Dès le crépuscule, nous leur dîmes au revoir, et remontâmes notre vallée, ressentant une lamentable répugnance à continuer. Les ténèbres s'assemblèrent pendant que nous franchissions la première crête et tournions à l'ouest, vers la route des pèlerins abandonnée, dont les ornières seraient notre meilleur guide. Nous trébuchions en descendant le versant irrégulier de la colline, lorsque les hommes de tête se précipitèrent soudain en avant. Nous les suivîmes : ils entouraient un colporteur terrifié, avec deux épouses et deux ânes chargés de raisins, de farine et de manteaux. Ils allaient à Mafrak, la première gare derrière nous. C'était fâcheux ; à la fin, nous leur dîmes de bivouaquer, et laissâmes un Sirhani pour s'assurer qu'ils ne bougeaient pas ; il devait les relâcher à l'aube et s'échapper vers Abou Sawana en franchissant la ligne.
Nous cheminâmes péniblement à travers champs dans le noir maintenant absolu jusqu'à ce que nous voyions luire les sillons blancs de la route des pèlerins. C'était la même route que les Arabes avaient parcourue avec moi durant ma première nuit en Arabie, dans les environs de Rabegh. Depuis lors, en douze mois, nous l'avions remontée en combattant sur quelque douze cents kilomètres, dépassant Médine et Hédia, Dizad, Mudowwara et Maan. Son point de départ n'était plus loin, Damas, où notre pèlerinage armé finirait.
Mais nous redoutions cette nuit : nos nerfs avaient été secoués par la fuite d'Abd el-Kader, l'unique traître dans notre expérience. Si nous avions calculé honnêtement, nous aurions compris qu'une chance nous restait malgré lui ; mais notre humeur ne nous portait pas à un jugement sans parti pris, et nous pensions, à demi désespérés, que la Révolte arabe n'accomplirait jamais sa dernière étape, et s'ajouterait aux exemples des caravanes qui se lançaient ardemment vers un but de nuages et périssaient homme après homme dans les terres sauvages sans être ternies par la réussite.
Un berger ou quelqu'un d'autre fracassa ces pensées en tirant un coup de fusil sur notre caravane, qu'il avait vue approcher, silencieuse et indistincte dans la nuit. Il la manqua de beaucoup, mais se mit à crier dans l'intensité de sa terreur et, en fuyant, déversa balle après balle dans notre masse brune.
Mifleh el-Gomaan, qui nous guidait, fit un violent écart et, dans un trot aveugle, emporta notre file tanguante sur une pente, traversa un bas-fond propre à se casser le cou et contourna l'épaulement d'une colline. La nuit fut à nouveau paisible, sans trouble, et nous reprîmes notre roulis en bon ordre sous les étoiles. Nous eûmes une autre alerte quand un chien aboya à gauche, puis quand un chameau, inquiétant, surgit inopinément sur notre chemin. Toutefois, c'était un animal égaré, non monté. Nous continuâmes à avancer.
Mifleh me fit aller à ses côtés, m'appelant « Arabe » pour que mon nom connu ne me trahît pas à des étrangers dans les ténèbres. Nous descendions dans un creux très touffu quand nous sentîmes de la cendre ; une obscure silhouette de femme bondit d'un buisson à côté de la piste et se jeta hors de vue en hurlant. C'était peut-être une gitane, car rien ne s'ensuivit. Nous arrivâmes près d'une colline. À son sommet se trouvait un village qui ouvrit le feu sur nous à distance. Mifleh s'écarta sur la droite, traversant une large étendue de labours ; nous la montâmes lentement, nos selles craquant. Au bord de la crête, nous fîmes halte.
Loin au nord, en dessous de nous, il y avait quelques brillants amas de lumières. C'étaient les feux de la gare de Déraa, éclairée pour le trafic militaire, et nous trouvâmes quelque chose de rassurant peut-être, mais aussi d'un peu provoquant dans cette insouciance des Turcs à notre égard. (Ce fut notre revanche d'en faire leur dernière illumination ; Déraa se trouva obscurcie dès le lendemain, pour toute une année, jusqu'à sa chute.) En groupe serré, nous fîmes route vers la gauche, longeant le sommet, et descendîmes par une longue vallée dans la plaine de Remthé ; du village lui-même, scintillait occasionnellement une étincelle rouge dans les ténèbres au nord-ouest. Le sol devint plat, mais c'était de la terre à demi labourée, très molle, avec un labyrinthe de terriers de lapins où nos chameaux, en trébuchant, s'enfonçaient jusqu'au boulet et peinaient. Néanmoins, il nous fallait faire vite, car les incidents et la difficulté du chemin nous avaient mis en retard. Mifleh mit son chameau récalcitrant au trot.
J'avais une des meilleures montures, la chamelle rouge qui se mettait au premier rang de la procession lors de notre entrée à Beidha. C'était une longue bête, qui ratissait le terrain d'un grand mouvement de piston très dur à supporter ; ce mouvement pilonnait, et pourtant n'était pas entièrement mécanique, car il y avait du courage dans l'effort persistant qui la faisait voguer jusqu'à la tête de la file. Là, tous les concurrents devancés, son ambition se mourait en un pas solide, plus allongé que la normale de quelques pouces, mais ressemblant à celui de tout autre animal, sauf qu'il donnait une impression confiante d'immenses réserves de force et d'endurance. Je descendis la colonne et dis aux hommes d'avancer plus vite. Les Indiens, qui montaient raidement, comme des cavaliers, firent de leur mieux, ainsi que la plupart d'entre nous ; mais le terrain était si mauvais que les plus grands efforts ne portaient guère de fruits et, avec l'écoulement des heures, d'abord un méhariste, puis un autre, se laissèrent glisser en arrière. Sur ce, je choisis la position de queue, avec Ali ibn el-Hussein qui montait une rare et vieille chamelle de course. Elle pouvait avoir quatorze ans, mais ne fléchissait ni ne ralentissait jamais de la nuit entière. La tête basse, elle avançait du pas traînant mais rapide et souple du Nedjd, si confortable pour le méhariste. Notre vitesse et nos cravaches rendirent la vie dure aux derniers hommes et chameaux.
Peu après neuf heures, nous quittâmes les labours. La marche aurait dû s'améliorer, mais il commença à bruiner, et la riche surface de terre devint glissante. Un chameau Sirhani s'abattit. Son méhariste le fit relever en un moment et trotta en avant. Un des Béni Sakhr tomba. Lui aussi était indemne et remonta en hâte. Puis nous trouvâmes un des serviteurs d'Ali debout à côté de son chameau arrêté. Ali lui siffla d'avancer et, quand l'homme marmonna une excuse, lui cingla sauvagement la tête avec sa baguette. Le chameau terrifié bondit en avant, et l'esclave, attrapant la sangle arrière, put se jeter en selle. Ali le poursuivit d'une pluie de coups. Mustapha, un de mes hommes, méhariste inexpérimenté, tomba deux fois. Awad, son compagnon de rang, saisit chaque fois son licol, et l'avait aidé à remonter avant que nous les rattrapions.
La pluie cessa, et nous accélérâmes, en descente maintenant. Soudain Mifleh, se levant sur sa selle, sabra l'air au-dessus de sa tête. Un heurt métallique aigu jaillit de la nuit, montrant que nous nous trouvions sous la ligne télégraphique de Mézérib. Puis l'horizon gris devant nous devint plus distant. Nous paraissions faire route sur la cambrure d'un arc de terre, avec une obscurité croissante de chaque côté et en avant. Vint à nos oreilles un léger soupir, comme le vent dans les arbres très loin, mais continu et augmentant lentement. Cela devait venir de la grande chute d'eau en dessous de Tell el-Shébab, et nous pressâmes l'allure avec confiance.
Quelques minutes plus tard, Mifleh arrêta sa chamelle et lui tapota très doucement le cou jusqu'à ce qu'elle s'agenouille silencieusement. Il bondit à terre pendant que nous faisions halte à côté de lui, sur cette plate-forme herbeuse, près d'un cairn écroulé. Devant nous s'élevait très bruyamment d'une bouche de ténèbres le bruit impétueux de la rivière qui nous remplissait depuis longtemps les oreilles. C'était le bord de la gorge du Yarmouk, et le pont se trouvait juste en dessous de nous à droite.
Nous aidâmes les Indiens à descendre de leurs chameaux lourdement chargés, de peur qu'un son ne nous trahît à des oreilles à l'affût, puis nous nous rassemblâmes, chuchotant, sur l'herbe visqueuse. La lune ne s'était pas encore levée au-dessus de Hermon, mais la promesse de son apparition rendait la nuit à demi noire seulement, avec des lambeaux sauvages de nuages dépenaillés passant sur un ciel livide. Je distribuai les explosifs aux quinze porteurs, et nous partîmes. Sous le commandement d'Adhoub, les Béni Sakhr se coulèrent en éclaireurs dans les pentes sombres devant nous. L'orage avait rendu traître la colline raide, et nous ne pouvions garder une prise sûre qu'en enfonçant rudement nos orteils nus dans le sol. Deux ou trois hommes tombèrent lourdement.
Quand nous fûmes à l'endroit le plus difficile, où des rochers surgissaient irrégulièrement du versant, un bruit nouveau s'ajouta au rugissement de l'eau ; un train arrivait lentement de Galilée en cliquetant, les rebords des roues hurlant dans les courbes et la vapeur de la machine haletant en bouffées blanches et fantomatiques au sortir des profondeurs cachées du ravin. Les Sérahin hésitèrent, mais Wood les poussa derrière nous. Fahad et moi bondîmes vers la droite et, à la lueur des flammes de la chaudière, vîmes des wagons plats où se trouvaient des hommes en kaki, peut-être des prisonniers envoyés en Asie Mineure.
Un peu plus loin, voilà qu'enfin, sous nos pieds, nous aperçûmes quelque chose de plus noir dans la noirceur abrupte de la vallée, et à l'autre bout une tache de lumière vacillante. Nous nous arrêtâmes pour l'examiner à la jumelle. C'était le pont, vu de cette hauteur en perspective, avec une tente de garde plantée sous le mur ombreux de la rive opposée, couronné par un village. Tout était tranquille, sauf la rivière, et immobile, sauf la flamme dansante devant la tente.
Wood, qui ne devait descendre que si j'étais touché, tenait les Indiens prêts à asperger la tente de garde au cas où l'affaire prendrait de l'ampleur ; pendant ce temps, Ali, Fahad, Mifleh et le reste d'entre nous, avec les Béni Sakhr et les porteurs d'explosif, rampions en avant jusqu'à trouver le vieux chemin de construction menant au plus proche contrefort. Nous nous glissâmes sur ce chemin en file indienne, nos manteaux marron et nos vêtements salis se mêlant parfaitement avec le calcaire au-dessus de nous et les profondeurs en dessous, pour atteindre enfin les rails juste avant leur courbure vers le pont. Là, notre troupe s'arrêta, et j'avançai en rampant avec Fahad.
Nous atteignîmes le contrefort nu, et nous nous hissâmes sur le ventre dans l'ombre des rails, au point de pouvoir presque toucher le squelette gris des poutres suspendues, et voir l'unique sentinelle appuyée à l'autre contrefort, soixante mètres plus loin de l'autre côté du gouffre. Alors que nous l'observions, l'homme commença à aller et venir lentement, de long en large, devant son feu, sans jamais mettre le pied sur le pont vertigineux. Je restai allongé, le fixant fasciné, comme si j'étais sans plan ni aide, pendant que Fahad revenait vers le mur de l'arc-boutant, là où il jaillissait du flanc de la colline.
Ce n'était pas bon, car je voulais attaquer les poutres elles-mêmes ; aussi je m'éloignai en rampant pour aller chercher les porteurs de gélatine. Avant que je les aie rejoints, on entendit le bruyant cliquetis d'un fusil qui tombait, et une chute heurtée du haut du talus. La sentinelle sursauta et regarda en direction du bruit. Elle vit, en hauteur, dans la zone de lumière grâce à laquelle la lune se levant embellissait lentement la gorge, les mitrailleurs qui descendaient vers une nouvelle position dans l'ombre refoulée. Elle les héla bruyamment, puis leva son fusil et tira, en appelant la garde à grands cris.
À l'instant, la confusion fut complète. Les Béni Sakhr invisibles, tapis sur l'étroit sentier au-dessus de nos têtes, retournèrent le tir au hasard. La garde se précipita dans les tranchées, et ouvrit un feu rapide sur les éclairs de nos armes. Les Indiens, pris en plein mouvement, ne purent mettre en action leur Vickers pour cribler la tente avant qu'elle ne fût vide. Le tir devint général. Les salves des fusils turcs, se répercutant dans l'espace étroit, étaient doublées par l'impact des balles sur les rochers derrière notre groupe. Les porteurs Sérahin avaient appris de mes gardes du corps que la gélatine exploserait si une balle la frappait. Quand les projectiles giclèrent autour d'eux, ils jetèrent les sacs pardessus le rebord et prirent la fuite. Ali bondit vers Fahad et moi, là où nous étions restés inaperçus sur l'obscur arcboutant, mais désarmés, et nous dit que les explosifs se trouvaient maintenant quelque part dans le profond lit du ravin.
Il ne fallait même pas songer à les récupérer, avec un pareil enfer déchaîné ; aussi nous détalâmes, sans accident, remontant le sentier raide sous le feu turc, arrivant hors d'haleine au sommet. Nous y retrouvâmes un Wood dégoûté, et les Indiens, pour leur dire que tout était fini. Nous nous hâtâmes vers le cairn où les Sérahin grimpaient sur leurs chameaux. Les imitant dès que possible, nous partîmes à bonne allure pendant que les fusils turcs crépitaient toujours au fond de la vallée. Toura, le village le plus proche, entendit le vacarme et s'y joignit. D'autres villages s'éveillèrent, et des lumières se mirent à étinceler partout sur la plaine.
Notre ruée rattrapa un groupe de paysans revenant de Déraa. Les Sérahin, irrités du rôle qu'ils avaient joué (ou de ce que j'avais dit dans la chaleur de la fuite), cherchaient une vilaine histoire, et les dépouillèrent de la tête aux pieds.
Les victimes se précipitèrent sous le clair de lune avec leurs femmes, poussant le strident appel à l'aide arabe. Remthé les entendit : ses cris, formant une seule masse, alertèrent tous les dormeurs du voisinage. Les hommes pourvus de montures partirent nous charger de flanc, pendant qu'à des milles alentour les habitants garnissaient les toits et tiraient des salves.
Nous laissâmes les bandits Sérahin avec leur butin encombrant, et avançâmes dans un silence lugubre, en maintenant autant d'ordre que nous le pouvions, pendant que mes hommes expérimentés rendaient de merveilleux services en aidant ceux qui tombaient ou en prenant en croupe ceux dont les chameaux se relevaient trop blessés pour galoper. Le sol était encore boueux, et les rubans de terre labourée plus difficiles que jamais ; mais derrière nous le tumulte nous poussait, avec nos chameaux, jusqu'à l'épuisement, comme une meute nous chassant dans le refuge des collines. Enfin nous y entrâmes, et les traversâmes par un raccourci qui nous rapprochait de la tranquillité, menant toujours nos bêtes éreintées aussi dur que possible, car l'aube était proche. Le vacarme s'éteignit progressivement derrière nous, et les derniers traînards se remirent en place, poussés, comme à l'aller, par le déluge de coups qu'Ali et moi, en queue, leur assenions.
Le jour se leva juste quand nous descendions vers la voie ferrée, et Wood, Ali et les chefs, maintenant en tête pour reconnaître le passage, s'amusèrent à couper le télégraphe en de nombreux endroits pendant que la procession défilait. Nous avions traversé la ligne la nuit précédente pour faire sauter le pont de Tell el-Shébab et ainsi couper la Palestine de Damas, et en fait nous coupions le télégraphe de Médine, après toutes nos peines et nos risques ! Les canons d'Allenby, secouant toujours l'air à notre droite, nous rappelaient amèrement notre faillite.
L'aube grise se leva avec douceur, présageant le crachin gris qui suivit, un crachin si léger et désespéré qu'il paraissait railler notre marche pesante, brisée, vers Abou Sawana. Au crépuscule, nous atteignîmes la longue mare ; et là ceux que nous avions rejetés du groupe furent curieux d'apprendre le détail de nos erreurs. Nous étions des imbéciles, tous au même titre, et notre rage n'avait donc pas de cible. Ahmed et Awad se battirent à nouveau ; le jeune Mustapha refusa de faire cuire du riz ; Farradj et Daoud le frappèrent jusqu'à ce qu'il pleurât ; Ali fit fouetter deux de ses serviteurs ; et aucun d'eux ou de nous ne s'en souciait le moins du monde. L'échec avait rendu nos esprits malades, et fatigué nos corps après un parcours d'à peu près cent milles éreintants, sur un mauvais terrain, dans de mauvaises conditions, d'un crépuscule à l'autre, sans halte ni nourriture.