Pendant la nuit, nous perdîmes notre chemin parmi les crêtes et les vallées rocheuses de Dhouleil, mais nous continuâmes à avancer jusqu'à l'aube, si bien qu'une demi-heure après le lever du soleil, alors que les ombres étaient encore longues en travers des creux verts, nous avions atteint notre ancien point d'eau, Khau, dont les ruines se détachaient comme une croûte du sommet de la colline, contre Zerga. Nous travaillions dur aux deux citernes, abreuvant nos chameaux pour la marche de retour à Bair, quand un jeune Circassien apparut, poussant trois vaches vers la riche pâture verte des ruines.
C'était fâcheux ; Zaal envoya donc les trop énergiques coupables de la veille montrer convenablement leur fougue en le traquant ; et ils nous l'amenèrent, sauf, mais grandement effrayé. Les Circassiens étaient des fanfarons, bravaches inconsidérés quand la voie était dégagée, mais, si on les affrontait fermement, ils s'effondraient, et ce garçon était des pieds à la tête saisi d'une terreur qui offensait notre sentiment de décence. Nous l'aspergeâmes d'eau jusqu'à ce qu'il se remît, puis, pour mieux en disposer, l'opposâmes dans un duel au poignard à un jeune Shérari qu'on avait pris à voler pendant l'étape ; mais, après une égratignure, le prisonnier se jeta à terre en pleurant.
Il représentait maintenant une gêne, car, si nous l'abandonnions, il donnerait l'alarme et enverrait contre nous les cavaliers de son village. Si nous le ligotions, il mourrait de faim ou de soif dans cet endroit écarté ; de plus, nous n'avions pas de corde à perdre. Le tuer semblait un manque d'imagination, indigne d'une centaine d'hommes. Enfin, le jeune Shérari dit que, si nous le laissions faire, il lui réglerait son compte sans lui ôter la vie.
Il attacha le poignet du prisonnier à sa selle et le fit trotter avec nous pendant la première heure, jusqu'à ce qu'il fût traîné, hors d'haleine. Nous étions encore près de la voie ferrée, mais à quatre ou cinq milles de Zerga. Là, il fut dépouillé de ses vêtements présentables qui revenaient, suivant la règle d'honneur, à son maître. Le Shérari le jeta à plat ventre, lui prit les pieds, dégaina une dague et lui incisa profondément la plante des pieds. Le Circassien hurla de souffrance et de terreur comme s'il avait cru qu'on l'assassinait.
Aussi bizarre que fût l'opération, elle semblait efficace, et plus miséricordieuse que la mort. Les coupures le forceraient à se rendre jusqu'à la voie ferrée sur les mains et les genoux, un trajet d'une heure ; et sa nudité le maintiendrait à l'ombre des rochers jusqu'à ce que le soleil fût bas. Sa gratitude ne s'ensuivit pas, mais nous nous éloignâmes, au milieu d'ondulations à la pâture très riche. Les chameaux, la tête baissée pour arracher plantes et herbe, avançaient de façon inconfortable pour nous, qui nous tenions dressés sur la chute de leur cou incliné ; pourtant nous devions les laisser manger, puisque nous couvrions quatre-vingts milles par jour, ne faisant de pause que pour respirer dans les brefs crépuscules de l'aube et du soir.
Peu de temps après le lever du jour, nous tournâmes à l'ouest et mîmes pied à terre près de la voie ferrée, parmi des récifs de calcaire brisés, pour ramper prudemment en avant jusqu'à surplomber la gare d'Atwi. Ses deux bâtiments de pierre (le premier à cent mètres seulement) se trouvaient en ligne, l'un cachant l'autre. Des hommes chantaient à l'intérieur, sans inquiétude. Leur journée commençait, et de la salle de garde une mince fumée bleue montait dans l'air, pendant qu'un soldat poussait un troupeau de jeunes moutons pour qu'ils broutent dans le riche pâturage entre la gare et la vallée.
Ce troupeau régla l'affaire car, après nous être nourris de grain sec comme des chevaux, nous avions trop faim de viande. Les Arabes grinçaient des dents en comptant dix, quinze, vingt-cinq, vingt-sept. Zaal descendit dans le lit de la vallée, où la ligne traversait un pont et, avec un groupe en file indienne derrière lui, rampa jusqu'à faire face à la gare au-delà du pâturage.
De notre crête, nous couvrions la cour de la gare. Nous vîmes Zaal appuyer son fusil sur le talus, abritant avec d'infinies précautions sa tête derrière des herbes du rebord. Il visa lentement les officiers et fonctionnaires qui sirotaient leur café dans des fauteuils ombragés près du guichet. Quand il pressa la détente, la détonation recouvrit le bruit de l'impact de la balle contre le mur de pierre, pendant que l'homme le plus gras se penchait doucement dans son fauteuil et tombait à terre sous le regard figé de ses camarades.
Un instant plus tard, les hommes de Zaal déversaient leur feu, bondissaient hors de la vallée et se précipitaient en avant ; mais la porte du bâtiment au nord claqua, et des fusils commencèrent à parler derrière ses volets d'acier. Nous repondîmes, mais vîmes bientôt notre impuissance, et cessâmes le feu, ainsi que l'ennemi. Les Shérarat poussèrent les moutons coupables vers l'est, dans les collines où se trouvaient les chameaux ; tous les autres coururent rejoindre Zaal qui s'occupait du bâtiment plus proche et non défendu.
Au point culminant du pillage, survinrent une pause et une panique. Les Arabes étaient des éclaireurs si expérimentés qu'ils ressentaient presque le danger avant qu'il n'arrive, les sens prenant des précautions avant que l'esprit fût convaincu. Ballottant sur la voie, une draisine arrivait du sud avec quatre hommes, mais le grincement des roues avait rendu leurs oreilles sourdes à nos tirs. Le détachement Rualla se glissa sous un ponceau trois cents mètres plus loin, pendant que le reste de notre troupe s'assemblait en silence près du pont.
La draisine passa sans soupçon au-dessus des hommes embusqués qui sortirent de leur cachette derrière elle, pendant que nous nous alignions solennellement par-devant sur la prairie. Les Turcs horrifiés ralentirent, sautèrent et se précipitèrent dans les broussailles ; mais nos fusils claquèrent une fois de plus, et ils étaient morts. La draisine mit à nos pieds son chargement de fils de cuivre et d'appareillage télégraphique avec lequel nous pratiquâmes des « mises à terre » dans le câble longue distance. Zaal mit le feu à notre moitié de gare, dont la structure de bois éclaboussée de pétrole s'enflamma généreusement. Les planches et les tentures se tordirent et se secouèrent convulsivement quand les flammes les léchèrent. Pendant ce temps, les Ageyls préparaient des charges de gélinite ; bientôt nous les allumâmes pour détruire un ponceau, de nombreux rails et des centaines de mètres de ligne télégraphique. Au rugissement de la première explosion, nos cent chameaux entravés au genou se levèrent vivement et, à chaque explosion suivante, sautillèrent plus follement sur trois pattes jusqu'à se libérer de la corde qui liait la quatrième, et s'égaillèrent de tous côtés comme des étourneaux en fuite dans le vide. Les rassembler, eux et les moutons, nous prit trois heures, que les Turcs nous accordèrent gracieusement, sans quoi certains d'entre nous auraient dû rentrer à pied.
Nous mîmes quelques milles entre nous et la voie ferrée avant de nous consacrer à notre festin de viande ovine. Nous manquions de couteaux et, après nous être relayés pour tuer les moutons, eûmes recours à des silex de hasard pour les dépecer. Pour des hommes inhabitués à de tels expédients, nous les utilisâmes dans l'esprit éolithique, et je pensai que, si le fer avait constamment été rare, nous aurions habilement façonné par éclats nos outils quotidiens, comme des paléolithiques, et que, si nous n'avions absolument pas eu de métal, notre art se serait prodigué sur de parfaites pierres polies. Nos cent dix hommes mangèrent en une fois les meilleurs morceaux de vingt-quatre moutons, pendant que les chameaux broutaient alentour ou consommaient nos restes, car les meilleurs chameaux de selle étaient dressés à aimer la viande cuite. Quand ce fut terminé, nous montâmes en selle, nous dirigeant dans la nuit vers Baïr où nous entrâmes à l'aube, sans avoir subi de pertes, couronnés de succès, repus et enrichis.