ensemencés par sa femme. En toute autre circonstance,il n’aurait eu à défendre que du bec de ces pillards ailés,guillemots ou puffins, sa moisson d’oseille et dechochléarias. Un mannequin eût suffi à effrayer cesvoraces oiseaux, et à plus forte raison le caporal enpersonne. Mais, cette fois, aux oiseaux se joignaienttous les rongeurs et ruminants de la faune arctique.L’hiver ne les avait point chassés ; l’instinct du dangerles retenait aux abords de la factorerie, et rennes, lièvrespolaires, rats musqués, musaraignes, martres, etc.,bravaient toutes les menaces du caporal. Le pauvrehomme n’y pouvait suffire. Quand il défendait un boutde son champ, on dévorait l’autre.

Certes, il eût été plus sage de laisser à ces nombreuxennemis une récolte qu’on ne pourrait pas utiliser,puisque la factorerie devait être abandonnée sous peu.C’était même le conseil que Mrs. Paulina Barnettdonnait à l’entêté caporal, quand celui-ci, vingt fois parjour, venait la fatiguer de ses condoléances ; mais lecaporal Joliffe ne voulait absolument rien entendre.

« Tant de peine perdue ! répétait-il. Quitter un telétablissement quand il est en voie de prospérité !Sacrifier ces graines que madame Joliffe et moi, nousavons semées avec tant de sollicitude !... Ah !madame ! il me prend quelquefois l’envie de vouslaisser partir, vous et tous les autres, et de rester ici avec

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