexité à demi germanisée, lorsque, venant d'un lointain chemin de fer, sans routes, elle essayait d'avancer dans un pays extrêmement accidenté et hostile. Les développements administratifs de la guerre scientifique avaient entravé sa mobilité et détruit son élan ; et les ennuis croissaient en progression géométrique plutôt qu'arithmétique avec chaque mille que ses commandants mettaient entre eux et Médine, leur base mal pourvue, peu sûre et incommode.
La situation était si peu prometteuse pour les Turcs que Fakhri fut probablement à demi satisfait quand les mouvements prochains et soudains d'Abdulla et de Fayçal dans les derniers jours de 1916 modifièrent la conception stratégique de la guerre au Hedjaz et firent revenir en hâte l'expédition vers La Mecque (après le 18 janvier 1917) par les routes Sultani, Fara et Gaha, en quittant Wadi Safra pour tenir une défense passive retranchée en vue des murs de Médine : position statique qui dura jusqu'à ce que l'Armistice terminât la guerre, et qui engagea la Turquie dans la morne reddition de la Ville Sainte et de sa garnison impuissante.