CHAPITRE LXIV

Abdulla faisait des progrès dans sa tentative d'arrangement. Gassim, qui n'était plus provoquant, mais boudeur, ne donnait plus d'avis publiquement, si bien qu'une centaine d'hommes des petits clans osèrent le défier en promettant de venir avec nous. Nous en discutâmes avec Zaal et décidâmes de tenter notre chance en utilisant au maximum cette force. Un plus long délai aurait remis en question les adhésions dont nous disposions alors, sans grand espoir d'en obtenir d'autres, dans l'humeur présente des tribus.

C'était un petit groupe, seulement un tiers de ce que nous avions espéré. Notre faiblesse modifierait regrettablement nos plans ; de plus, nous manquions d'un chef assuré. Comme toujours, Zaal se montrait capable de diriger, prévoyant et actif dans tous les préparatifs concrets. C'était un homme plein d'ardeur, mais trop proche d'Aouda pour convenir aux autres ; sa langue acérée et le ricanement qui voltigeait sur ses lèvres bleues et humides attisaient la méfiance, et ne disposaient guère les hommes à suivre même ses bons conseils.

Le lendemain, les chameaux de bât envoyés par Fayçal arrivèrent, au nombre de vingt, confiés à dix affranchis et gardés par quatre de ses esclaves privés. C'étaient les serviteurs les plus fidèles de l'armée, avec une conception très particulière des devoirs du service personnel. Ils mourraient pour protéger leur maître de tout mal, ou mourraient avec lui s'il était atteint. Nous en attachâmes deux à chaque sergent, afin que, quoiqu'il m'arrivât, ils reviennent sains et saufs. Nous triâmes les charges dont nous avions besoin pour le raid réduit et préparâmes tout pour un départ matinal.

Donc, le seize septembre à l'aube, nous quittâmes Rumm. Aïd, le Chérif aveugle, insista pour venir, malgré sa vue perdue, disant qu'il pouvait monter, s'il ne pouvait pas tirer, et que, si Dieu nous était favorable, il quitterait Fayçal dans l'ivresse du succès et retournerait chez lui, pas trop désolé, vers l'existence vide qui lui restait. Zaal menait ses vingt-cinq Nowaséra, un clan des Arabes d'Aouda qui s'appelaient eux-mêmes mes hommes, et étaient célèbres dans le désert entier pour leurs chameaux de selle. Ma rude façon de monter un chameau les poussait à souhaiter ma compagnie.

Le vieux Motlog el-Awar, propriétaire d'El-Djédha, la meilleure chamelle d'Arabie du Nord, allait en tête. Nous regardions la bête d'un œil orgueilleux ou avide, selon notre relation avec lui. Ma Ghazala était plus haute et magnifique, d'un trot plus rapide, mais trop âgée pour qu'on la fît galoper. Toutefois, c'était le seul autre animal du groupe ou, en fait, de ce désert, qu'on pût comparer à la Djédha, et sa dignité augmentait mon honneur.

Le reste de notre troupe s'éparpillait comme un collier brisé. Il y avait des groupes de Zouweida, de Daraousha, de Togatga et de Zélébani ; et ce fut lors de cette marche que la valeur de Hammad el-Tougtagi attira pour la première fois mon attention. Une demi-heure après notre départ sortirent d'une vallée adjacente quelques Dhoumaniyeh au visage honteux, incapables de supporter que d'autres fassent un raid pendant qu'ils restaient oisifs avec les femmes.

Aucun groupe n'avançait ou ne parlait avec un autre, et je fis des va-et-vient toute la journée, comme une navette, parlant d'abord à un Sheik renfrogné, puis à un autre, m'efforçant de les rapprocher, pour qu'il pût y avoir une certaine solidarité avant le signal de l'action. Pour le moment, ils ne s'accordaient qu'à refuser d'écouter un mot de Zaal quant à notre ordre de marche, bien qu'ils le reconnussent comme le guerrier le plus intelligent et le plus expérimenté. Dans mon for intérieur, c'était le seul auquel je faisais confiance hors de ma vue. Des autres, il me semblait que ni les paroles ni les conseils, ni peut-être les fusils, n'étaient sûrs.

L'inutilité du pauvre Chérif Aïd, même en tant que chef nominal, me força à assumer la direction moi-même, à la fois contre mes principes et mon discernement, puisque les arts particuliers du raid tribal, les détails des haltes-repas et de la pâture, la direction à prendre, la paie, les disputes, le partage du butin, les vengeances de sang et l'ordre de marche étaient très en dehors du programme de l'Oxford School of Modern History. La nécessité d'improviser dans ces matières m'occupa tant que je ne pus voir le pays, ni me soucier de la façon d'attaquer Mudowwara ou d'utiliser au mieux nos explosifs par surprise.

Nous fîmes notre halte de midi dans un endroit fertile, où la pluie de fin de printemps, tombant sur un talus sableux, avait fait surgir des touffes épaisses d'herbe argentée que nos chameaux adoraient. Le temps était doux, parfait pour un mois d'août en Angleterre, et nous nous attardâmes dans un grand contentement, remis enfin des appétits querelleurs des journées précédant le départ, et de cette légère déchirure nerveuse inévitable quand on quitte même un campement temporaire. L'homme, dans les circonstances où nous nous trouvions, prend racine si vite.

Plus tard dans la journée, nous fîmes route à nouveau, descendant une étroite vallée tortueuse entre des murs de grès de taille moyenne, jusqu'à ce que nous nous trouvions, avant le crépuscule, sur un autre plateau de boue jaune étale, comme celui qui avait formé un prélude si merveilleux à la gloire de Rumm. Nous campâmes à sa lisière. Mes attentions avaient porté leur fruit, car nous ne fîmes que trois groupes, autour de vifs brasiers de tamaris craquant et flamboyant. Le premier avec mes hommes qui soupaient ; le deuxième avec Zaal ; le troisième avec les autres Howeitat ; et, tard dans la nuit, quand tous les chefs eurent été rassasiés de viande de gazelle et de pain chaud, il devint possible de les amener près de mon foyer neutre et de discuter de façon sensée notre trajet du lendemain.

Il semblait que, vers le crépuscule, nous prendrions de l'eau au puits de Mudowwara, deux ou trois milles avant la gare, dans une vallée abritée. Puis, au début de la nuit, nous nous avancerions pour examiner la gare et voir si, malgré notre faiblesse, nous pouvions essayer de lui porter un coup. J'y tenais fort (contre le sentiment général) car cette gare représentait de beaucoup le point le plus critique de la ligne. Les Arabes ne pouvaient s'en apercevoir, parce que leur esprit ne se figurait pas le dessin du front turc dans toute sa longueur et ses maillons, avec ses impératifs. Toutefois, nous étions parvenus à l'harmonie interne, et nous nous égaillâmes avec confiance pour dormir.

Le matin, nous prîmes le temps de manger à nouveau, n'ayant que six heures de route devant nous ; puis nous poussâmes à travers le plateau de boue jusqu'à une plaine de solide pierre calcaire, tapissée de silex bruns émoussés par les intempéries. Apparurent ensuite des collines basses, où l'on voyait çà et là de doux bancs de sable en bas des pentes raides où les vents tourbillonnants avaient déposé leur poussière. À travers ces collines, nous remontâmes des vallées peu profondes jusqu'à une crête, puis descendîmes par des vallées semblables l'autre versant, d'où nous sortîmes brusquement, dépassant des amas de pierres sombres jetés au hasard, pour entrer dans une vaste plaine baignée de soleil. En travers de celle-ci, une dune basse étirait parfois une ligne divergente.

Nous avions fait notre halte de midi en pénétrant dans la région tourmentée et arrivâmes au puits, comme prévu, en fin d'après-midi. C'était une mare ouverte, de quelques pieds de côté, dans une vallée creuse de grandes plaques rocheuses, de silex et de sable. L'eau stagnante semblait repoussante. À sa surface s'étalait une épaisse garniture verte, d'où émergeaient en flottant de curieuses îles ballonnées en forme de vessies, d'un rose graisseux. Les Arabes m'expliquèrent que les Turcs avaient jeté des cadavres de chameaux dans la mare pour rendre l'eau putride, mais que, le temps ayant passé, l'effet s'était atténué. Il eut été encore plus atténué si mon goût avait fourni le critère de leurs efforts.

Pourtant, c'était toute l'eau que nous trouverions là, dans les hautes terres, à moins que nous ne prenions Mudowwara ; aussi nous nous mîmes au travail pour remplir nos outres. Un des Howeitat, pendant qu'il y aidait, glissa sur le bord humide et tomba à l'eau. Le tapis vert se referma comme de l'huile sur sa tête et le cacha un instant ; puis il remonta, s'étranglant très fort et se hissa hors de la mare, au milieu de nos rires, laissant derrière lui un trou noir dans l'écume, d'où s'éleva comme un pilier visible une puanteur de vieille viande qui s'accrocha à nous, à lui et à la vallée, comme pour nous dissuader.

Au crépuscule, Zaal et moi, avec les sergents et d'autres, nous avançâmes en rampant doucement. En une demi-heure, nous étions à la dernière crête, à un endroit où les Turcs avaient creusé des tranchées et bâti un avant-poste compliqué, avec des parapets de pierres sèches, qui restaient inoccupés en cette nuit noire de nouvelle lune où nous faisions notre raid. En avant, plus bas, se trouvait la gare, ses portes et fenêtres clairement marquées par les feux de cuisine et les lumières jaunes de la garnison. Elle paraissait proche sous notre observation, mais le mortier Stokes ne portait qu'à trois cents mètres. Nous nous rapprochâmes donc, écoutant les bruits de l'ennemi, notre attention tendue de peur que les chiens, en aboyant, ne révèlent notre présence. Le Sergent Stokes explora à droite et à gauche, cherchant une position pour les pièces, mais ne trouva rien de satisfaisant.

Pendant ce temps, Zaal et moi traversâmes en rampant le dernier plat, jusqu'à ce que nous puissions compter les tentes non éclairées et entendre parler les hommes. L'un fit quelques pas dans notre direction, puis hésita. Il frotta une allumette pour enflammer une cigarette et la lumière hardie illumina sa figure, si bien que nous le vîmes nettement, jeune officier maladif au visage creux. Il s'accroupit, s'occupa un moment, et revint vers ses hommes qui se taisaient à son passage.

Nous retournâmes à notre colline et nous nous consultâmes en chuchotant. La gare était très allongée, en bâtiments de pierre si solides qu'ils seraient peut-être à l'épreuve de nos obus munis de fusées à retardement. La garnison semblait compter deux cents hommes environ. Nous étions cent seize fusils, et ne formions pas une famille heureuse. La surprise était le seul avantage dont nous pouvions être sûrs.

Ainsi, finalement, je fus d'avis de laisser la gare en paix, la réservant pour une occasion future qui serait peut-être proche. Mais, en fait, une série de hasards sauvèrent Mudowwara, et ce n'est pas avant août 1918 que le Camel Corps de Buxton lui tailla enfin le sort qui l'attendait depuis si longtemps.