Son âme se glaçait comme son corps. Elle était tentéede fermer ses yeux et ses oreilles pour ne pas voir, pourne pas entendre. Lorsque la lune venait à se voiler uninstant sous une brume plus épaisse, le sinistre aspectde ce paysage polaire s’accentuait encore, et Mrs.Paulina Barnett se figurait alors la caravane d’hommeset de femmes, cheminant à travers ces solitudes, aumilieu des bourrasques, des neiges, sous les avalanches,et dans la profonde obscurité d’une nuit arctique !

Cependant, Mrs. Paulina Barnett se forçait àregarder. Elle voulait habituer ses yeux à ces aspects,endurcir son âme contre la terreur. Elle regardait donc,et tout d’un coup un cri s’échappa de sa poitrine, samain serra la main du lieutenant Hobson, et elle luimontra du doigt un objet énorme, aux formes indécises,qui se mouvait dans la pénombre, à cent pas d’eux àpeine.

C’était un monstre d’une blancheur éclatante, d’unetaille gigantesque, dont la hauteur dépassait cinquantepieds. Il allait lentement sur les glaçons épars, sautantde l’un à l’autre par des bonds formidables, agitant sespattes démesurées qui eussent pu embrasser dix groschênes à la fois. Il semblait vouloir chercher, lui aussi,un passage praticable à travers l’icefield et fuir cette îlefuneste. On voyait les glaçons s’enfoncer sous sonpoids, et il ne parvenait à reprendre son équilibre

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